Une poignée de titres, une voix à la Nougaro et des textes sensibles sur fond d’electro-hip-hop moelleux ont placé Eddy de Pretto au sommet de la vague en quelques semaines. Récit de l’ascension foudroyante d’un gamin de banlieue rétif à tous les clichés.
“Je m’appelle Eddy de Pretto et je suis sur tous les réseaux sociaux.” Sur la scène du théâtre de Villefranche-sur-Saône, élégant, bonnet sur la tête, pantalon taille haute et chemise ouverte sur T-shirt blanc, Eddy de Pretto enclenche son iPod et lance un instrumental. Disposé sur la droite de la scène, son batteur au groove tranquille lui emboîte le pas et joue une rythmique hip-hop.
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De Pretto s’avance. Son corps s’étend, s’arc-boute, son bras droit s’avance dans l’air. Et la voix sort. Puissante, très puissante même, propulsée avec force depuis l’abdomen. Lyrique aussi, charriant dans ses “r” roulés des faux airs de Nougaro et cette façon de chanter le français à tue-tête, à pleins poumons.
Un passage très remarqué chez Yann Barthès
“Les âmes sensibles deviennent tactiles”, chante-t-il à présent dans Rue de Moscou, une de ses nouvelles chansons. Dans la salle, le charme opère sur le public – des têtes blanches ou grisonnantes – venu dans l’ensemble pour voir Juliette Armanet, qui suivra. L’affiche du festival Nouvelles voix en Beaujolais, ce soir 100 % française, est belle : Armanet, donc, de Pretto mais également Clara Luciani, qui rôdait, accompagnée d’un groupe très psyché krautrock, avec les magnifiques chansons de son très attendu premier album, prévu pour début 2018, tout comme celui de de Pretto.
Le jeune homme a en effet avancé la date de sortie du sien à début mars, suite au raz-de-marée provoqué par son premier ep Kid. Un quatre-titres qui a suffi en quelques semaines à en faire un petit phénomène et à générer une grosse attente. De Pretto a en effet mis le feu aux poudres en un passage télé très remarqué sur le plateau de Quotidien le 6 octobre. Yann Barthès reçoit ce soir-là Marina Foïs et les jeunes acteurs de L’Atelier, le film de Laurent Cantet.
“C’est la fête de trop/Moi j’lai faite et faite et ça jusqu’au fiasco/C’est la fête de trop/Regarde je luis de paillettes, et me réduis au chaos”
Seul sur scène accompagné de son iPod, de Pretto balance avec déjà beaucoup d’assurance Fête de trop, un titre dans lequel il raconte ses soirées de déglingue, son addiction à la nuit. “C’est la fête de trop/Moi j’lai faite et faite et ça jusqu’au fiasco/C’est la fête de trop/Regarde je luis de paillettes, et me réduis au chaos.”
Le grand public découvre un jeune homme un peu timide et attachant, qui répond moitié rougissant aux questions de Yann Barthès, surtout quand ce dernier lui parle de sa “gueule”. “Elle est spéciale, concède Eddy, mais je m’en sers, c’est devenu un point fort.” La fête se propage. Les grosses radios, Virgin, NRJ et RTL2, entrent dans la danse. Certaines ont propulsé le single en rotation maximale : 25 fois par jour, soit un passage par heure. Lancés dans la foulée, trois concerts à la Cigale en mars ne sont pas loin d’afficher complet. Impressionnant mais finalement pas si surprenant.
“Arrêtons de donner des noms aux choses”
Car ce jeune homme très talentueux originaire de Créteil, une banlieue proche de Paris, a quelque chose de furieusement contemporain. Il y a son talent bien sûr, sa façon, dans le sillage d’un Stromae ou d’une Christine And The Queens, de confronter un français très chanté à des rythmiques electro, hip-hop. Sa dégaine, survêt, baskets et corps de danseur élastique, lointain cousin du héros de Mommy de Xavier Dolan. Sa détermination à revendiquer, dans sa musique comme dans sa vie, un style non genré. “Arrêtons de donner des noms aux choses”, disait-il sur le plateau de Yann Barthès.
De Pretto est ainsi, dans un décloisonnement assumé, où les hiérarchies et les catégories anciennes, esthétiques ou politiques, n’ont plus cours, un monde où le masculin ne l’emporte plus sur le féminin. Dans ses chansons, dans ses textes, du frontal, pas de métaphore. Ses mots sont jetés comme les briques de Beaulieue, la banlieue qu’il a quittée, comme des gifles que l’on reçoit en plein cœur. On est loin d’une pop métaphorique et ensorceleuse à la Daho.
“Dans mon écriture, confirme-t-il, il y a quelque chose d’assez droit, sans filtre, sincère. J’ai mis du temps à assumer ça. Je ne me sentais pas très à l’aise avec mon premier degré. J’ai pas mal traîné dans le milieu alternatif parisien et j’ai toujours senti que ce côté chanteur populaire, premier degré, était mal perçu.”
Contre les diktats d’une virilité “abusive”
Début octobre, il sort son deuxième single, Kid. Un titre flamboyant, manifeste dans lequel il s’attelle à déconstruire les diktats d’une virilité qu’il qualifie d’“abusive” et dont l’époque post-Weinstein, à grand renfort de hashtag #metoo ou #balancetonporc, ne veut plus. “Tu seras viril mon Kid/Je ne veux voir aucune once féminine, chante-t-il. Tu seras viril mon Kid/Je veux voir ton teint pâle se noircir de bagarres et forger ton mental.” Ce titre, de Pretto l’a imaginé en s’inspirant de son histoire personnelle.
“J’avais cette phrase qui revenait sans cesse, et j’avais cette image de mon enfance : un jour, je m’étais enfermé dans la voiture dans le jardin de ma grand-mère et mon père était venu me voir en me disant ‘Arrête de pleurer, t’es pas une fille. T’es pas une chochotte.’ Je suis parti de ce ressenti, ça bouillonnait en moi. J’ai bien sûr un peu romancé et listé tout ce qu’un père pouvait m’ordonner.”
“Je crois que j’ai toujours aimé l’idée de scène, d’avoir de la légitimité dans cet endroit où justement tout peut être dit »
Eddy grandit dans une famille de la classe moyenne. La banlieue, mais le bon lycée catholique de Créteil. Sa mère est technicienne de laboratoire, son père chauffeur de poids lourds. Eddy est un gamin rêveur, aux idéaux un peu frustrés. “J’ai des souvenirs de mon père qui matait le foot dans le canapé et refusait de m’emmener au zoo, et de ma mère qui elle, essayait par tous les moyens de me divertir, de m’ouvrir à la culture.” Il forge sa culture en incorporant la chanson française que sa mère écoute à plein volume et à haute dose en passant l’aspirateur (Aznavour, Barbara, etc.), et le rap que les gars de son quartier écoutent en bas de la cage d’escalier.
A 11 ans, il est happé par le théâtre, puis par la musique et la danse. “En sport j’étais nul, j’étais toujours celui que l’on choisit en dernier pour faire une équipe”, se souvient-il amusé. Il rêve, en regardant les posters de Zac Efron accrochés dans sa chambre, à un destin à la High School Musical. “Je crois que j’ai toujours aimé l’idée de scène, d’avoir de la légitimité dans cet endroit où justement tout peut être dit. J’adorais ça et j’avais des facilités. J’étais toujours un peu le chouchou de mes profs de théâtre. ça me prenait aux tripes. Je me revois encore avec mon sac sortir du théâtre et courir pour rentrer chez moi en n’attendant qu’une chose, le lundi suivant pour y retourner.”
Des bars parisiens aux Inrocks Lab
L’envie de musique, d’un projet total dans lequel il pourrait chanter, danser et être sur scène germe lentement. Au début, Eddy n’a “pas les couilles d’assumer ce projet entièrement”. Il forme un groupe, chante les mots des autres. L’écriture vient, et les premiers titres naissent. On est en 2014-2015. Eddy chante dans des bars parisiens, le Kibélé dans le Xe, le Club dans le XXe. Il remplit les Trois Baudets, fait un parcours remarqué aux Inrocks Lab. L’industrie commence à s’intéresser à lui. Eddy choisit de signer avec Initiales (le jeune label qui s’occupe également de Clara Luciani). Pour travailler sur son quatre-titres, puis sur l’album, le label fait appel à Angelo Foley, le directeur artistique et réalisateur qui se cachait déjà derrière le premier ep de Christine And The Queens.
“La première fois que je l’ai vu, c’était au Studio Bleu, en répète, se souvient Foley. Il était accompagné de deux ou trois potes beaucoup moins charismatiques que lui. Il a saisi le micro, commencé à chanter et j’ai tout de suite oublié qu’on était en répète. Il m’a tout de suite plu. Malgré une certaine violence dans ses textes, il y a quelque chose de très sensible, touchant. Dans ses mots très adultes, on entend l’enfant. Il a également quelque chose de très entier. Il m’a dit une fois ‘je prends un thème et je le saigne’.” Ensemble, les deux hommes travaillent la structure, les maquettes piano-voix des chansons. Kyu Steed & Haze, les producteurs de MHD, Booba et PNL, interviendront ensuite pour ajouter de la couleur, apporter un groove et décaler le côté chanson française.
“J’ai vraiment envie d’installer quelque chose d’abord. Je n’ai pas envie d’être le monsieur qui fait tout tout de suite »
En attendant la sortie de l’album, Eddy enchaîne les promos et peaufine son projet sur scène. Ce gros amateur de fêtes et de nuit dit s’être complètement calmé. On le sent concentré. Il regarde avec intérêt les propositions qui affluent du côté du théâtre ou du cinéma. Mais pour l’instant, ça sera la musique. “J’ai vraiment envie d’installer quelque chose d’abord. Je n’ai pas envie d’être le monsieur qui fait tout tout de suite. Et puis le cinéma me fait un peu peur. La caméra voit tout et elle triche. Sur scène, il y a quelque chose de vivant, d’instinctif.”
Sa vie de tous les jours change déjà. Pour se déplacer de son domicile du nord de Paris à ses multiples rendez-vous, il ne prend plus le métro. Trop de gens viennent l’aborder, lui parler de ses chansons, le remercier d’avoir posé des mots sur leurs ressentis. “Je suis dans un entre-deux en ce moment, confie-t-il. Mon rêve de gosse a toujours été d’aller au plus loin, un truc un peu egotrip avec des envies monstres de reconnaissance. Et en même temps, je n’avais pas prévu la vitesse à laquelle ça arrive. C’est un peu déstabilisant. Je sens qu’il faut aussi que je me protège, que c’est dangereux si cela n’est pas assimilé. Tout se modifie autour de moi, mes relations, mes amis, ma vie personnelle. Je ne vais pas me plaindre, c’est formidable, mais il y a quelque chose de beaucoup plus profond à gérer.”
ep Kid (Initial)
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