Aucun signe de réchauffement chez les Ecossais d’Arab Strap, le Velvet Underground des chambres froides. La première chose, avec Arab Strap, c’est qu’on a envie de monter le son. Pour plein de raisons. Pour percer la grisaille de ces disques enveloppés d’un brouillard gluant, faire tressauter ces chansons à l’encéphalogramme plat, briser la ligne isotherme […]
Aucun signe de réchauffement chez les Ecossais d’Arab Strap, le Velvet Underground des chambres froides.
La première chose, avec Arab Strap, c’est qu’on a envie de monter le son. Pour plein de raisons. Pour percer la grisaille de ces disques enveloppés d’un brouillard gluant, faire tressauter ces chansons à l’encéphalogramme plat, briser la ligne isotherme qui les relie l’une à l’autre, hausser la température de cette voix terne et polaire, réchauffer cette instrumentation engourdie qui, tel un névé, alimente des mers de glace où se noient des mélodies fossilisées. Pour mieux entendre les paroles aussi. Mieux saisir la teneur de ces scènes de boulevard sépulcral boulevard du crépuscule , où les portes claquent dans le vide, où les placards sont plein d’amants cadavériques, où le seul panache des cocus consiste à se venger d’eux-mêmes, en noyant leur aigreur dans la bière et les jeux vidéo. La chair est triste chez Arab Strap : des couples dépareillés mêlent, en des corps-à-corps désabusés, leurs sueurs froides sur le dance-floor des boîtes à partouze, les afters ont un goût de came mal digérée, la lumière des stroboscopes hante des demi-sommeils agités. Toutes réjouissances déjà largement étalées sur les deux premiers albums (The Week never starts round here et Philophobia) de ce duo d’Ecossais mal léchés, antihéros patentés, voyeurs obsessionnels du gâchis de leur propre vie. Deux Ecossais que le succès n’a pas beaucoup changé. Même courtisés par les plus grandes maisons de disques, Aidan Moffat et Malcom Middleton, allergique au grand air, restent les mêmes chroniqueurs des alcôves viciées et des petites misères sexuelles, pornographes mélomanes consignant sur disque, et sans la moindre distance, l’horreur des sentiments mal définis, l’ennui des vies dévoyées et la brutalité des étreintes forcées, confessions d’ordinaire réservées aux pages des carnets les plus intimes. Ici, autant les mots agressent, autant la musique, faite essentiellement d’arpèges de guitare et de notes de piano s’enroulant autour de beats martiaux, s’immisce, s’insinue, irrigue lentement les sens puis, comme une lame de fond, emporte irrémédiablement l’adhésion. Anciens pauvres que leur bonne fortune intimide, Moffat et Middleton usent avec circonspection de l’austère boîte à rythmes des Young Marble Giants (One four seven one), font donner un violoncelle lugubre et indécent (Autumnal), remontent des boîtes à musique désossées, avant d’emboucher les trompettes d’un Robert Wyatt saturnien et débauché (Tanned). Sinon, c’est toujours le même blues postdépressif, sujet à des accès de lyrisme ponctuel, comme pour mieux retomber dans sa fausse léthargie, déni d’une évidente mais souterraine beauté, d’une puissance mal contenue ; la même pop oppressante, brisant les réticences par les fondations, faisant s’écrouler toutes les résistances. Car après s’être rejoué sans cesse des chansons qui s’enfuient cent fois pour toujours revenir ensuite, on finit par se vautrer dans Arab Strap. Et on se vautrera encore longtemps dans cet Elephant shoe luxurieux et luxuriant, porteur de tous ces démons ordinaires qu’on ne finira jamais d’exorciser.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}