A quel moment la musique est-elle entrée dans ta vie Très tôt, quand j’étais toute petite. Mes premiers souvenirs de musique, c’est les tambours dans la rue, chez moi, en Uruguay. J’étais fanatique de musique de carnaval, qui était omniprésente, quelque chose d’incontournable, une vraie partie de notre vie. Quand j’avais 2 ou 3 ans, […]
A quel moment la musique est-elle entrée dans ta vie
Très tôt, quand j’étais toute petite. Mes premiers souvenirs de musique, c’est les tambours dans la rue, chez moi, en Uruguay. J’étais fanatique de musique de carnaval, qui était omniprésente, quelque chose d’incontournable, une vraie partie de notre vie. Quand j’avais 2 ou 3 ans, lors des parades de tambours dans les rues, je suivais les musiciens en gambadant derrière eux. J’étais comme charmée par la musique des tambours, des percussions, elle m’attirait physiquement, guidait mes pas. Mes parents étaient obligés de me suivre du regard, quelques mètres en retrait, ils avaient peur que je ne revienne pas (sourire)… Mes premiers disques, c’était ceux des Beatles, qui étaient autant connus et adorés en Amérique du Sud que dans le reste du monde. Ma grand-mère m’achetait tous leurs 45t, si bien que je me suis constitué une incroyable collection de chansons, que je pouvais toutes interpréter du premier au dernier mot. C’est sans doute ce qui m’a donné le sens et l’amour des jolies mélodies. Je me souviens aussi qu’on allait dans un bar, avec des gens de ma famille et des copines, pour écouter les disques du juke-box, principalement de la musique américaine.
Tu te souviens du premier concert que tu as vu ?
C’était Ray Charles, à Buenos Aires, dans un immense théâtre. Le père de ma meilleure copine avait obtenu des places, et moi, j’avais trouvé le spectacle formidable, un grand moment. Ensuite, vers 13-14 ans, j’ai été fan d’un groupe pop local, une sorte de version latino des choses qu’on aimait entendre à la radio. C’était très excitant parce que pour la première fois, ça se passait chez nous. En fait, le rock, je suis tombée dedans beaucoup plus tard, en arrivant à Paris. Ça avait plutôt mal commencé, parce que juste après mon arrivée, des copines de lycée m’avaient emmenée à un concert de Pink Floyd et j’avais trouvé ça épouvantable. Je m’étais carrément endormie par terre, avec mon sac sur la tête… Rapidement, mon groupe préféré est devenu les Stooges. D’ailleurs, ce sont eux qui m’ont donné envie de me lancer moi-même dans ce monde-là. Les Stooges correspondaient exactement à ce que j’attendais du rock : une véritable violence émotive exprimée par des mélodies, un chant, quelque chose d’artistique. A ce jour, Iggy Pop reste pour moi une idole absolue, un type incomparable, indépassable.
Tu restes très fan de musique, de découvertes.
J’aime me tenir informée, et ma chance, c’est de réussir à garder un rapport neuf et frais à la musique je suis sans doute restée assez adolescente dans mon rapport aux disques. Une de mes dernières grandes passions, c’est Jeff Buckley, qui avait évidemment un talent unique et un sens de l’émotion musicale inégalable. Buckley, c’est d’ailleurs le premier amour musical que je partage avec ma fille, qui s’intéresse au rock depuis un petit moment… Une autre révélation pour moi, c’est Goldie. J’ai découvert ce type par une interview dans un magazine et j’ai adoré sa façon de parler de sa musique, de sa vie en général, de son engagement dans son travail. Je me suis dit « Il me faut le disque de ce garçon, et tout de suite. »
Ton rapport au cinéma est-il aussi passionnel ?
J’ai vu des centaines de films quand j’étais gamine, en Uruguay. On allait à des séances de trois films, on ressortait de là-dedans avec les yeux complètement explosés, mais c’était génial. On voyait absolument tout ce qui venait d’Hollywood, et si l’on ajoute aux nouveautés les merveilles des années 30 et 40 que diffusaient les chaînes de télévision, on a une idée assez précise du rôle que pouvait jouer le cinéma américain pour les jeunes de mon pays. A cette époque, j’ai vu aussi beaucoup de films mexicains des années 50, et le cinéma européen commençait à être très populaire. Chez moi, nous étions vraiment des fondus de cinéma d’ailleurs, ma mère a fini par devenir actrice. On lisait les revues spécialisées, on se tenait informés sur les potins, les tournages. Les stars hollywoodiennes faisaient totalement partie de nos vies, et pour moi, qui étais encore gosse, elles représentaient bien plus qu’un simple rêve : elles étaient la réalité, des gens très concrets, très proches. Culturellement, les années 50 et une partie des années 60 ont été une sorte d’âge d’or pour l’Uruguay. On pouvait tout y voir, du cinéma commercial d’Hollywood aux films de Bergman.
Quelle place occupaient les livres chez toi ?
Ma mère lisait énormément, et je lisais absolument tout ce qu’elle avait lu dès qu’elle reposait le livre en question. J’ai donc lu des choses qui n’étaient pas du tout de mon âge, mais je crois que ça m’a plutôt réussi (sourire)… Un livre qui m’a vraiment marquée, c’est Les Mille et une nuits, que j’ai dû lire cinquante fois et dont je continue régulièrement à acheter des éditions rares ou étranges. J’ai aussi lu tout Agatha Christie, qui a longtemps été mon auteur favori, avant de découvrir Cortázar, qui a été pour moi une véritable révélation, de même que Borges, auquel je reviens sans cesse… Ma grand-mère s’est saignée pour nous payer, à moi et à ma cousine, une école bilingue anglais et espagnol. Pour la littérature, ça m’a ouvert des possibilités immenses, puisque j’ai pu lire des dizaines d’auteurs fabuleux dans le texte. Le français, je m’y suis mise à 15 ans, en arrivant à Paris. En fait, j’ai appris le français en lisant Maupassant, et puis ensuite, j’ai tout avalé avec un appétit incroyable même Proust, que j’arrive à lire en m’éclatant. Mais j’ai aussi traversé des périodes où j’ai totalement abandonné la lecture, lorsque j’ai commencé les Stinky Toys, par exemple. Là, les livres ne comptaient plus du tout pour moi. J’avais besoin d’une autre forme d’émotion : plus directe, plus instinctive.
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Emmanuel Tellier
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