Treize femmes de France rendent hommage non pas à Barbara mais à ses chansons. Malgré un casting a priori étonnant, une réussite.
Alain Souchon, Yves Simon et désormais Barbara : les albums-hommages se multiplient, offrant à la jeune génération le loisir de s’étalonner sur des chansons aînées. Avec un mélange d’inconscience, de respect tremblant, de passion lointaine ou de toupet bienvenu. Rien n’empeste plus le rance et la naphtaline que ces grands-messes du souvenir où aucun trublion ne vient secouer l’ordre, où les discours s’accaparent la mémoire du disparu sans lui demander l’autorisation.
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Plus des emprunts que des reprises
Les chansons de Barbara, ici revisitées par treize voix de femmes de plusieurs générations, n’avaient pas du tout besoin de versions 2.0, d’être rafraîchies, modernisées. Mais la sobriété des arrangements, le respect de cette politique du peu qui frappe juste, en uppercut, sont à mettre au crédit de cette compilation Elles & Barbara. Un titre qui signifie que c’est ce degré d’intimité entre les chansons de Barbara et ces femmes, non celui de l’expertise, qui a été décisif. Si elles ont le courage, la folie de se frotter aux chansons de Barbara, aucune n’a l’outrecuidance de prétendre se mesurer à l’univers trop fort, trop prégnant de la chanteuse. Et ça les libère justement du poids d’un totem, si ce n’est d’une croix.
Toutes les versions présentées ici sont donc plus légères, moins venimeuses, moins habitées que leurs modèles : on ne peut pas chanter L’Aigle noir avec la même terreur, la même horreur. On ne peut juste pas reprendre ces chansons ; on peut au mieux les emprunter. Le seul, finalement, à les avoir incarnées avec justesse dans toute leur brutalité, leur noirceur, leur violence, leur démesure, leur fulgurance, fut récemment Gérard Depardieu, autre personnage vertigineux.
Sublimes subtilités
On pourra toujours, et on aura raison, regretter la présence ou l’absence de certaines voix. Des hommes notamment – on aurait adoré savoir ce qu’auraient fait Dominique A, JoeyStarr ou Babx. Mais ça compliquerait le titre de la compilation. Et ça n’ajouterait que peu au constat étonnant de cet assemblage disparate : le miracle reste que les chansons de Barbara survivent à Barbara. On craignait que sa musicalité, prodigieuse mais qui ne tenait qu’à elle, cède le pas à la surenchère, à la virtuosité. Ce n’est pas le cas : la musique reste solennelle mais ne vire jamais au pathos, au théâtral, grâce à la production attentive d’Edith Fambuena. Des voix soulagées peuvent ainsi chanter l’indicible sans s’effondrer, murmurer tous ces mots que Barbara hurlait doucement, avec sa gouaille étranglée : “Il ne faut jamais revenir/Aux temps cachés des souvenirs/Du temps béni de son enfance/Car parmi tous les souvenirs/Ceux de l’enfance sont les pires/Ceux de l’enfance nous déchirent.”
Le crime aurait été ici de confier ces sublimes subtilités à des chanteuses à amygdales, à des athlètes du chant pénible. On y retrouve des partisanes, des artisanes de la retenue, du mot suspendu aux lèvres, comme Jeanne Cherhal, Juliette Armanet ou une Dani parfaite sur Si la photo est bonne, cantate rock qu’elle s’accapare. On ne connaît pas les chansons de Zazie, Nolwenn Leroy ou Louane, et leur présence ici semble affoler les puristes pour qui elles auraient peut-être dû pleurer et endosser une robe noire obligatoire, afin d’incarner dignement ces textes.
Tout ce qu’on peut faire, c’est remarquer leur pudeur, admirer leurs petits souliers face à ces grosses pointures à remplir. De La Solitude à Dis, quand reviendras-tu ?, elles n’ont pas choisi les circonscriptions les plus aisées à remporter, et s’en sortent avec dignité, notamment en restant hors mythe de celle qui, en 1993, écrivait avec sa malice mordante : “Je ne suis pas une intellectuelle/Je ne suis pas une héroïne/Je suis une femme qui chante.” Amincies du fardeau du vécu, débarrassées du carnage de l’expérience, ces Mon enfance, ces Nantes réussissent ce miracle : elles deviennent chansons. Et quelles chansons.
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