Pan ! Tremor ! Avec Dusk at cubist castle, album au psychédélisme plein d’avenir, les Américains farfelus de The Olivia Tremor Control résument avec maniaquerie leur ahurissante discothèque, des Beatles (surtout) à Stockhausen. Ou comment les premiers de la classe, surdoués en chimie, se révèlent sacrés trublions à l’heure de la (ré)création. C’était dans les […]
Pan ! Tremor ! Avec Dusk at cubist castle, album au psychédélisme plein d’avenir, les Américains farfelus de The Olivia Tremor Control résument avec maniaquerie leur ahurissante discothèque, des Beatles (surtout) à Stockhausen. Ou comment les premiers de la classe, surdoués en chimie, se révèlent sacrés trublions à l’heure de la (ré)création.
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C’était dans les années 70 un remarquable remède à l’achat de disques, un répulseur à l’efficacité infaillible : le concept-album. Vilaines choses emballées ad hoc par des artistes peintres que le temps a renvoyés aux sous-préfectures où ils peignent désormais des trompe-l’œil infects sur les murs des gymnases. Le concept-album reposait généralement sur une idée à la vanité risible la vie et la mort de Grøsskøuyll ier, obscur roi des Saxons, ce genre de bêtises et se vautrait avec suffisance sur la longueur de quatre ou six faces de vinyle, qui encombrent aujourd’hui encore les bacs des brocanteurs. Il faudra la malice décidément toujours sous-estimée du grand Eno pour rendre le concept-album rigolo, joueur, sexy. Avec ses musiques thématiques pour film, pour aéroport , il débarrassait l’album conceptuel de son incurable idiotie nouveau riche : pour une fois, un non-musicien revendiqué avait, lui aussi, le droit aux projecteurs. C’était l’abolition des privilèges de quelques puissants et tyranniques techniciens de studio, la mise à bas de l’oligarchie des seigneurs de la guitare à double manche on n’oubliera jamais ces pauvres buses de Yes reprocher à Eno son incapacité à « bien jouer du clavier ». L’histoire a jugé. Les Américains de The Olivia Tremor Control sont là pour en témoigner : conceptuel, l’infernal Dusk at cubist castle l’est. Sacré concept : écouter des millions de disques, en analyser toutes les astuces, tous les dérèglements pour les condenser en une heure et quelque de musique dense et folle, psychédélique et rigolarde. « On ne considère absolument pas cet album comme une collection de petites chansons mises bout à bout mais vraiment comme une entité, comme une œuvre d’art. J’y vois une cohérence, une continuité : trois ans de la vie de cinq personnes résumés, sans le moindre oubli, en un peu plus d’une heure. On ne va donc pas faire nos vierges effarouchées si on nous parle de concept-album : c’en est un. »
C’est forcément dense, parfois un peu rance quand The Olivia Tremor Control récite sans même s’en rendre compte des pans entiers de souvenirs de jeunesse les avocats de George Harrison pourraient chercher des poux, même sans loupe, à Jumping fences. Mais Dusk at cubist castle est suffisamment anguille pour détaler, très haut, dès que ça commence à sentir le laborieux, le laborantin en nage sous sa blouse cracra. Trop d’irrévérence pour les arthritiques gardiens du psychédélisme orthodoxe The Olivia Tremor Control n’a pas gardé le LSD avec Kula Shaker. Le soir du premier concert londonien de ces authentiques martiens, il suffit de voir quelques mines vexées chez Creation Records ou d’entendre les regrets du directeur artistique de V2 (le puissant nouveau label lancé par Richard Branson), pour se convaincre qu’à l’extérieur de la secte Olivia Tremor Control aussi, on croit dur comme fer à ce psychédélisme d’avenir et furieusement mélodique. Au premier rang, un Martin Carr pourtant parfaitement spécialiste de ce capharnaüm instruit épie les secrets de fabrication des Américains sous un déguisement approximatif une casquette, une pinte de bière , aussi ravi que jaloux de voir enfin un peu de concurrence à la démesure de ses propres Boo Radleys. Sur scène, les instruments, souvent bizarres hautbois, xylophone, corne de bouc, sèche-linge, lunettes Buddy Holly , valsent d’un musicien à l’autre. C’est le mystère des voix bizarres, les polyphonies d’Athens. Car si les cinq garçons très Enid Blyton d’Olivia Tremor Control ont l’air parfaitement sains en chantant en chœur, leur musique, elle, a goûté toutes les drogues. Avec un sens de la chanson fluide ahurissant : là où Stereolab ou les Boo Radleys sont récemment passés en force, en sueur, le cul coincé dans la porte, The Olivia Tremor Control se faufile. Malgré l’affolement un rien tardif de l’industrie, c’est Flydaddy, le petit label de Seattle aux oreilles prodigieusement intelligentes qui, le premier, a pris le risque d’envoyer cette troupe de scientifiques aux cigarettes douteuses en studio quitte à les voir en ressortir trois mois plus tard barbus, hébétés et heureux propriétaires d’un… triple album. « Et encore, on s’est sacrément freinés : ça aurait pu être bien pire. Si ça ne tenait qu’à nous, on n’en bougerait pas, on ne ferait jamais de scène. Ça en devient insensé, on y perd tout sens de la réalité, les idées s’entrechoquent à la vitesse d’électrons ça finit par ressembler à un congrès de savants fous. Nous n’avons même pas besoin d’engueulades pour avancer, nous parlons tous la même langue que les gens de l’extérieur auraient du mal à comprendre. Si je dis que je ne trouve pas le son suffisamment pshhtttfuuuiippp, les autres comprennent exactement. Je nous considère plus comme des peintres du son que comme un groupe de rock. Plus proches de dada, des surréalistes que d’Oasis. »
The Olivia Tremor Control, comme ses compatriotes Flaming Lips, Cardinal, Witch Hazel, Richard Davies ou Eric Matthews, fait partie de cette génération grandie à l’ombre étouffante du grunge, tabassée à l’école du rock par les rebelles institutionnels, qui voyaient dans ces trublions de pathétiques premiers de la classe. Sauf que les cancres et les fouteurs de merde ne sont pas toujours ceux qui crient le plus fort. La vraie rébellion à l’ordre établi depuis Nevermind, elle est là, dans ces envolées de violons, dans la fièvre d’une écriture obsessive, dans ces manies de vieux garçons de studio.
« Nous ne nous sommes jamais reconnus dans le grunge, dans cette musique en colère. On a préféré plonger dans le passé, aller s’abreuver à la source plutôt que de se nourrir de sons déjà passés à travers des dizaines de filtres. J’ai passé des mois à fouiller dans les bacs d’une station de radio où travaillait un copain. Je voulais tout écouter, pour m’y retrouver, comprendre ce que j’aimais dans la musique. C’est comme ça que j’ai fait le tri, que j’ai compris que je préférais Ornette Coleman, la musique atonale ou des tonnes de groupes pop de la fin des sixties à la plupart de mes contemporains. Je dévorais toutes les interviews de mes groupes préférés pour comprendre qui les avaient fait dévier de leur ligne originelle : c’est ainsi que j’ai découvert Can, John Cage, Eno, Stockhausen… Si nous n’avions pas été rejetés par les autres, dès l’école, nous nous serions probablement contentés de la même musique qu’eux. Mais comme nous étions seuls, la musique a pris chez nous une importance considérable. Il fallait se singulariser d’une façon ou d’une autre. Et le meilleur moyen de ne pas se faire tabasser, c’était de passer pour le bizarre de service. Contrairement à l’avorton tête de Turc, les brutes fichaient la paix aux excentriques. D’où notre quête de musiques différentes, risquées. Pendant que les autres tuaient les cerfs à la carabine ou se battaient au basket, nous, on jouait de la guitare et on s’échangeait les disques : ça valait tous les amis du monde. »
Avec quelques groupes Apples In Stereo ou les excellents Neutral Milk Hotel , The Olivia Tremor Control partage au sein du collectif Elephant Six une farouche idéologie comment faire une autre musique en Amérique et la distribuer ? et, à l’occasion, un studio d’enregistrement approximatif, où la table de mixage fume régulièrement sous la pression des idées insensées osées par cette troupe. On plaint les voisins qui doivent, jusqu’au bout de la nuit, écouter ces bavardages utopiques du comité directeur Elephant Six, où l’on croit encore que la musique peut changer le monde et qu’un album fût-il de Stereolab a un devoir moral. « Nous avons la chance de pouvoir toucher des gens, il ne faut pas la gâcher. Il faut établir la connexion. » On mettra cette étrange et soudaine obsession pour le bien-être de l’humanité sur le compte d’une pipette qui, depuis quelques minutes, délie les langues et fait voler de curieux éléphants roses dans la discussion d’Olivia Tremor Control. « Depuis que nous nous sommes rencontrés, nous croyons aux forces cosmiques, au grand aimant qui, tôt au tard, attire ceux qui doivent se rencontrer : trois d’entre nous viennent du petit village de Ruston, en Louisiane, deux de Newark, dans le New Jersey. Mais le destin nous a fait nous croiser par hasard en Géorgie. Depuis, nous n’en avons pas bougé, nous sommes installés à Athens. Nous n’avons presque jamais quitté la maison, où nous jouons non-stop. »
Un jour de dés’uvrement à Atlanta, capitale de l’Etat, on a décidé d’aller visiter la sous-préfecture d’Athens, petit point sur la carte géographique mais énorme centre névralgique sur celle du rock, depuis que REM, Vic Chesnutt ou les B-52’s ont réveillé ce Sud magnifiquement apathique. Le temps de trouver une place où se garer en centre-ville, on était déjà sortis de la ville : à peine la taille de Vierzon, mais une université où convergent, depuis quinze ans, tous les amoureux de la guitare américaine. « Personne ne vient vraiment étudier à Athens. Les gens y viennent parce que la ville a la réputation d’être très ouverte à la musique, avec de nombreuses salles de concerts, des clubs. Pour un groupe, c’est fantastique, il y a une formidable émulation et une grande solidarité. On peut y vivre sans un sou, c’est vraiment, malgré sa taille, un eldorado pour musicien provincial, pour tous ceux qui, comme nous, ont la trouille de tenter l’aventure à New York ou Los Angeles. D’ailleurs, quand on rencontre quelqu’un, on lui demande toujours « Comment tu t’appelles, dans quel groupe tu joues ? » C’est devenu tellement commun que je réponds généralement « Je m’appelle Eric et je suis chauffeur routier. » Ça, ça impressionne. Beaucoup de gens sont là pour suivre les traces de REM. Mais après quelques semaines, Michael Stipe ne fait plus rêver personne : on le croise tous les jours, ça démystifie sérieusement. Je peux même dire qu’il vit au bout de ma rue. Mais ça, tout le monde peut l’affirmer : il n’y a quasiment qu’une rue à Athens. » Chouettes ambassadeurs pour la Géorgie, ces cinq parfaits hurluberlus, dont on imagine déjà le dépliant touristique imprimé en plusieurs millions de couleurs, avec typographie psychédélique de rigueur : « Athens, son rock, sa nonchalance, son oisiveté, ses drogues. » « Il faudrait être un sacré menteur pour ne pas reconnaître l’importance des drogues sur le son. Pendant dix ans, je n’ai possédé que deux disques, que j’écoutais en boucle : deux albums des Beatles que je connaissais dans les moindres recoins. La première fois que je les ai écoutés défoncé, j’y ai découvert une nouvelle dimension, de nouvelles sonorités. C’était vraiment comme si je n’avais entendu qu’une infime partie du disque pendant des années. Mais bosseurs et pointillistes comme nous sommes, on ne peut pas se permettre trop de libertés avec ça. »
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