Enregistré dans la foulée de l’acclamé “New Long Leg”, “Stumpwork” s’entend comme le prolongement logique de ce premier album, tout en dévoilant des intentions plus amples. De nouvelles ambitions que Dry Cleaning assume totalement : personne ne leur dictera la marche à suivre.
Il paraît que Stumpwork a été mis en chantier dans la foulée de New Long Leg. Le piège n’était-il pas de répéter les mêmes formules ? Ce que certains pourraient vous reprocher à l’écoute de ce deuxième album…
Tom Dowse – Le truc, c’est qu’on ne pouvait pas donner de concerts. On avait donc énormément de temps pour travailler nos morceaux, composer, expérimenter. Contrairement à New Long Leg, beaucoup de démos ont évolué au fur et à mesure des mois. On voulait un son plus ample, un côté plus pop. L’idée, c’était de se laisser le temps de faire grandir nos morceaux, quitte à accepter la vulnérabilité et le romantisme inhérents à certains d’entre eux.
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Est-ce à dire qu’il y a eu beaucoup d’improvisations ?
Tom Dowse – On aime jammer tous ensemble, c’est notre façon de nous amuser. Parfois, c’est aussi un moyen de penser un morceau différemment. Hot Penny Day, par exemple, était très lent, très groovy au début. Puis Lewis a fini par trouver cette basse, assez sauvage, et la version que l’on connaît a pris forme.
Lewis Maynard – Conservative Hell rejoint la même idée. À la base, il y avait des sonorités très jazz en son milieu. Lorsqu’on est arrivé en studio, John Parish (une nouvelle fois engagé à la production, ndr) nous a forcés, Tom et moi, à entrer dans la cabine et à improviser durant plusieurs minutes. En fin de compte, la deuxième partie du morceau est devenue nettement plus planante.
Stumpwork a beau n’être que votre deuxième album, vous dégagez quelque chose de très expérimenté. Ça se ressent dans votre son, mais aussi dans votre attitude, votre ambition, votre manière de travailler…
Tom Dowse – Le secret, au-delà du fait que l’on n’a plus 20 ans, c’est peut-être juste que l’on ne court pas après le public. Avant de signer chez 4AD, on aimait tous nos travaux respectifs, on ne se voyait pas tout arrêter pour la musique. C’est finalement ce qui est arrivé, mais le fait de savoir exactement ce que l’on veut nous distingue d’autres groupes, plus jeunes et débutants.
Florence Shaw – Avant d’enregistrer New Long Leg, aucun d’entre nous n’avait d’expérience : on n’avait jamais bossé en studio, encore moins avec un producteur. On avait parfois l’impression d’être des imposteurs.
Sur Stumpwork, vous vous assumez davantage. Florence, par exemple, on t’entend même chanter par instants, comme sur Gary Ashby et Don’t Press Me.
Florence Shaw – J’ai toujours aimé chanter. Je le fais sous la douche, en faisant la lessive ou n’importe quelle tâche quotidienne de ce genre. C’est une manière de me détendre, mais aussi d’inventer des mélodies. Je ne suis pas une chanteuse qualifiée, loin de là, c’est même plus accessoire qu’autre chose, mais le fait de pousser un peu plus la voix sur Stumpwork me permet d’approcher différemment l’écriture.
Est-ce aussi une manière de réagir plus spontanément aux mélodies jouées par Tom, Lewis et Nick ?
Florence Shaw – Oui, c’est une façon de faire confiance à mon oreille. Cela dit, mes textes naissent la plupart du temps de la même façon : en studio, avec des tonnes de papiers par terre ou de notes sur mon portable. J’écris en permanence, c’est mon mode d’expression : au moment de penser à un morceau, j’ai donc tendance à puiser l’inspiration dans tous ces petits bouts de texte écrits au préalable.
Penses-tu que c’est cette approche qui te permet d’avoir cette écriture très imagée, riche en sous-entendus ?
Florence Shaw – La vérité, c’est que je n’écris jamais en me disant : “Tiens, là, j’ai vraiment envie de parler de ce sujet.” Si je tenais à faire passer un message, j’écrirais un essai, ce serait plus simple, plus clair. Dans les morceaux de Dry Cleaning, je préfère au contraire cultiver une certaine ambiguïté. C’est ce que j’aime le plus, et c’est un goût que je partage avec des artistes dont j’apprécie particulièrement la plume, comme Charlotte Adigéry, Noname et JME.
Le fait d’être désormais reconnue et entendue, ça rajoute une pression ?
Florence Shaw – C’est évidemment angoissant de savoir que ses textes peuvent être décortiqués par des milliers de personnes, de savoir que notre visage est aujourd’hui exposé au regard de gens dont on ne sait absolument rien. Tant mieux si notre musique plaît, vraiment, mais je n’ai pas envie que cette peur d’être analysés ou photographiés à tout moment viennent perturber notre approche créative.
Tom Dowse – On est conscient que tout peut s’écrouler rapidement, et ce serait finalement logique que les gens finissent par se lasser. Après tout, on a passé plus de temps à produire de la musique que personne n’aimait que l’inverse…
Vous avez tout de mêmes des admirateurs et admiratrices célèbres : Marina Abramović, Brett Anderson (Suede) et même Grace Jones qui vous a invité au Meltdown Festival l’été dernier…
Nick Buxton – C’était un honneur incroyable ! On est tous fans de ses albums, notamment ceux avec Trevor Horn. Pour le coup, c’est vraiment l’exemple typique de ces artistes qui, en plus de produire des disques complétement dingues, ont su contrôler leur image.
On sait que beaucoup de groupes, à l’image d’Animal Collective, rencontrent actuellement des difficultés à effectuer leurs tournées. Au point d’annuler certaines dates… C’est votre cas ?
Tom Dowse – En un sens, oui. On a la chance d’être très actif en Angleterre, mais il y a quand même pas mal de pays en Europe où l’on ne va pas. Certain.e.s fans s’en plaignent sur les réseaux, mais ce n’est pas un choix : c’est simplement parce que les cachets ne sont assez rémunérateurs, que l’on n’a pas forcément les moyens de mettre en place une telle logistique et que les salles de concert subissent la crise économique de plein fouet…
Stumpwork est assez concerné par l’actualité : on y parle de brutalités policières, de violences conjugales ou encore de capitalisme outrancier.
Tom Dowse – J’ai l’impression que l’on n’aborde jamais ces sujets frontalement. Parfois, la fragilité du système politique est simplement perceptible via certaines sonorités, assez froides, D’autres fois, ces allusions sont plus métaphoriques, comme Anna Calls from the Arctic où l’on évoque un meuble à chaussures livré au bas de la porte.
Florence Shaw – On peut simplement y voir un trait d’humour, ce qui est assez vrai, mais on peut aussi prendre ces paroles comme une métaphore, le signe que le capitalisme s’invite chez nous et que l’on y participe parfois sans même s’en rendre compte.
Est-ce que l’intransigeance dont vous faites preuve sur le plan musical est une réaction à ces démarches mercantiles qui semblent guider tant de groupes une fois le succès arrivé ?
Nick Buxton – On aime tous Daniel Johnston, son jeu de guitare, ses textes, son approche. C’est ce genre d’artiste qui nous inspire, bien plus qu’un groupe à succès.
Florence Shaw – Sur Don’t Press Me, je chante : “Tu me combats toujours/Tu me stresses toujours/Ne me mets pas la pression.” L’idée, en sous-texte, est non seulement de rappeler que l’on ne souhaite pas se laisser faire, mais aussi de souligner que l’on ne s’impose pas de pensées limitantes.
Stumpwork (4AD/Wagram). Sorti depuis le 21 octobre. Concert le 8 novembre à Paris (Trabendo).
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