Voilà quelques saisons déjà qu’on nous rebat les oreilles avec cette pseudo nouvelle vague électro, censée révolutionner en profondeur l’esthétique jazz dans ses sonorités, ses pulsations intimes, son rapport au temps, ses dispositifs compositionnels… Petit panorama sur ce vaste fourre-tout dont l’hétérogénéité esthétique mais aussi la richesse ne font que se révéler et s’accentuer au fil du temps.
Si l’on passe rapidement sur toutes ces pseudo fusions branchées entre jazz et musiques électroniques, pour la plupart recyclages rapides, opportunistes et à peine dissimulés, des vieilles recettes éculées de l’acid jazz du début des années 90 (le néfaste St Germain est sans doute l’emblème le plus tape-à-l’œil de cette fâcheuse tendance) on peut néanmoins trouver d’authentiques projets basés sur la rencontre effective entre ces deux univers, beaucoup moins éloignés qu’on le croit à première vue.
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Ainsi, même si l’on peut juger d’une influence encore trop insistante du Miles Davis seventies électrique sur leurs musiques respectives, le scandinave Nils Petter Molvaer (en photo) et le français Erik Truffaz proposent indéniablement, avec leur ambient-jazz pulsé de rythmiques fantomatiques et lancinantes, d’intéressantes perspectives au jazz de demain. Leurs derniers disques (Recoloured (Universal) pour Molvaer et Revisité (Blue Note/EMI) pour Truffaz) en s’abandonnant sans réserve au « grand jeu » du remixe généralisé (de Alex Gopher à Pierre Henry pour l’un ; de Cinematic Orchestra à Deathprod pour l’autre), parviennent même pour la première fois à ouvrir véritablement de nouveaux horizons au jazz, en proposant des musiques où le rapport au corps (fantomatique), au temps (dilaté, cyclique), à la dialectique compositionnelle individu/collectif (avec cette volonté marquée d’aller vers toujours plus de dépossession et d’anonymat) tranchent définitivement sur la tradition.
Autre tendance, toujours nordique, celle du claviériste norvégien Bugge Wesseltoft, tête de file incontestable de la nouvelle scène scandinave avec son groupe New Conception of Jazz : une musique marquée par l’influence d’Herbie Hancock, à la fois légère et raffinée, mêlant habilement électronique et instruments acoustiques, flirtant résolument par endroit avec la dance en rythmiques obsédantes, sans jamais vraiment sortir de la sphère du jazz, avec cette façon de toujours mettre en avant un instrument soliste.
On retiendra également en France, dans un esprit voisin, le projet électro-hard-bop, lui aussi très marqué par le Herbie Hancock des années 70, du pianiste Laurent DeWilde, ainsi que la nouvelle orientation du saxophoniste Julien Lourau, en rupture de Groove Gang, qui dans une version plus world et métissée, fait joliment progresser son univers vers ces zones incertaines.
La plupart de ces artistes se retrouvent aujourd’hui compilés dans un disque assez pertinent du label Blue Note, intitulé The New Sound Of Jazz (EMI), dont l’ambition est précisément de rendre compte de cette tendance forte du jazz contemporain.
Pourtant c’est plus sur un autre versant de la jazzosphère, dans les liens toujours plus étroits entre électronique et musiques improvisées, que l’on trouvera aujourd’hui les tentatives les plus abouties et palpitantes. Le duo de musique électroacoustique Kristoff K. Roll, notamment, né en 1990 du désir d’intégrer l’improvisation à l’univers acousmatique, invente une musique concrète et imaginaire des plus stimulantes surtout lorsqu’il croise sa pratique avec quelques grands noms de l’improvisation libre comme Daunik Lazro ou Xavier Charles.
Autre direction possible, celle d’Erik M., DJ azimuté, expérimentateur fou de platines détournées, partenaire occasionnel des plus grands visionnaires du genre (Otomo Yoshihide, Christian Marclay…), que l’on peut entendre à l’occasion soit en solo, soit en duo avec la jeune pianiste Sophie Agnel, ou encore au sein de l’iconoclaste collectif Poire Z+. On retiendra enfin dans ce rapide petit panorama, l’electro-spectral-dance-jazz du groupe Ambitronix, composé du pianiste Benoît Delbecq et du batteur britannique Steve Argüelles, espèce de musique électronique mutante totalement improvisée, recyclant en samples instantanés la musique en train de se faire, dans un processus infini. Là se profilent véritablement d’immenses continents musicaux inexplorés.
A écouter :
Nils Petter Molvaer Recoloured (Universal)
Bugge Wesseltoft Moving (Jazzland/Universal)
Ambitronix Ambitronix (Plush/Chronowax)
Erik Truffaz Revisité (Blue Note/EMI)
The New Sound Of Jazz (Blue Note/EMI)
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