Pour la sortie du cinquième album de son groupe Eels, le pas très loquace E. se plie à l’exercice de l’interview. Où il est question de Bush, de barbe et de ce mémorable Shootennany.
Shootennany est ton septième album, et le cinquième de Eels, en es-tu satisfait ?
Ouais, en quelque sorte. C’est difficile d’être complètement satisfait de son travail quand on sort aussi peu d’albums. Je privilégie la qualité à la quantité. Et j’essaye de faire mieux à chaque fois. Ceci-dit, je suis quand même content du résultat.
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En combien de temps l’as-tu composé ?
En très peu de temps, en une semaine seulement.
Qu’est-ce qui a inspiré les textes de l’album ?
La vie, la télévision aux States, les gens autour de moi.
Quel était ton état d’esprit quand tu as écrit les chansons ?
Chaque morceau a son état d’esprit. Cela se ressent assez clairement en écoutant l’album.
Est-ce que les drogues ont participé au processus de création ?
Non, je n’en ai pas pris cette fois. La drogue est une très mauvaise idée quand tu écris des chansons. Quand tu fumes un joint, tu prends ta guitare, t’écris une chanson dans la foulée et tu te dis que c’est la meilleure que tu aies jamais faite de ta vie. Sauf que le lendemain, quant tu réécoutes l’enregistrement sans avoir fumé, tu te rends compte à quel point c’est horrible. Autant s’en passer…
Comment décrirais-tu Shootennany en quelques mots ?
Electrique, blues, pop. C’est comme cela que tu devrais en parler !
Pourquoi as-tu choisi Shootennany comme titre d’album ?
Je trouvais que ça sonne bien. C’est marrant…
Les autres musiciens ont-ils participé à la composition ou as-tu tout fait toi même ?
J’ai produit et composé l’essentiel des chansons de l’album. Quatre ont été écrites en commun et j’ai fait le reste. Je prends pas mal d’idées des gens qui sont autour de moi. Il faut aussi accepter l’avis des autres. Même si la plupart des suggestions sont souvent mauvaises mais de temps en temps, il y a en a une bonne! De toute façon, il faut considérer les mauvaises pour se rendre compte des bonnes.
Serais-tu perfectionniste ?
D’une manière, mais d’une drôle de manière. Je suis un perfectionniste imparfait. J’aime les choses qui me semblent parfaites mais cela ne signifie pas forcément qu’elles le sont pour d’autres. Je travaille très vite. Et s’il y a quelque chose qui ne colle pas, je ne vais pas l’arranger nécessairement. Je ne veux pas que le son soit parfait mais vivant. C’est ainsi que je suis perfectionniste.
Est-ce que tu as expérimenté des nouveaux sons dans cet album ?
Oui, comme à chaque fois. Mais la grande différence de ce disque, c’est que nous l’avons enregistré en direct. Le son est live. D’ordinaire, il y avait plus d’expérimentations parce qu’on enregistrait morceau par morceau, instrument par instrument.
Tes précédents disques étaient introspectifs. Qu’en est-il de celui-là ?
C’est pareil. Je poursuis ma psychanalyse dans Shootenanny.
Agony est une chanson très pessimiste. Elle aborde des thèmes comme la vieillesse, la peur, la mort. Est-ce que ces sujets représentent une phobie pour toi ?
Oui, apparemment. J’étais dans un mauvais jour, un peu triste quand je l’ai écrite. Mais ce qui est génial, c’est qu’après, je me suis senti beaucoup mieux. L’écriture soulage ma dépression. C’est une manière de m’encourager. Quand tu es vraiment mal en point et que t’écris une chanson comme Agony, ça te donne de l’espoir.
Tu as écrit beaucoup de chansons douces. The good old days est une berceuse. Eprouves-tu le besoin d’écrire des chansons tranquilles ?
Je peux être quelqu’un d’assez doux. J’aime bien les chansons tristes et les chansons rock aussi. Les chansons graves et douces.
Es-tu réellement un loup solitaire ?
Oui, j’ai bien peur de l’être. Parfois, il faut bien admettre ce que l’on est.
En écoutant Shootennany ou les albums précédents, il y a différentes atmosphères, différentes couleurs. Certaines chansons sont gaies et d’autres plus mélancoliques, est-ce que cette diversité reflète ta personnalité ?
Sans doute. Que l’on écrive sur soi-même ou sur des personnages fictifs, on retrouve toujours des éléments de sa personnalité dedans. Ce qui te passe par la tête quand tu écris transparaît et reflète ton état d’esprit. On ne peut rien y faire, c’est ainsi…
Qu’en est-il de la bande-son de Levity de Billy Bob Thornton sur laquelle tu as oeuvré ?
Ouais, c’était cool ! Le film sort en ce moment aux Etats-Unis. Il devrait apparaître sur vos écrans dans quelques mois.
Et ton projet avec MC Honky I am the messiah ?
Nous travaillons sur ce projet depuis quelques années. C’est sur le point de voir le jour. J’en ai fait une page entière sur le site internet du groupe. J’en ai beaucoup parlé. Ce mec est un génie mais c’est toujours difficile de travailler avec lui. Il est très exigeant.
Apprécierais-tu refaire une BO ?
Franchement, je ne sais pas. J’aimerais bien mais je déteste le business du cinéma. C’est difficile de s’entendre avec ces gens-là. C’est comme les hommes politiques, on ne peut pas se fier à eux. Pourtant, j’ai le goût pour ça.
Quelles sont tes influences musicales ?
Il y en a tellement, trop même, que je ne pourrais pas te dire.
Est-ce que tu te sens proche musicalement d’autres groupes ?
Non, pas vraiment.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
Juste les trucs de Eels sur lesquels je travaille. Je ne dispose que de très peu de temps pour écouter d’autres musiques…
Est-ce que tu écoutes toujours les précédents disques ?
J’écoute plus trop les anciens. D’une, parce que je n’ai pas vraiment le temps et d’autre part, parce que je ne vois pas l’intérêt de les réécouter. Il y a trop de choses que j’aurais envie de modifier ! Par contre quand je donne des concerts, j’aime bien piocher les morceaux un peu par ci un peu par là…
Quel est ton meilleur album ?
Je ne préfères pas choisir, j’aurais trop peur de rendre les autres jaloux. Je ne tiens pas à dire que Shootenanny est le meilleur. Je ne voudrais pas heurter la sensibilité de Souljacker et dire que Daisies of the galaxy est un chef d’ uvre. Je m’efforce de ne pas faire de favoritisme. Mais, entre nous, Shootenanny est le meilleur! Ne le dis surtout pas aux autres (albums)…
Quel est le meilleur moment de la journée pour écouter Shootennany, le matin au réveil ou le soir avant de s’endormir ?
C’est quand tu es posé avec ta copine et que tu fais l’amour. On peut donc l’écouter le matin, l’après-midi, le soir. A n’importe quelle heure de la journée. Il te reste plus qu’à mettre le disque dans le lecteur et appuyer sur la touche « Repeat » !
Tu t’es récemment rasé la barbe, était-ce pour changer d’image ou pour séduire les filles ?
Non, bien au contraire. Depuis que je n’ai plus la barbe, j’attire moins les filles qu’avant. Les femmes raffolent de ça. En la rasant, j’ai perdu le principal aspect de ma virilité. Du coup, je ne sais plus comment faire pour changer cela. T’as une suggestion ?
Et bien, tu n’as plus qu’à te la laisser repousser… (rires)
Changeons de sujet, que penses-tu de la campagne américaine en Irak ?
J’étais sur la liste noire de Georges Bush pendant qu’il était en campagne présidentielle. Il utilisait l’album de Eels, Daisies of the galaxy, comme exemple d’obscénité, de subversion à cause de la pochette. Il y a dessus beaucoup d’enfants et selon lui la chanson It’s a motherfucker prêtait la confusion. Bush disait que ça excitait les enfants et que ça ranimait chez eux le complexe d’Oedipe. C’est complètement absurde comme raisonnement. Franchement, il n’y a pas de quoi en faire toute une affaire. Le président est complètement fou. C’est lui le psychopathe, pas moi.
Est-ce que tu t’es associé à d’autres musiciens afin d’exprimer ton engagement contre la guerre et contre l’administration Bush ?
J’ai arrêté de suivre la politique américaine depuis longtemps. Ce n’est que du show-biz, du mensonge et de la connerie ! Et je ne pense pas que les rock stars qui s’engagent contre la guerre y changeront quelque chose. C’est une perte d’énergie et de temps. John Lennon était plus efficace quand il chantait Power to the people. Je m’intéresse d’avantage à la petite politique, celle de proximité. C’est à ce niveau là que tu peux changer les choses et agir. Je ne suis pas sûr que Lenny Kravitz, en chantant contre la guerre, a beaucoup d’impact…
Quand est-ce que vous allez jouer vos nouveaux morceaux en France ?
On sera à Paris le 25 juin. Nous reviendrons quelques mois plus tard, sûrement en septembre.
Aujourd’hui, quel regard portes-tu sur ton parcours dans Eels ?
J’ai le sentiment d’avoir réussi. Mais je continue et essaye encore de faire mieux à chaque fois. C’est un véritable challenge. Je n’ai pourtant jamais eu d’Oscar ou de récompense mais de toute façon, cela n’a aucune valeur pour moi. Ce qui compte, c’est de continuer à faire des bons albums. Il n’y a que comme cela que j’ai l’impression d’avancer.
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