Les 20 et 21 septembre 1976, le premier festival punk avait lieu au « 100 Club », dans le centre de Londres. A l’affiche : les Clash, les Sex Pistols, mais aussi les Stinky Toys, premier groupe punk français, emmené par la chanteuse Elli Medeiros. Elle nous confie ses souvenirs de ces deux folles journées.
C’est un endroit de légende de la scène rock britannique. Pourtant, on passe volontiers devant l’entrée sans la remarquer, tant elle est minuscule. Le 100 Club est situé dans Oxford Street, l’une des grandes artères commerçantes dans le centre de Londres. Les 20 et 21 septembre 1976 s’y déroula le premier festival punk. A l’affiche : Siouxsie and the Banshees, les Clash, les Sex Pistols, les Damned, les Buzzcocks et, venus de France, les Stinky Toys, l’un des premiers groupes punk de la scène française. Chanteuse du groupe en duo avec Jacno, nous avons rencontré Elli Medeiros. Souvenirs d’une pionnière du punk français.
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Peux-tu nous raconter comment ont débuté les Stinky Toys en 1976?
Elli Medeiros – Les Stinky Toys, c’est le début de ma vie, une période de formation personnelle… Et la fin des Stinky Toys, c’est mon plus grand chagrin d’amour. Je crois que c’est difficile de se représenter aujourd’hui à quel point c’était difficile de faire de la musique à ce moment-là [au milieu des années 70]. Il n’y avait pas de scène, aucun lieu. Ça n’a rien à voir avec maintenant. Aujourd’hui, les gens ont un plan de carrière. Mais d’un autre côté, peut-être que c’était facile, t’avais rien, donc rien à perdre, et surtout, rien à foutre. À l’époque, faire un groupe de rock, c’était à peu près comme dire je vais faire clochard. On ne disait pas « punk », je ne me disais pas punk. Maintenant, je vois que je l’étais !
Je m’habillais avec des vêtements déchirés que je faisais tenir avec des épingles à nourrice, des trucs destinés à la poubelle, et moi j’y trouvais de la beauté, et c’était un statement contre la mode, contre le système, contre l’uniformisation. Mais suivre la mode et aller acheter ces mêmes fringues « toutes faites » très chères dans une boutique, c’était absurde, un contre-sens. Quand c’est devenu une mode, j’ai arrêté, et je suis passé aux tenues « impeccables » avec cravate, le tout pour 50 centimes à l’Armée du Salut. Ce sont les vêtements que je portais au 100 Club.
https://youtu.be/u24KnVJkVh4
C’est à cause de mon pantalon déchiré qui tenait avec des épingles à nourrice qu’on s’est retrouvé au concert [du 100 Club, ndlr]. On se baladait dans Paris, et on a croisé un gars. Je ne savais pas du tout qui c’était – c’était Malcolm [McLaren, le manager des Sex Pistols, ndlr] qui est venu me parler. Il m’a demandé : « Pourquoi tu portes des épingles à nourrice ? Pourquoi t’as des cartes à jouer collées sur ta veste ? Pourquoi t’as des œufs au plat en plastique cousus sur ton pull ? »
Donc, on a commencé à parler : « tu fais quoi dans la vie ? » « C’est mon groupe, c’est les Stinky Toys ». Il m’a dit : « Ah, j’organise un festival le mois prochain à Londres. Venez ». On a fait : « Ouais ! ». C’est après que Denis [Quilliard alias Jacno, ndlr] a raconté à tout le monde : « C’est Elli qui se baladait dans la rue avec des épingles à nourrice et Malcolm l’a repérée ».
Je ne sais pas comment on s’est retrouvé dans le train et le bateau – je ne sais plus, vu qu’on était complètement bordéliques ; on a fini par trouver le club ; des mecs nous demandent : « Où est votre matos ? » Ils s’attendaient à ce qu’on arrive en camion avec notre matériel. « Bah non, on n’a pas de matos… ». J’étais arrivée les mains dans les poches sur mes talons aiguille. Hervé, le batteur, avait ses baguettes dans la poche, les autres avaient leurs guitares, et puis voilà.
On a croisé les [Sex] Pistols et on leur a demandé : « On peut jouer sur votre matos ? » Ils ont répondu : « Pas question », tu vois, les mecs genre super perso. Je me disais : « C’est quoi cette galère ? » Et puis les mecs du Clash sont arrivés. Ils nous ont dit : « Mais ouais, vous allez jouer sur notre matos ».
Les concerts des Pistols étaient rigolos, tu pouvais pogoter à souhait, mais c’était quand même un boy’s band. Je te dis ça, ce n’est pas péjoratif. C’était un groupe monté par Malcolm. Le Clash, c’était un vrai groupe avec une conscience sociale et qui, en plus, avait une culture musicale. Les mecs du Clash étaient sublimes. On les a recroisés à un autre festival punk au Palais des glaces à Paris [en 1977].
Tu es en train de me dire que tu as bluffé Malcolm MacLaren quand tu l’as rencontré dans la rue…
Malcolm était très visuel. Il a repéré que je m’habillais d’une manière qui ne ressemblait à personne.
As-tu rencontré Vivienne Westwood à cette occasion ?
Non. En tout cas, elle était peut-être là, mais je ne l’ai pas rencontrée. Tout ça je l’ai su bien après, elle avait ouvert un magasin sur King’s Road, qui a eu plusieurs noms, dont Sex. Johnny Rotten y a travaillé comme vendeur. Et c’est là où Malcolm l’aurait connu. Après, j’avais des amis punk parisiens qui allaient à Londres pour acheter des pulls déjà déchirés. Moi, je portais les vieux pulls de mon beau-père… les pantalons déchirés de Denis que je faisais tenir tout du long avec des épingles à nourrice. En fait, la première épingle que j’ai portée était une broche de ma mère, un truc années 50. Comme je trouvais ça beau, j’ai pris des épingles à nourrice et j’en ai mis partout. Quand je me baladais comme ça dans Paris en 1974-75, avec des pantalons déchirés et du rouge à lèvres vif, des talons aiguilles, je me faisais insulter. Il faut se remettre dans le contexte, c’était la mode disco avec les cols pelle à tarte et les brushings. Mais quand je suis allée au concert à Londres [en 1976], je n’en portais plus. Je portais toujours des talons aiguilles, mais avec un pantalon à plis, avec une cravate.
Qui a eu l’idée de vous appeler Stinky Toys ?
Moi ! (rire) En fait, c’était un jeu de mots. Jacno avait gardé ses petites Dinky Toys [NDLR : des voitures miniatures] de quand il était gamin. Donc un mix des Dinky Toys et des New York Dolls.
Où as-tu rencontré les autres membres des Stinky Toys ?
Eux étaient des copains du lycée. Jacno [Denis Quillard] était au lycée Charlemagne. Il connaissait Albin [Dériat], le bassiste, depuis qu’ils étaient gamins. Hervé [Zénouda], le batteur, était aussi à Charlemagne. Il y avait que Bruno [Carone], l’autre guitariste, qu’on a connu après. J’étais à Victor-Hugo, qui n’était pas mixte. Il y avait des manifs contre la loi Debré [au printemps 1973, les lycéens se sont mobilisés contre la suppression des sursis militaires décidée par la loi Debré, ndlr]. J’étais dans je ne sais plus quel groupe d’extrême gauche dans le service d’ordre ! C’est là que j’ai rencontré Denis qui était en train de foutre la merde à la manif. Il m’a repérée ; je portais un blouson avec Alice Cooper dessus. Les Stinky Toys, c’était un groupe de Français avec une Uruguayenne…
Jacno était aussi politisé ou il venait à la manif pour mettre la zone ?
Non, je crois qu’il venait juste mettre la zone…
Depuis quand es-tu de gauche ?
Je suis née de gauche, ha ha, même si mon environnement familial n’était pas de gauche.
Et ton duo avec Jacno ?
Les chansons de Elli et Jacno étaient de la pop (ou de la « techno pop »), mais en fait ça parlait des mêmes choses que les chansons des Stinky Toys. La forme changeait. L’influence latino a toujours été présente dans ma musique, même par petites touches dès les Stinky Toys. On avait même enregistré un tango… Les Stinky Toys étaient un collectif et ça aurait pu déborder de la musique vers d’autres formes si on avait continué.
Pour revenir à ce concert londonien du 21 septembre 1976… Vous arrivez sur les lieux sans matos…
Le festival était sur deux soirs. On a joué le deuxième soir… On était deux jours à Londres et on a bu pendant deux jours. Bruno [le guitariste] s’était engueulé avec le batteur des Pistols [Paul Cook, ndlr]. Rien de sérieux. Je me souviens vaguement du concert de Siouxsie. Il y avait des gens partout. J’avais rencontré une journaliste très jolie, Caroline Coon. Je l’ai revue il y a quelques années. Puis, on a fait la une du Melody Maker. Il y avait ma photo en couverture et, à l’intérieur, je crois que les articles disaient de la merde sur nous. Apparemment, la rédaction du journal était très partagée !
Après ce concert, on était retournés à Londres faire une mini-tournée des clubs. C’était bien, mais ça n’est pas allé plus loin. En France, la maison de disques de Kraftwerk voulait nous signer. C’était la sortie de Trans-Europe Express. Ils nous invitent dans un train et il y a du champagne à gogo. Résultat, j’ai vomi devant les mecs de la maison de disques et Pacadis a mis le feu aux rideaux. Ils ne nous ont pas signés. Finalement, on a eu un contrat avec Polydor.
Vous viviez de votre musique ?
Oui, vaguement, je ne sais pas comment on faisait. Je suppose qu’à l’époque la vie était moins chère à Paris.
Les Toys se sont séparés en 1979…
Oui, malheureusement. Les Toys, c’était idéal pour moi car c’était un collectif. Cinq personnalités fortes et chacun apportait quelque chose.
Vous vous êtes disputés ?
(Rires) Non ! Ça partait dans tous les sens, dans les envies différentes de chacun. J’avais l’impression d’être le lien qui nous faisait tenir. Je pense que j’étais la seule qui voulait vraiment continuer. J’ai compris des années après que ce n’était pas vraiment comme ça, mais sur le coup, on n’a pas su gérer.
Es-tu restée en contact avec les autres membres du groupe ?
Denis [décédé en 2009, ndlr], c’était mon meilleur ami, mon frère, ma famille. On s’est connus très jeunes, on a fini de grandir ensemble, on a mis les bases de ce qu’on allait être, en bien ou en mal, ensemble. Même quand on ne se voyait pas, je savais qu’il était là… Mais pour les autres, ça dépend des périodes. Il y a des moments où on se perd de vue, et d’autres où on se rapproche. Albin, le bassiste, s’est éloigné de nous. Il faisait des études de maths et de physique, de la même façon qu’il étudiait la musique. Un mec super brillant, musicalement aussi bien sûr. Après les Toys, il s’est détourné de la musique. Je l’ai croisé deux ou trois fois par hasard, mais on ne s’est pas vraiment revus. Avec Hervé, le batteur, on se retrouve, après on s’embrouille sur un truc sur lequel on n’est pas d’accord. En fait, Bruno, l’autre guitariste, était le seul qui n’était pas de notre bande. C’était un ami d’un ami ; un mec génial. Hervé est un des plus grands batteurs que j’ai connu…
https://youtu.be/Lz3ZCKBb2jo
À propos de batteur, te souviens-tu qui jouait de la batterie pour Siouxsie and the Banshees à à ce concert punk au 100 Club en 1976 ?
Non, aucun souvenir, ha ha !
Sid Vicious ! En fait, il ne savait pas jouer de la batterie, ni de la basse d’ailleurs !
C’était un peu l’idée : tu ne sais pas jouer, c’est pas grave. Mais pas les Toys, ils étaient vraiment bons, même débutants. Avec les Toys, Jacno s’est mis à la guitare. Avant il avait été batteur dans d’autres groupes. Jacno était fan des Who, de Keith Moon, et Albin était fan des Stones. Ils avaient tous les disques, les bootlegs, les bandes pirates. Moi j’étais fan des Stooges. Mais j’écoutais aussi du jazz, du tango, de la bossa.
Le mouvement punk n’a pas eu en France l’importance musicale et sociale qu’il a revêtu en Grande-Bretagne. Qu’est-ce que ça voulait dire d’être punk en France dans les années 70 ? Tu voulais être une pionnière ?
C’est difficile à dire. À l’époque, on n’a pas fait partie d’un mouvement, on a créé quelque chose. On a fait un groupe, d’autres gens faisaient des groupes en même temps à Londres et à New York. Après, on dit que les Toys avaient « lancé le mouvement punk en France ». C’est vrai qu’il n’existait pas avant nous. Mais je n’ai pas fait un groupe en disant « je fais un groupe punk » puisque c’était contemporain. On a fait ce qu’on voulait. Le truc punk c’était : tu ne sais pas chanter ou jouer ; tu t’en fous, tu montes quand même sur scène. Bon, et n’était pas le cas des autres Toys, Moi, par contre, je n’avais jamais chanté, surtout, je n’y avais jamais pensé. C’était pas « je veux être chanteuse ». J’écrivais, je suis monté sur scène pour dire ces textes-là, avec de la musique, avec ma bande de potes. Ce qu’on voulait faire, « ça ne se faisait pas ». Là où on rejoignait le punk, c’était qu’on faisait ce qu’on voulait, à contre-courant, dans une scène qui n’existait pas et, en France, les maisons de disques ne nous auraient jamais signés si on n’avait pas été en couv’ du NME.
Tu as toujours eu plusieurs cordes à ton arc, plusieurs dons : la chanson, mais aussi le dessin, le cinéma…
Au départ, je dessinais. J’ai commencé à dessiner quand j’avais deux ou trois ans. Quand j’étais enfant, j’avais des bosses sur les doigts, la marque du crayon sur les doigts parce que je dessinais tout le temps. Pendant les Toys, je dessinais encore – j’avais publié des illustrations dans les journaux de rock, puis des bandes dessinées, et des articles illustrés dans Annie aime les Sucettes (Fanzine de la fin des années 70) tout ça a été rassemblé dans un album « Images & Paroles » avec des textes de chansons, des coloriages et découpages (publié par Futuropolis en 1980, préface de Loulou Picasso) – et puis j’ai arrêté pendant une très longue période. Même si je publiais parfois un dessin par-ci par-là.
Et j’ai fait beaucoup de pochettes, et des vidéos. Mais ça me manquait et maintenant je me remets à dessiner. Je viens de faire l’affiche du concert des Libertines à Rock en Seine [qui a eu lieu le 29 août 2015, ndlr].
C’est toi qui a réalisé les pochettes des Stinky Toys ?
J’ai fait toutes nos pochettes, Stinky Toys, Elli & Jacno, puis les miennes. Mais j’ai aussi fait beaucoup de pochettes pour d’autres, Don Cherry, Etienne Daho, Mink de Ville, Errl Dunkley, La fiancée du Pirate, les premiers albums solo de Jacno. Le design et parfois la photo aussi.
Tu as chanté en espagnol dans les années 80…
Même avant, il y a des morceaux en espagnol dans les Toys. « Uruguayan Dream », titre en anglais mais texte en espagnol, musique très latine, avec un güiro, que j’ai joué moi même ! Je voulais qu’un des gars le joue, mais ils ne comprenaient pas. Je suppose que c’est un truc culturel. Et aussi dans le dernier album d’Elli & Jacno. Puis mes origines ont pris le dessus ! J’ai composé « Toi mon toit » [1986] sur deux accords de guitare … sur les trois que je connaissais à l’époque. J’en ai appris deux ou trois depuis. Je me suis rendu compte en le chantant à capella à mes amis uruguayens des années après, que c’est exactement la clave du candombe, la musique traditionnelle uruguayenne, d’origine africaine. A Bailar Calypso [1987], c’est plus cubain. J’ai eu la chance de bosser avec de merveilleux musiciens cubains, brésiliens, uruguayens sur ces projets et français aussi bien sûr ! Un beau mélange, métisse comme moi.
Tes clips étaient également novateurs…
Le clip de Toi mon toit, presque trente ans après, il y a des gens qui le redécouvrent et qui m’en parlent. Ils me disent qu’il n’a pas vieilli, comme la musique. Les gens que tu vois dans le clip, ce n’est pas un casting, ce sont mes amis. Plus de cœur que de moyens.
On voit ta fille qui marche à quatre pattes et traverse l’écran.
Oui, c’est Calypso. Elle est habillée en fourmi, hé hé, mais déjà la classe !
De toutes les chansons que tu as enregistrées, quelle est ta chanson fétiche ?
(Rires) J’ai fait un album en 2007 réalisé avec Étienne [Daho] qui s’appelle EM. Une sorte de best of au présent, parce qu’il y a des morceaux originaux et de nouvelles versions d’anciens titres. J’ai rechanté des morceaux des Stinky Toys en 2007… Ça continue à être ce que je ressens et ce que je pense. On n’a pas mis Toi mon toit dans l’album mais je le jouais toujours sur scène.
Toi mon toit est ta chanson favorite ?
Je ne dirais pas ça comme ça. Disons que Toi mon toit fait partie des chansons qui me représentent, tout autant que certains morceaux des Toys.
Propos recueillis par Philippe Marlière, à Paris, le 6 juin 2015.
Post-scriptum : Elli Medeiros a récemment tourné dans Brisas Heladas du metteur en scène argentin Gustavo Postiglione (sortie en Argentine novembre 2015). Elle a aussi participé à la bande originale du film. Elle participera à une expo collective, carte blanche à Olivia Clavel, à la galerie Corinne Bonnet à Paris en novembre prochain. Elle travaille sur un projet de scénario qui pourrait sortir sous la forme d’un graphic novel avant d’être adapté à l’écran.
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