Le retour de The Rapture le 5 septembre avec le très réussi In The Grace Of Your Love est un véritable miracle : le groupe a du, depuis 2006, survivre aux drames personnels et au chaos collectif. Luke Jenner raconte tout.
Signer à nouveau sur DFA va dans le sens de cette renaissance, de cette remise à zéro des compteurs…
Tout ceci n’a pas été simple non plus. Nous avons quitté DFA pour une raison particulière : Matt le voulait, alors que j’étais contre, au départ. Nos relations avec le label n’étaient certes pas toujours très simples, mais le quitter n’était pas vraiment ma décision. Et quand l’opportunité d’y retourner s’est représentée, je me suis dit que puisque je n’avais jamais vraiment voulu partir de DFA, pourquoi en pas essayer à nouveau et voir où ça pouvait nous mener…
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Quand tu as commencé à écrire les chansons de cet album, avais-tu une idée quelconque ou particulière du son que tu recherchais ?
Pour moi, l’idée était plus… Tu sais, j’ai grandi pendant l’ère du grunge, mes héros étaient Kurt Cobain, Black Francis, Billy Corgan. Des gens, d’une certaine manière, assez nihilistes : c’est un esprit que j’ai voulu transcender. Je me souviens aussi qu’OK Computer de Radiohead m’a énormément marqué –quand on enregistrait Echoes, on voulait impérativement faire un album meilleur que celui-là… Mais je suis devenu moins compétitif avec le temps, je me compare moins aux autres artistes : je cherche désormais à être moi-même, je n’essaie plus de faire mieux que quiconque. Je voulais vraiment faire un album qui soit extrêmement positif, mais qui n’évite pas pour autant les zones d’ombre. Qu’il me serve, sur le plan des émotions. Je me répète, mais deux des albums les plus importants parmi les influences de The Rapture sont les deux premiers albums solo de John Lennon : ils étaient comme une thérapie sur scène, quelqu’un qui présente ses problèmes au monde et essaie de les régler de cette manière. Le but était d’être positif. Consciemment.
Que peux-tu me dire de Philippe Zdar ? L’avez-vous choisi, vous a-t-il choisi ?
Depuis des années, pas mal de monde nous explique que c’est lui qui devrait produire nos albums. Et nous avions déjà pensé à lui pour Pieces of the People We Love. Certains nous ont également conseillé de nous tourner vers James Murphy –mais James Murphy est une vraie pop star, avec le rythme de vie qui va avec, il n’a pas le temps de produire nos disques… Mais tout nous a naturellement menés vers Philippe. Nous sommes des amis de longue date de Pedro Winter, nous l’avons revus lors d’une tournée en Australie, il nous a expliqué qu’il vivait à deux pas de chez Philippe Zdar, dans la même rue à Paris. Il a provoqué les choses : il nous a dit « Vous travaillerez avec lui », il lui a dit « Tu vas bosser avec eux », et c’était fait. Il ne nous a pas laissé le choix… Ca devait arriver, et c’est arrivé, grâce à Pedro.
Quelle influence, quel impact a-t-il eu sur les chansons de l’album, sur son son ?
Il s’est vraiment concentré sur les côtés positifs de l’album, il a réussi à les amplifier, à appuyer sur tout ce qui avait cette « qualité transformative ». Il a beaucoup travaillé sur l’édition des morceaux. Il s’est par exemple beaucoup concentré sur l’ « étirement » des morceaux ; plusieurs chansons de l’album, Come Back To Me, Never Gonna Die Again ou How Deep Is Your Love? par exemple se sont pas mal allongées par rapport à leurs version initiales. Il nous a également encouragé à provoquer des choses, à intégrer des éléments qu’on n’aurait jamais intégrés sans lui.
Et Paris ? La ville, son ambiance, son architecture vous ont-elles influencés ?
Oui, à l’évidence. C’est un endroit magnifique, bien plus joli que New York… On a enregistré beaucoup des instrumentaux à New York, mais toutes les voix et la production ont été réalisés à Paris. On était en plein Montmartre, on passait notre temps à aller visiter des églises, le Sacré Cœur ; le simple fait de marcher dans les rues, d’acheter à manger, de nous inventer nos petites routines, de commencer à bien connaître les commerçants du coin t’imprègne forcément de quelque chose. La beauté de la ville, à elle seule, est forcément une influence.
Vous avez joué quelques dates cette année, alors qu’aucun album n’était encore annoncé. Etait-ce une manière pour vous de vous tester, ou de tester le public, de voir si vous étiez encore un peu attendus ?
Ces dates ont presque été jouées pour des raisons pratiques. L’Australie nous a maintenus en vie pendant ces cinq années d’absence. C’est un pays où on a un statut sans doute plus important que dans d’autres pays : les gens « normaux » savent qui nous sommes, on passe régulièrement à la radio, on vit là-bas un rêve qu’on ne vit pas forcément aussi intensément ailleurs. Et on y joue régulièrement. Donc, de manière très pragmatique, nous avions besoin de jouer ailleurs pour être prêts à tourner en Australie. Et, effectivement, pour être tout à fait certains que notre groupe pouvait encore fonctionner malgré le départ de Matt, avec un copain à nous qui joue de la basse.
Et comment les gens ont-ils réagi ? Vous n’aviez pas peur qu’ils soient définitivement passés à autre chose ?
On ne s’inquiétait pas vraiment de ça, sans doute grâce à ce qui se passait pour nous, justement, en Australie. Et on n’a pas vraiment fait une grande tournée mondiale, juste quelques dates. Mais on s’est parfois produits en tant que DJs, et les gens avaient l’air d’être excités de nous voir. Est-ce que les choses seront comme nous les avons laissées ? Je n’en ai pas la moindre idée, et ce n’est finalement pas vraiment ce qui compte. Tant que nous sentons un minimum d’intérêt pour nous, ça va.
Tu expliques ne plus te sentir en compétition avec tes contemporains, mais as-tu écouté de la musique, tout ce temps ?
Je suis devenu dingue de gospel, j’ai même fait une mixtape de gospel que Modular a publié en ligne. Pas mal de bluegrass, également, The Family Who Prays des Louvin Brothers par exemple. J’écoute en fait beaucoup de musique d’église, j’ai même rejoint les rangs d’un chœur pendant quelques temps. Je m’intéresse à tous les aspects de la musique religieuse, des choses du XIVème siècle, des messes plus récentes. Et ça faisait longtemps que je ne m’étais pas autant senti excité par la musique.
Rien de contemporain, donc.
Si, je suis par exemple replongé dans l’album de Phoenix par exemple. Mais c’est vrai que j’ai longtemps détesté les groupes « concurrents », cette époque où je les regardais jouer du côté de la scène en me disant « Je vais les écraser ». Mais je me suis depuis rendu compte qu’à cause de cette jalousie, de cette compétition, je suis passé à côté de beaucoup de choses. Phoenix, ou le premier album d’Arcade Fire, ou celui de MGMT : tous ont fini par me passionner, mais je ne leur aurais même pas donné la chance de me plaire dans le passé, ça aurait pu être douloureux pour moi. J’avais vraiment l’impression de vivre dans un monde de chien, d’être dans une pyramide, où chaque étage est plus étroit que le précédent –pour te faire une place plus haut, tu dois pousser quelqu’un. Je sais désormais qu’il y a de la place pour tout le monde, que nous vivons dans un monde d’abondance, que ce n’est pas parce que quelqu’un a quelque chose que je ne peux pas l’avoir aussi. Ca vient probablement d’une croyance nouvelle que les choses, fondamentalement, ne vont pas si mal dans le monde, du moins dans le mien. J’ai longtemps pensé que je ne pouvais pas être aimé. Et que The Rapture existait justement pour me permettre d’être aimer. Que si j’étais moi-même, je ne méritais pas l’amour. Mais ça a changé entre les deux albums. Je n’ai plus à faire semblant, à me forcer, j’arrive à être moi-même. Que tout va bien.
Disparaître a donc aussi été une forme de cure pour cette obsession…
Oui, complètement. Quand j’ai rencontré ma femme, j’ai longtemps fait en sorte qu’elle ne sache rien de mon groupe, pour que je sois certain qu’elle m’aime pour moi, pas pour autre chose. Je sais désormais que si je devais arrêter de jouer de la musique jusqu’à la fin de mes jours, je serais triste, mais ça irait. C’est la première fois que je peux me dire ça : avant, j’imaginais que je périrais si je devais m’arrêter.
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