Fermement accroché à sa marge, Soul Coughing continue sa guerre contre les tics et les étiquettes riquiqui du rock. C’était il y a quatre ans déjà avec l’album Ruby Vroom. A peine lancé et passé le succès d’estime, Soul Coughing recevait son épithète en boomerang, implacable : “intellectuel” ! Diable ! Le coup était rude. […]
Fermement accroché à sa marge, Soul Coughing continue sa guerre contre les tics et les étiquettes riquiqui du rock.
C’était il y a quatre ans déjà avec l’album Ruby Vroom. A peine lancé et passé le succès d’estime, Soul Coughing recevait son épithète en boomerang, implacable : « intellectuel » ! Diable ! Le coup était rude. Pourquoi pas « intelligent » pendant qu’on y est ? La riposte allait être difficile. Les quatre
New-Yorkais s’y essayaient mollement, s’escrimant, au fil de mornes interviews, à passer pour d’ineffables crétins plantés à longueur de journée devant X-files, mais récidivaient malencontreusement avec Irresistible bliss, album plus mûr, plus sombre aussi, proposant une musique âpre, tendue, violente dans la retenue, assez disgracieuse. Une musique à la hauteur de la voix vénéneuse de Doughty, sinistre crissement monocorde, mais possédant un indéniable pouvoir de fascination dans cette façon obstinée de creuser son sillon, entre free-rock sensuel,
trip-hop industriel et dépressif, drum’n’bass cérébrale, le tout en une synthèse habile relevant autant de la sphère traditionnelle du rock que de certaines tendances avant-gardistes habituées des nuits de la Knitting Factory de Manhattan. On parla alors de « blues-hip-hop torturé », de « beat-hop-jazz-rock », c’est dire si l’on y voyait plus clair… Le groupe était arty, poseur, prétentieux, on citait Talking Heads et le Velvet. Et comme Mark De Gli Antony aux samplers se reconnaissait quelque admiration pour Thelonious Monk, on alla même jusqu’à parler de jazz le cas était encore plus grave que prévu…
Alors, bonne nouvelle : Soul Coughing en a pris son parti et persiste crânement dans sa valse déjantée des vieilles étiquettes. En prenant comme emblème de son nouvel enregistrement El Oso, le petit ours subversif qui faisait la nique à Mickey dans les années 30, le groupe se situe très précisément et avec beaucoup de lucidité sur l’échiquier plus industriel qu’esthétique du rock d’aujourd’hui en marge, définitivement. Alors certes, avec ce groove sec, tendu, clinique, ces mélodies minimalistes bizarrement torsionnées, cette fausse sensation de monochromie (les gris bleutés) basée sur un travail de samples parmi les plus créatifs du moment, insufflant en couches successives truffées d’infimes décalages toute une vie souterraine de motifs abstraits enchevêtrés venant considérablement piéger la rythmique lancinante, cette musique demeure peu aimable, dérangeante, énervante, tout ce que vous voulez. Mais c’est sa force, cette façon paradoxale, terriblement urbaine, de respirer l’air vicié du temps à la fois cynique, roublarde, dans sa façon de recycler tout ce qui traîne en gardant ses distances et curieusement naïve et humble dans son souci de se coltiner à la matière brute du réel : ses bruits, ses rythmes, sa violence, son absurdité.
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