Le 13 novembre au Bataclan, l’indicible horreur arrêtait la musique en plein show. Ce mardi 16 février à l’Olympia, le groupe emmené par le controversé Jesse Hughes, retrouvera Paris pour un concert hautement symbolique.
L’année 2015 s’annonçait sous les meilleurs auspices pour les Eagles Of Death Metal (dites EODM). Zipper down, leur quatrième album, que le chanteur Jesse Hughes annonçait comme le meilleur à grand renfort de formules priapiques du genre : “Si vous êtes encore en érection cinq minutes après l’avoir écouté, pas la peine de courir aux urgences, c’est normal”, était enfin terminé après sept ans d’intense labeur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sorti en octobre, ce grand rut bruyant, potache et fanfaron reçut aussitôt mentions et éloges dans maintes gazettes et sites. Ainsi, dans Les Inrocks, le regretté Guillaume B. Decherf, tué au Bataclan, concluait sa chronique sur une note des plus engageante : “Revisitant Duran Duran en mode electro-stoner azimuté ou recyclant ouvertement des bribes d’anciens titres, le tandem a conçu Zipper down sans soucis annexes et mû par la seule envie de se faire plaisir. Plaisir partagé !” (lire critique)
Et plaisir majoré dès que, sur scène, la formation californienne en rajoutait une couche de son rock’n’roll turgescent et jouissif. Si bien qu’après un passage salué au Trianon à Paris en juin, leur concert du Bataclan, le 13 novembre, devait définitivement consommer ce genre d’union indéfectible que seul le rock a le pouvoir de sceller entre un public, une ville et un groupe.
Une notoriété qui ne doit plus grand-chose à la musique
De noces entre EODM et Paris, il y aura en effet. Mais elles seront de sang. Trois mois après ce maudit vendredi 13, le groupe va remonter sur une scène parisienne, le 16 février. L’Olympia lui ouvre ses portes pour un concert qui procède à la fois de l’hommage, de l’exorcisme et du réflexe de survie. Car après tout, la vie continue. Même si ce n’est pas simple. En temps normal, passer en si peu de temps d’une salle de capacité moyenne comme le Bataclan à la catégorie supérieure, en volume et en prestige, comme l’Olympia signifie que la mayonnaise monte et que le meilleur est à venir.
Eux n’ignorent pas que la soudaine ascension que connaît leur notoriété n’a pas grand-chose à voir avec leur musique et beaucoup avec la tragique soirée de novembre. Que ce sinistre privilège, l’aura de malheur qui en résulte, il leur faudra l’assumer longtemps encore, comme une croix de calvaire que l’on porte.
Un Bercy avec U2, mais peu de ventes
Ce que sous-entendait le guitariste Dave Catching en se confiant à Stéphane Saunier de Canal+ à sa descente de scène de l’AccorHotels Arena à Paris le 7 décembre, où les EODM avaient, le temps d’une reprise (People Have the Power de Patti Smith) et d’un morceau (I Love You All the Time), répondu à l’invitation de U2 : “Pour nous, c’est un peu la double peine. On n’est pas sûrs de pouvoir retrouver le même plaisir à jouer live alors qu’on n’a jamais autant croulé sous les propositions et les demandes d’interviews. Au fond, on aurait tellement voulu rester un petit groupe, jouer dans des salles de mille personnes et faire du bon rock’n’roll juste pour nos fans…”
Quentin Pestre, qui dirige le département international de leur label Mercury, affirme que cette popularité aussi soudaine qu’équivoque n’a eu qu’un faible impact sur les ventes de Zipper down. “Le disque n’est même pas certifié or (en France, la barre est à 50 000 exemplaires – ndlr).” Pire, le méchant coup de projecteur dont ils bénéficient aujourd’hui a eu pour fâcheuse conséquence de révéler à certains des failles dans leur cuirasse de héros compassionnels du rock…
Jess Hughes, freak de l’Amérique contemporaine ?
Le 20 novembre, une semaine après les attentats, le Festival international du film documentaire d’Amsterdam annulait la projection de The Redemption of the Devil, portrait ébouriffant de Jesse Hughes, invoquant un “timing inapproprié”. Ce film d’une heure trente produit par Vice (et disponible sur le web) montre un personnage dont seule l’Amérique a le secret. Un vrai freak comme sorti du cerveau surchauffé de Hunter S. Thompson ou d’une bande dessinée de Crumb, obsédé par le sexe, la dope et le rock’n’roll. Mais aussi investi d’une mission évangélique, celle d’un croisé des temps modernes qui s’accroche à sa bible comme à son fusil.
Le film qui ne s’embarrasse d’aucun filtre, d’aucune contextualisation, ne tient qu’au penchant illimité pour l’exhibitionnisme dont cet énergumène, à la fois désopilant, émouvant, consternant, fait preuve. On l’y voit notamment tirer sur une pipe à eau géante, tirer à la carabine sur le drapeau chinois, poser nu avec sa girlfriend – l’ancienne actrice porno Tuesday Cross – tous deux couverts de marijuana, réaliser une icône (au sens d’image religieuse) de son idole Ronald Reagan, jurer comme un charretier à l’antenne d’une émission qu’il anime sous le nom de Boots Electric, et consacrer de la façon la plus solennelle l’union d’un couple après avoir été lui même ordonné prêtre (de l’Universal Life Church).
Tea Party chez Les Valseuses
Ancien journaliste et plume du maire républicain de Palm Springs, l’ancien chanteur Sonny Bono (du duo Sonny & Cher), Hughes empile les contradictions comme d’autres collectionnent les capsules de bière. Il est à la fois libertaire et facho, sérieux comme un pape et déconneur comme un potache, un côté Nuit du chasseur, un autre The Big Lebowski. Bref, c’est un peu le Tea Party chez Les Valseuses.
Ce qui l’a totalement discrédité auprès d’une certain courant d’opinion bien pensant, c’est évidemment son amour immodéré pour les armes à feu. Comment ce type qui déclare qu’interdire les armes aux Etats-Unis signerait le début du désastre pour son pays peut-il décemment se recueillir devant le Bataclan où ont été abattues 90 personnes à la kalachnikov ?
“Sa vision de l’existence met sérieusement en doute le côté cool et rigolo du rock des Eagles Of Death Metal”, pouvait-on lire récemment dans Télérama. Tandis que sur le site de France Inter, un éditorialiste posait cette question : “Le leader des EODM est-il compatible avec la génération Bataclan ?”
Toute l’histoire du rock’n’roll…
“Jesse Hughes est un type adorable, le contraire d’un ‘hater’, un gentleman, avec un côté bouffon mais dans le rock, que je sache, c’est pas exactement une tare, dit de lui Mathieu Pinaud qui fut l’attaché de presse des EODM en France. Bigger than life, voilà ce qui le définit et ça, c’est difficile à admettre en Europe.” En fait, Jesse Hughes, c’est un peu toute l’Amérique moulée dans un seul et même slip, avec sa candeur et son obscénité.
C’est aussi, forcément, toute l’histoire du rock’n’roll qui, plus qu’une musique, est une obsession, un désir jamais assouvi pour plus d’espace, de vitesse, de sexe, plus de tout. “Son inspiration, il la tire du glam et des groupes 60’s comme les Troggs”, souligne Stéphane Saunier. Dans le magister du révérend Hughes trônent aussi les figures fondatrices de l’évangile rock, l’ange gominé Elvis, le diable blond Jerry Lee, la “folle” de Dieu Little Richard. “Au fond, ajoute Saunier, ce qu’il recherche avec son groupe, c’est un peu un retour à l’innocence.”
Le souvenir des sourires illuminant le visage des fans
Quête dont il faut peut-être aussi trouver l’origine dans une enfance désastreuse plombée par la violence d’un père que lui et sa mère ont fui quand il avait 7 ans. La relier également à ce combat personnel mené pour obtenir la garde partagée de son fils Micah. Dans The Redemption of the Devil, on le voit pleurer au téléphone, plaidant pour une “vie de famille normale”.
Sauf que depuis le 13 novembre, il ne peut plus vraiment être question de normalité et d’innocence. Dans l’interview accordée à Shane Smith, le patron de Vice, quelques jours après les attentats, les Eagles Of Death Metal disent combien le souvenir des sourires illuminant le visage de leurs fans pendant le concert du Bataclan, avant que le mitraillage de la salle ne commence, leur sert aujourd’hui à tenir.
Brandir la carte du NRA et cracher du rock
Rarement groupe aura porté quelque chose d’aussi intolérablement lourd, porté pareille malédiction. Comme si, à vouloir agiter des forces aussi antagonistes, se faire appeler “The Devil” et prêcher au nom de Jésus-Christ, brandir sa carte de la NRA (National Rifle Association, qui promeut les armes à feu aux Etats-Unis)) et cracher du rock sur un mode résolument good clean fun, avait fini par attirer des foudres sur lesquelles aucune raison ou volonté humaine ne sauraient exercer de contrôle.
Il est assez troublant de constater que les tueurs du Bataclan, dont la cible était bel et bien un lieu, non le spectacle qui s’y déroulait, sont tombés “par hasard” sur leur parfait contraire. Que ces combattants du prophète, qui au nom d’une vérité divine entendent interdire à chacun le moindre plaisir, veulent imposer un seul et même mode d’existence, se soient retrouvés face à d’autres prophètes, ceux d’une liberté sans limite. Que ces dévots d’un dieu de crainte aient puni ceux dont le dieu est le premier bienvenu backstage après un concert, autour d’une Bud et d’un peu d’herbe.
Quand on y réfléchit deux secondes, que l’on retourne en tous sens les tenants et les aboutissants de cette abomination que furent les événements du 13 novembre, on finit toujours par dénicher une symbolique, aussi farfelue soit elle, et par entendre, derrière le silence des éplorés, le brouhaha des commentaires et le son des guitares qui renaissent malgré tout, le rire inimitable du Diable, le vrai.
Concert le 16 février à Paris (Olympia)
{"type":"Banniere-Basse"}