Saines de corps et ludiques d’esprit, jamais gagnées par le bourdon, les trois abeilles new-yorkaises de Luscious Jackson butinent pop et hip-hop tout au long d’Electric honey, leur réjouissant troisième album. Nouvelle preuve que la gelée Grand Royal est un remède miracle. Les gens s’attendent à ce que les artistes soient des fous, imprévisibles. Etre […]
Saines de corps et ludiques d’esprit, jamais gagnées par le bourdon, les trois abeilles new-yorkaises de Luscious Jackson butinent pop et hip-hop tout au long d’Electric honey, leur réjouissant troisième album. Nouvelle preuve que la gelée Grand Royal est un remède miracle.
Les gens s’attendent à ce que les artistes soient des fous, imprévisibles. Etre irresponsable fait rêver. Moi, je trouve cette irresponsabilité, cette folie du monde de la musique assez repoussante. Je trouve très important de ne pas se laisser prendre dans ce que les gens attendent de moi ; en tant qu’artiste, je suis censée être fofolle, capricieuse, droguée, faire des mines, avoir un comportement de diva, etc. Ça me navre d’être plus ennuyeuse que ça, mais je préfère être ennuyeuse que folle, même si ça n’a pas le même intérêt pour les gens. Mais moi je trouve ça intéressant (rires). » Jill Cunniff, chanteuse, bassiste. Une profession de foi très saine. Les trois filles de Luscious Jackson quatre auparavant, la quatrième les ayant quittées pour cause d’épuisement, preuve qu’elles ne mènent pas non plus une vie de moine n’ont rien de prima donna foldingues ou d’actrices à la manque. Sérieuses et consciencieuses, elles sont d’agréable compagnie : elles ne tombent jamais dans le rôle de l’artiste concerné, donnent l’impression de ne jamais rater une occasion de se marrer. Prenant tout avec humour et philosophie, elles discutent à bâtons rompus, persiflent sympathiquement à bout portant et rigolent de tout. Bref, font preuve d’une clairvoyance et d’un recul rafraîchissants, d’une finesse d’esprit intéressante.
Ces trois marrantes Jill Cunniff, Gabrielle Glaser et Kate Schellenbach, amies depuis l’adolescence se sont rencontrées alors que, précoces, elles écumaient les bars, boîtes et salles de concert de New York. Mentant sur leur âge, s’inventant des identités de journalistes bidons pour entrer sans encombre dans les fascinants lieux de perdition new-yorkais à 14 ans aux Etats-Unis, ce n’est pas vraiment simple de picoler tranquille dans un bar, ou même d’assister à un concert , elles deviennent la coqueluche de patrons de boîtes bienveillants ravis de voir des gamines mettre de l’ambiance dans leur club. Se mettant réellement à jouer ensemble quelques années plus tard, elles concrétisent leurs affinités musicales autour des Beastie Boys. Kate fut un temps batteuse des Boys, elles assurent leurs premières parties et finissent par transformer leur première demo In search of Manny en maxi sur Grand Royal, alors tout nouveau et tout frais label. Bonne affaire pour les unes et les autres : Grand Royal inaugure là sa chouette direction artistique, In search of Manny augure de la carrière constamment en progrès des filles. Jill Cunniff : « Ça a été très utile d’avoir les Beastie avec nous, ils prenaient tout en charge. Au début, que l’on parle des Beastie Boys à chaque fois que l’on parlait de nous, ça nous a aidées : les gens savaient nous situer, ils comprenaient, savaient de quel monde on était. C’était cool. Ce qui fut moins cool, c’est que les gens s’attendaient à ce qu’on soit comme eux, qu’on ait le même genre de personnalité. La façon dont ils se vendent, se mettent en scène, ce n’est pas nous. Ce n’est pas qu’on soit moins intéressantes ou quoi, c’est juste que nous ne sommes pas comme eux. Il aurait fallu que dans nos vidéos on joue des personnages, parce que eux jouent des personnages, etc., on ne pouvait pas faire ça. Ces types sont de vrais comiques, les gens s’attendent à ce qu’ils fassent de l’humour dans leurs clips. Nous, nous ne sommes pas des comiques. Notre musique, la plupart du temps, est beaucoup plus sérieuse. Quand j’écris des chansons, elles ne sont jamais très humoristiques, je ne me marre pas en faisant de la musique. »
Cette dualité on aime bien la rigolade mais on est sérieuse quand même et vice versa se retrouve de façon parfaitement flagrante dans leurs albums. Bien construits et groovy. Impeccablement structurés, et pourtant, la folie y rôde. Foutus comme des dieux mais jamais pisse-froid. Toujours souples, et jamais fourre-tout malgré les influences multiples. Fans de new-wave et de punk lors de leurs folles virées de jeunesse, puis à fond dans le hip-hop lors de leurs débuts musicaux De La Soul, Jungle Brothers, Queen Latifah, Sugar Hill Gang , elles ont dès leur premier album, Natural ingredients, utilisé le sample au maximum de ses possibilités. L’inspiration florissante, elles ont incorporé funk et technologie, hip-hop et chanson. Le classique de la mélodie se frotte là au débridement du rythme, provoquant alors des sensations inédites.
Précurseurs, certainement : en 1994, la pop féminine en était à la guitare, un tel mélange n’avait pas encore été osé. « Un son de batterie, une guitare acoustique et une sirène par-dessus, on trouvait ça fantastique. » En 96 sort Fever in fever out, même veine, un peu moins inédit, avec un tube, Naked eye. Suivent tournées et concerts épuisants à travers tous les Etats-Unis, où elles écument jusqu’aux moindres villes fantômes du Midwest. C’est que Luscious Jackson ne rechigne pas devant l’effort. L’épuisement guette et le clavier s’en va. Rien pourtant ne les abat, l’écriture et l’enregistrement d’Electric honey commencent, les invités et les producteurs vont et viennent, dans une sarabande digne de l’énergie positive que dégagent les trois rescapées. La crème des années 80 Debbie Harry, Tony Visconti côtoie les amis, Emmylou Harris, Alex Young leur DJ de scène et Tony Mangurian, leur producteur de longue date. Les tâches sont clairement réparties il ne faudrait pas non plus que la confusion règne, ces jeunes filles responsables savent où elles vont et ont envie d’y arriver et la démocratie n’est pas toujours de mise : Jill et Gaby écrivent chacune de leur côté, Kate arrive avec la batterie et coproduit. Pas de place au hasard, apparemment pas un cheveu qui dépasse, et pourtant, ça fonctionne, chacune ayant la liberté totale de ses choix.
Electric honey au final est encore un sublime mélange de hip-hop, pop et funk, avec maintenant une tendance à privilégier la joliesse des mélodies au détriment de la puissance du rap (Christine, Summer daze). Comme pour honorer encore mieux les chansons et contrairement à pas mal d’opportunistes pop flairant la super cagnotte qui plaquent des rythmes dance ou groove sur des mélodies parce que ça se fait , elles noient de plus en plus leur base hip-hop sous des airs travaillés et classiques, épurés, presque folk. Fascinées les unes et les autres par l’art du songwriting et par les compositeurs classiques américains, éclectiques, elles avouent même s’inspirer de Bobby Gentry sur les morceaux les plus acoustiques de l’album (Friends, Fly, Lover’s moon). Gaby Glaser : « Daniel Lanois producteur du deuxième album est venu chez moi une fois, et je lui ai fait écouter des disques avec lesquels il n’était pas très familier, Nashville skyline de Bob Dylan, des trucs de Neil Young. Ça l’a fasciné, il s’est demandé comment on pouvait faire la musique qu’on faisait alors qu’on écoutait ce genre de disques (rires). Mais pourquoi pas ? »
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