Toujours instable, indocile et emballant, le vacarme des Butthole Surfers passe de l’ingéniosité au génie. Fil rouge : ça fait du bruit. Lorsqu’en 1992 les Butthole Surfers poussent pour la première fois la porte des locaux du tout-puissant label Capitol, ils sont hilares. Après dix ans de maquis indépendant et autant de disques d’une précarité […]
Toujours instable, indocile et emballant, le vacarme des Butthole Surfers passe de l’ingéniosité au génie. Fil rouge : ça fait du bruit.
Lorsqu’en 1992 les Butthole Surfers poussent pour la première fois la porte des locaux du tout-puissant label Capitol, ils sont hilares. Après dix ans de maquis indépendant et autant de disques d’une précarité absolue, sur ces paillassons où tant d’autres s’empêtrent dans des justifications d’un autre âge ou dans le plus cru des cynismes, les Texans n’affichent qu’une goguenardise à l’épreuve des balles. Enfin, les voici sous la bannière de leurs idoles de toujours : Grand Funk Railroad. Pour comprendre quelle influence le trio pachyderme et néandertalien a bien pu exercer sur les Butthole Surfers (littéralement les Surfers du Trou du Cul), il faudrait d’abord que Paul Leary, King Coffey et Gibby Haynes (également P-ivot du groupe de Johnny Depp) nous rassurent quant à l’état du mange-disques, vraisemblablement apoplectique et aléatoire, qui laboura comme un mufle leurs premières amours. Le hasard faisant notoirement bien les choses, nous échappons au pire, mais nous plongeons en pleins sables mouvants, au royaume de l’incongru et de l’instable. Pas plus sérieux et domestiqué que son prédécesseur (Independent worm saloon), Electriclarryland enfonce toutes les portes et, dans le gigantesque courant d’air inhérent, brouille toutes les pistes. Fil rouge : ça fait du bruit. Ensuite, entre ses volutes savonneuses et ses tollés patraques, il est difficile de traiter le résultat comme une entité. Aucun de leurs albums, si ce n’est l’aride et assez moyen Pioughd (1991), témoin d’une transition entre les années Rough Trade et l’ère Capitol, ne saurait être une marche logique au sein d’un cheminement clair. Les Butthole Surfers picorent, fouinent, entre leurs foucades et l’air du temps, sans programme ni direction. Chaque disque s’appréhende comme une compilation d’humeurs, où chaque titre bouscule les autres sans ménagement, pour imposer son propre discours, ses propres logorrhées sonores. Il faudrait du coup s’attarder sur toutes les compositions et leur torturer la moelle sur le divan. Seul un concept nihiliste, dérangé mais volontaire, cimente l’ensemble pour en faire une œuvre cohérente. Si les liens entre le hardcore rugueux du premier titre exhibé ici Birds, fruit d’un stage en asile avec les Dead Kennedys et le joli refrain imbibé du second Cough syrup sorte d’hymne mutant composé sur la carcasse des Psychedelic Furs et de John Boorman dans les marais de Délivrance ne relèvent pas de la stricte évidence, c’est bien le même groupe d’explorateurs impénitents qui en parraine les déviances. Comme tous les chercheurs, les Butthole Surfers pointent parfois chez Nimbus, s’égarent trop loin dans les méandres de la folie et de l’inepte. Mais ils peuvent aussi breveter une alchimie géniale et imparable. Et, bonne aubaine, Electriclarryland regorge de cette rocaille philosophale. Parlons notamment de Pepper, leur premier single digne de ce nom depuis une reprise atomisée du Hurdy gurdy man de Donovan. Sur une calandre dérobée chez Beck, le trio (depuis le départ de leur bassiste Mark Pincus) d’Austin greffe les pulsions d’un vague hip-hop rechapé, aussi pétillant que lunatique. Invoquons dans la foulée les dérapages de comptoir de Let’s talk about cars, en français dans le texte, le boogie étouffé sous trois tonnes d’édredons de Thermador, la poésie fermière et claudicante de TV star ou la virilité gauche d’Ah ah et Ulcer breakout. Tels des Sonic Youth du punk rural, tel un Gun Club carbonisé par le soleil du Sud profond, les Butthole Surfers pavent chacune de leurs chansons de bonnes intentions pacifiques, mais n’arrivent jamais à en clore l’exécution sans un crochet difforme ou une bifurcation maboule. Alors, simples malades, touche-à-tout divins ou cleptomanes incurables ? Le dossier est trop épais, trop riche pour nous permettre de statuer.