Entre ambient, techno et néoclassicisme, un album obsédant, qui masse et griffe en même temps. Critique et écoute.
Cette musique vient de loin, elle a beaucoup bourlingué, zigzagué, divagué. Elle a visiblement traversé des turbulences, des déserts, fréquenté la plénitude comme l’anxiété, l’opulence des sous-bois moites comme le dénuement glacé des banquises. Elle a visité le Berlin de Bowie et Eno, le Detroit de Robert Hood, les cathédrales d’Arvo Pärt comme les champs de brume de Jóhann Jóhannsson.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Constamment sur le fil
Elle a beaucoup emmagasiné, beaucoup essayé mais, miraculeusement, elle a tassé son immense savoir en un baluchon léger, en une électronique aussi riche en sensations que pingre en effets. On parlerait même de minimalisme si ces pièces fluctuantes n’étaient pas aussi généreuses en suggestions, sources d’immensité.
Cette musique lancinante, épique, empilée, compactée évoque parfois la lenteur de construction, la puissance écrasante des crescendos numériques des Fuck Buttons, de M83 ou de Mogwai, mais la musique de l’Anglais – William Doyle quand il redescend du cosmos – réalise des prodiges de contrôle, joue constamment sur la tension mais jamais avec l’explosion. Ce qui la rend bien plus dévastatrice encore, à l’image du sublime Heaven, How Long ou du gospel diaphane de Looking for Someone, monuments de sérénité capricieuse, de quiétude menacée.
Une main de fer dans un gant de velours
Car la paix ici reste toujours fragile : on est très loin dans cette techno effilochée des rengaines abrutissantes de vide des commerces new-age, loin de l’inoffensive musique huileuse et molle des salons de kiné. Si massage il y a, alors William Doyle le pratique au papier de verre, au tessons de givre : avec tendresse mais sévérité.
Lui-même se décrit comme “jardinier et architecte sonique”. Pour le jardin, on pense aux fougères phosphorescentes, à des orties exorbitantes, à une jungle inextricable qui aurait renoncé aux ordres des hommes ; pour l’architecture, on imagine volontiers une rigueur de papier millimétré, des angles aigus, des baies béantes et des escaliers sans fin. Et au milieu vit cette musique, à la fois sauvageonne et martiale, qui rappelle une fois encore à quel point les mathématiques peuvent être poétiques.
{"type":"Banniere-Basse"}