Mystique et militant, le rappeur de São Paulo transgresse les codes du live et délivre un message insurrectionnel. En attendant de la croiser à Rennes dans le cadre des Trans Musicales, rencontre au Brésil avec celui qui se définit comme un “artiviste”.
Il y a des artistes dont seul le Brésil peut accoucher. Edgar est rappeur, artiste, performer, militant écologiste… Dans la maison de São Paulo qui abrite son collectif d’artistes, il nous accueille avec entrain : « Ça, c’est ma chambre. C’est là que je confectionne mes tenues de scène à partir de matériaux récupérés« . Un bordel organisé qui cache une créativité et un activisme total. Avec ses yeux clairs pénétrants, sa taille fine et ses cheveux peroxydés, le maître des lieux à un petit air de Neymar. Pourtant, il est à l’opposé de ce que représente et véhicule la star mondiale du foot brésilien. Enfin, à un point commun près, puisqu’il nous accueille avec un maillot du FC Eshu, club imaginaire, sur le dos. « C’est aussi moi qu’il l’ai fait, explique-t-il fièrement. Eshu est un démon, c’est lui qui m’envoie les messages provenant de ma divinité. Mais je ne sais pas de laquelle il s’agit. Pour cela, il faudrait que je sache à quelles divinités étaient liés mes parents, et ça n’est pas le cas. En tout cas, le FC Eshu, c’est la véritable équipe du Brésil. » D’emblée, cette rencontre s’annonce spéciale.
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« Un dieu peut devenir humain, et inversement »
Malgré le fait que son album Ultrassom, sorti en 2018, ait connu un succès d’estime au Brésil, c’est avant tout sur scène que l’on comprend la dimension artistique de sa musique. Elle est faite de masques, de costumes qu’il enlève au fur et à mesure du show. Une sorte de conte contemporain, urbain et porté par des mythes, véhiculant une vision du siècle prochain. Sur l’estrade, il devient une espèce de robot futuriste venu de la montagne. « On dit que je me déguise, mais les rappeurs sont tous déguisés finalement, d’une manière ou d’une autre. Quand je porte des masques, je ne suis pas Edgar, je suis celui qui reçoit le message des divinités et qui le transmet. » D’abord, on ne distingue pas son visage. Il se grime en Dieu, puis se découvre petit à petit en homme. « Un dieu peut devenir humain, et inversement, cela crée une transe avec le public« , explique-t-il. Sa musique est électronique, souvent proche du spoken word, et très certainement contestataire. Ses cibles principales : les multinationales qui polluent son pays avec la bénédiction de l’État, et les défenseurs d’une vision traditionnelle de la famille.
L’élection de Jair Bolsonaro l’an dernier l’a renforcé dans ses convictions. « Sur les réseaux sociaux, il a fallu choisir son camp, et il était aisé de devenir une cible, surtout en tant qu’artiste. Des bulles se sont créées, les gens ne pouvaient plus parler entre eux, les fake news étaient partout. Je me suis mis à poster des images de la famille traditionnelle blanche brésilienne, des photos de Ken et Barbie, pour montrer ce en quoi je ne me reconnaissais pas. J’ai reçu des menaces de mort de tout type, des insultes absurdes disant que j’étais un sale communiste ou un travesti… » Souvent rangé dans la case bisexuelle, il refuse pourtant les étiquettes de genre et de sexualité : « Je n’aime pas porter de bannière. Je n’ai pas à montrer que je suis un homme ou une femme puisque je rejette n’importe quelle frontière entre les genres. Je peux me faire prendre en photo avec un travesti, ça ne dit rien de ce que je suis. L’idée, c’est de dépasser les genres pour se concentrer sur le cerveau, l’esprit plutôt que sur le corps. »
Sauvé de la rue grâce à son démon
Le Brésil est un pays magnifique, une usine à cartes postales. Mais il est aussi une terre d’hypocrisie. « Ici, on tue énormément de gays et de travestis, alors que c’est là que l’on se masturbe le plus en les regardant sur les sites pornographiques. C’est complètement contradictoire. Certains hommes les insultent quand ils sont dans la rue avec leur femme, mais dès qu’elle a le dos tourné, on sait ce qui se passe… » A ces débuts, Edgar abordait souvent le thème de l’influence nord-américaine sur son pays. La façon de s’habiller, de se comporter… Mais aussi l’incompétence des autorités à endiguer l’épidémie de drogues qui sévit. Son titre Crack só se for de Futebol dénonce cela. Si ce sujet lui tient à cœur, c’est parce qu’il y a encore peu de temps, Edgar vivait dans la rue. Issu d’une famille modeste, il a peu à peu plongé dans l’alcoolisme, dans la drogue, et dans la violence. « J’ai vécu dehors par choix car je ne voulais pas que ma famille me voie comme cela, qu’elle ait à subir mes excès et mes dépendances« , avoue-t-il. C’est sa spiritualité, sa croyance en Eshu, puis la musique qui lui ont permis de remonter la pente.
Peu après, ses convictions écologistes l’ont poussé à partir vivre durant un mois dans une communauté indigène en Amazonie. « A cent kilomètres à la ronde, il y avait des champs, les produits agro-toxiques étaient répandus par avion. Les gens qui habitent là se les prennent en pleine gueule. Il y a beaucoup de suicides dans ces communautés, et ça empire. » Cette conscience se traduit par des morceaux explicites, comme Plastico, l’un des titres phares de son album Ultrassom.
Certes, Edgar fait du rap, ou quelque chose de la sorte, en tout cas. Mais à cheval sur plusieurs mondes, il n’est pas réellement considéré comme un rappeur au Brésil. « Dans la musique brésilienne, être trans, travesti ou LGBTQ + n’est pas vraiment un problème. En dix ans, les choses ont changé, il y a du positif. Mais dans le rap, ça reste complexe. » Edgar est déjà venu se produire en France. C’était au Mama festival en 2018 puis au festival Les Escales de Saint-Nazaire, pour deux dates les 27 et 28 juillet derniers. « A la fin de mon spectacle, alors que je parle de la censure au Brésil, je me fais emballer entièrement de cellophane et poser une étiquette ‘attention fragile’. L’artiste est en danger constant, il doit rester vigilant. » Un « artiviste« , comme il le dit lui-même.
Edgar sera en concert le 6 décembre, aux Trans Musicales de Rennes
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