Moitié de Ratatat et producteur intermittent pour Kid Cudi, Evan Mast a réactivé son alias solo, 20 ans après son premier effort, le temps d’un deuxième disque éclatant. Rencontre.
Disparu des radars depuis la sortie de son album Magnifique en 2015, le groupe Ratatat se conjugue désormais au pluriel. Alors que cette année ses membres Evan Mast et Mike Stroud font paraître un disque chacun de leur côté (respectivement en solo et dans le groupe Kunzite), rencontre avec la première moitié du duo qui réactive, 20 ans après un premier effort confidentiel, son alias E.VAX. De ses récentes collaborations avec Kid Cudi et Kanye West (sur Kids See Ghosts et Donda, notamment) à sa satiété des guitares, rencontre avec le talentueux musicien.
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Tu avais sorti ton premier album solo, Parking Lot Music, en 2001, juste avant de former Ratatat avec Mike Stroud. En 20 ans, n’as-tu jamais eu envie de revenir en solo ?
Evan Mast – J’y ai pensé plusieurs fois, mais Ratatat monopolisait tellement de mon énergie que je n’en avais pas le temps… J’ai toujours continué à enregistrer seul de mon côté, j’ai énormément de morceaux en stock de cette période. Peut-être que j’en sortirai un jour, je trierai les meilleurs parmi les archives que j’ai. Donc c’est un projet qui a toujours continué à maturer, mais ce n’est que récemment que j’ai senti que je pouvais vraiment le réactiver.
Alors cet album n’est pas composé de ce que tu as enregistré à cette époque ?
Non, tout est relativement neuf. J’ai composé les morceaux de cet album il y a à peu près un an maintenant, en septembre 2020. Tout a été enregistré pendant le confinement, que j’ai passé à New York. Mais l’album a continué à se développer jusqu’à peu avant sa sortie, alors tout est assez frais à mes yeux.
L’identité visuelle de l’album contraste beaucoup avec son contexte de production : tes clips sont pour la plupart des panoramas urbains filmés en Asie…
Ouais, j’ai travaillé sur ces vidéos pendant plusieurs années en fait, quand je voyageais beaucoup. Je ne savais pas quoi faire de toutes ces images, et la pandémie a été l’occasion de me replonger dedans.
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En 20 ans, qu’est-ce qui a changé dans ton approche de la production en solo ?
À peu près tout (rires). J’ai même du mal à me projeter à cette époque, j’étais très jeune quand le premier album est sorti… Je dirais qu’il y avait de l’innocence, j’étais facilement satisfait de mon travail. Depuis, il y a eu Ratatat, j’ai aussi produit pour d’autres artistes… Maintenant j’ai beaucoup plus d’idées et de compétences, alors c’est plus une question d’arriver à tout agglomérer, à faire se connecter les choses entre elles… Je prends aussi plus mon temps maintenant, mais je pense que la plus grosse différence se situe dans la façon dont je conçois le processus de création.
En comparaison de ton précédent album, on sent que celui-ci est plus orienté sur la rythmique. C’est une chose vers laquelle tu t’es dirigé dès le début ?
Ce n’était pas aussi conscient que ça, c’est quelque chose qui est plutôt infusé dans ma façon de faire de la musique maintenant, à force d’avoir travaillé avec pas mal de rappeurs. Pendant la production, j’ai essayé de trouver un juste milieu entre le côté ambient du disque, et sa face plus hip-hop. C’était intéressant de faire se rencontrer ces deux styles, de mettre des beats trap sur de la musique éthérée…
Ton son diffère beaucoup de la musique de Ratatat… Tu as besoin de t’éloigner de ce que tu fais avec Mike Stroud quand tu es en solo ?
Plutôt, oui, je dirais. En tous cas, je me suis éloigné des guitares assez naturellement. J’ai passé tellement de temps à en jouer avec Ratatat que j’en étais presque fatigué : je voulais profiter de cet album pour tendre vers d’autres challenges techniques. L’idée était de trouver de nouvelles façons de faire du son, d’expérimenter et de travailler sur quelque chose qui sonne différent. Mais je commence peu à peu à retrouver une certaine attirance pour les guitares… Je pense que c’est sain d’aller voir ailleurs pour mieux y revenir ensuite.
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En dehors des instruments, Ratatat a aussi une démarche presque “épique”, là où en solo on sent une tonalité plus intimiste dans ta musique. Ça vaut aussi pour tes collaborations ?
Ouais, c’est assez différent de collaborer avec d’autres artistes – je ne parle pas de Mike en l’occurence. Je pense qu’on retrouve une forme d’intimité dans ce que je produis pour d’autres gens, mais ce n’est pas nécessairement ma vision qui est à l’œuvre. C’est pour ça que j’aime aussi me retrouver seul en studio : c’est ce qui offre le plus grand espace de créativité. Mais ce qui est intéressant dans les collaborations, c’est de pouvoir prendre des risques sans risquer de se griller, vu que mon nom n’apparaît pas nécessairement toujours : je peux sortir de ma zone de confort sans nuire à la cohérence de mon identité artistique. C’est un terrain d’expérimentation meilleur à mes yeux, et je suppose que c’est dans les allers-retours entre ces deux modes de travail que je trouve l’inspiration.
Qu’est-ce que tu penses de la scène rap actuelle, après avoir participé à celle de la fin des années 2000 ?
Je pense qu’à l’époque c’était vraiment important quand un rappeur tentait un crossover avec un artiste rock ou venu de la scène indie. Je me rappelle quand Jay-Z bossait avec des gens issus de la scène indie à ce moment-là : tout le monde se disait : “Quoi ? C’est impossible. Tu ne peux pas faire ça.” (rires). Mais maintenant tous les genres se sont tellement mélangés que c’est la manière dont les choses arrivent. Les gens ont compris que la scène rap est plus ouverte à l’idée de collaborer avec des artistes de tous horizons. C’est intéressant, je pense que ça mène à une sorte de crosspollinisation. Et, avec un peu de chance, ça veut dire que les choses sont plus diversifiées et en expansion – plutôt que de se tourner vers elles-mêmes ou vers un seul son.
Personnellement ça t’intéresserait de collaborer avec d’autres artistes rap, à l’extérieur de la “sphère Kanye West” ?
Bien sûr. N’importe quoi qui puisse être intéressant ou enrichissant. Mais il faut que les contacts se fassent. Je ne pousse pas trop fort mon côté producteur. Si l’opportunité se présente et qu’elle m’intéresse, je fonce. Avoir la chance de travailler avec Kanye, tu sautes sur l’occasion parce que c’est une expérience fantastique.
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Est-ce que c’est plus facile de garder cette créativité quand on travaille de front sur un album solo et intimiste et quelque chose de monumental comme Donda ?
Mon album solo était terminé au moment où j’ai commencé à travailler sur Donda, donc ça n’a pas eu d’influence directe sur mon disque, mais ça a certainement une grosse influence sur ce que je fais maintenant. Mais, tout bêtement, j’ai beaucoup appris des astuces d’autres producteurs qui étaient présents, de la manière dont Kanye a assemblé son disque, c’est très important.
Quelle est la différence entre le travail avec Ratatat et celui avec d’autres artistes ?
Je pense que la meilleure chose qui puisse arriver en studio, c’est d’être surpris. De ce point de vue-là, c’est bien de travailler avec de nouvelles personnes car tu n’as aucune idée de ce qu’elles pourraient amener sur la table. J’aime devoir être sur le qui-vive quand quelqu’un apporte quelque chose que je n’aurais jamais pu imaginer et que je dois réagir sur le moment. C’est très amusant. Il y a des situations où, quand je travaille avec Mike ou en solo, tu crées des habitudes, des routines, qu’on doit constamment challenger. Par exemple, un instrument de mon studio sur lequel je me repose trop, j’ai besoin de le mettre dans un carton et de l’écarter pour un moment. Je joue à ce genre de petits jeux avec moi-même pour trouver les moyens de me challenger, de ramener de nouvelles idées. Je pense qu’avec la manière dont la technologie musicale a évolué, c’est devenu vraiment facile de faire de la musique à de nombreux points de vue. Tu peux t’assoir et faire un morceau de quatre minutes en moins de quatre minutes, ce qui est bizarre (rires). Tu dois te limiter toi-même et trouver le moyen de trouver l’inspiration et la créativité. C’est une grosse partie d’une processus.
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Est-ce que tu as assemblé ton album véritablement en solo ?
Oui, il n’y a aucun invité sur l’album, en partie à cause de la pandémie. Mais ce n’est pas ce que je voudrais faire dans le futur. Il y a beaucoup d’extraits vocaux et de voix sur le disque, et je pense que ce serait très amusant de bosser avec des gens là-dessus – apporter et développer certaines techniques sur les voix à travers un album, ça pourrait être très cool. Amener quelqu’un qui qui aurait vraiment le contrôle de sa voix et voir où ça nous mène.
Quels genre de projet t’intéresse ?
J’ai l’impression que, quand j’ai l’intention d’enregistrer quoique ce soit, ça ne tient jamais vraiment, ça finit par ne plus être pertinent et ça part dans une direction complètement différente. J’ai une vague idée de ce que je voudrais faire comme travail collaboratif dans le futur mais tu dois aussi être ouvert à tout. Si les projets intéressants continuent à venir vers moi, alors je continuerai à produire. Ces dernières semaines, j’ai travaillé sur une bande-originale pour une série télé. C’est la première fois que je fais ça. C’est très intéressant de devoir réagir à quelque chose plutôt que de faire de la musique depuis la source.
Pour finir, on est bien obligé de poser la question : qu’en est-il de Ratatat ?
On est juste en pause. On avait atteint le stade où ce n’était plus créativement excitant. On a donc trouvé des moyens plus intéressants de rester créatifs. Peut-être qu’un jour nous y reviendrons. Je ne sais pas encore.
Propos recueillis par Théo Dubreuil & Briac Julliand
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