Grâce à Tortoise, les vétérans d’Eleventh Dream Day embarquent leur folk-rock mélancolique dans l’espace. Si elle n’avait pas ce côté Poulidor, laborieux, on décernerait volontiers à Eleventh Dream Day la médaille de la survivance. Et à Rick Rizzo, âme du groupe, celle de la résistance à l’imbécillité : plus de dix ans à se battre […]
Grâce à Tortoise, les vétérans d’Eleventh Dream Day embarquent leur folk-rock mélancolique dans l’espace.
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Si elle n’avait pas ce côté Poulidor, laborieux, on décernerait volontiers à Eleventh Dream Day la médaille de la survivance. Et à Rick Rizzo, âme du groupe, celle de la résistance à l’imbécillité : plus de dix ans à se battre contre la myopie et la surdité de l’industrie du disque, qui tenta de faire passer le groupe de Chicago pour un nouveau REM, un nouveau Nirvana… Mais seulement, Eight ne se ressent à aucune seconde de l’ingratitude dont ce blues-rock anorexique est la victime favorite depuis l’époustouflant Prairie school freakout de 1988. Tout au plus la rage froide s’est-elle muée en mélancolie très digne Rick Rizzo fréquente Palace, son épouse, batteuse et parfois chanteuse, Janet Beveridge Bean, illumine également le folk ombrageux de Freakwater. Tout au plus Eight possède désormais ce petit souffle au cœur, cet affaissement de la voix qui fait d’Eleventh Dream Day les plus directs et crédibles héritiers de Neil Young. Il faudra s’y habituer : comme souvent désormais lorsque le rock fréquentera intimement l’intelligence, il y a du Tortoise sous roche. Ici, le groupe déjà fondamental de Chicago tient la basse (les pulsions très aquatiques de Doug McCombs) et la table de mixage (le génial John McEntire fait une fois encore des prodiges avec la profondeur de champ). Le résultat de ce choc culturel le rock agraire et économe d’Eleventh Dream Day contre les époustouflantes trouvailles sonores de Tortoise, c’est un peu la mare de la ferme filmée par les sous-marins de poche de Cousteau impressionne et ouvre de sacrées portes : ainsi, on pourrait donc confier Tonight’s the night à Tricky, faire produire John Fogerty par Brian Eno. Jamais avait-on entendu des boucles de xylophone sur une folk-song en larmes, des synthétiseurs discrets sur une ballade de bois, du dub industriel de ce côté-ci du lac Michigan, les synthés antédiluviens de Roxy Music sur une trash-song à la Sonic Youth (Two smart cookies). Mais il y a plus imposant (reposant) encore : après nous avoir réconciliés, sur les disques de Tortoise, avec la musique instrumentale la grande affaire de cette fin de siècle, dont il accompagne parfaitement l’extinction des voix , John McEntire impose ici au chant un rare minimum syndical. C’est un peu comme s’il avait envoyé Rick Rizzo et Janet Beveridge Bean prendre des cours de chant chez le mime Marceau : silence radio sur le très beau Writes a letter home, économie de mots sur le magnifique Insomnia, un début de conversation tardif sur l’abyssal For a king. Jusque-là groupe constamment doué dans un genre ingrat le folk-blues-rock des garages n’autorise que rarement le génie , Eleventh Dream Day s’offre ici un vertigineux voyage dans le post-rock, saute les barrières de son corral pour gambader dans des prairies gris aluminium. Pour la première fois, des cowboys se sont embarqués dans un vaisseau spatial, des pionniers traînent leur carriole vers la Voie lactée : le Far West s’étend désormais de Jupiter à Neptune.
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