Le retour de The Rapture le 5 septembre avec le très réussi In The Grace Of Your Love est un véritable miracle : le groupe a du, depuis 2006, survivre aux drames personnels et au chaos collectif. Luke Jenner raconte tout.
Et de l’autre côté du spectre des émotions, ton enfant est né…
Etre en couple avec une femme est quelque chose qui te met en face de tes trucs les plus personnels. Mais avoir un enfant te met en face de choses familiales. Ca a donc là aussi été un sentiment d’abord mélangé : avoir un enfant était quelque chose d’extraordinaire, mais ça m’a également poussé à remettre en cause beaucoup de choses dans ma vie familiale. Je ne parlais plus à mon père, par exemple, et ce depuis des années. C’est revenu à cette époque. J’ai même fini par choisir une photo de lui comme pochette de l’album. Pour moi, l’idée de prendre un peu de temps servait précisément ce but : résoudre ces questions, et peut-être transformer ces relations. C’est devenu un thème central de l’album.
Les transformer en quelque chose de plus positif, de plus naturel ?
Oui, voilà. Je te parlais d’un disque basé sur le processus plutôt que sur le résultat : c’est exactement comme le fonctionnement d’une famille, rien n’est plus un processus que la vie et les évolutions d’une famille.
Il y a toujours eu quelque chose de très vital, au sens propre du terme, dans votre musique ; j’imagine que ça a encore plus été le cas cette fois…
Oui. Je crois que nous avons encore un peu creusé cet aspect. Je n’ai jamais vraiment été un littéraire, quelqu’un qui intellectualise à outrance mes sentiments, je n’ai jamais été vraiment attiré par les Smiths, Bob Dylan ou Belle & Sebastian –je les apprécie, mais c’est sans doute trop littéraire pour moi. Je préfère, par exemple, The Cure : j’aime les choses beaucoup plus directes. Je suis obsédé par le premier album solo de John Lennon, par exemple : quelque chose qui se débarrasse le plus possible de tout ce qui n’est pas strictement nécessaire. La musique doit s’approcher au plus près des sentiments, selon moi, et c’est ce que nous avons toujours cherché à faire avec The Rapture. C’est encore plus vrai de cet album : nous chassions les émotions, peut-être de manière plus consciente que par le passé.
Tu as voulu prendre un peu de temps, un peu de distance, mais qu’en était-il des autres membres du groupe ? Etaient-ils sur le même rythme, t’attendaient-ils ?
Vito et Gabriel n’ont jamais vraiment arrêté. Pour être clair, j’ai quitté le groupe avant que Matt ne le fasse. J’en étais arrivé à un point où je devais tout arrêter, c’était devenu beaucoup trop pour moi. On allait signer avec Justin Timberlake et Timbaland, qui nous voulaient sur leur petit label. Matt était alors très concentré sur la célébrité, il a fini par nous déclarer que son but était de remporter un Grammy Award, et ça m’a semble totalement déplacé, bizarre, ce n’est pas ce que je voulais, ce n’était pas ma motivation. C’était une vraie rupture entre nous : il voulait vraiment devenir une pop star, et ce n’était pas mon cas. Tout ceci, associé à la mort de ma mère, à la naissance de mon fils : c’était trop, et trop étrange. Je devais prendre du recul, me demander ce que je voulais réellement faire de ma vie.
Mais tu as fait plus que prendre du recul ? Tu as quitté le groupe ?
Oui. Quand j’ai lancé le groupe, j’ai demandé à Vito de me rejoindre. Nous étions chacun dans un ou plusieurs groupes. J’étais un songwriter et je voulais chanter, choses que je ne faisais pas dans mes autres formations ; je contribuais, mais je ne pouvais pas vraiment m’exprimer. Quand Matt a rejoint le groupe, au moment d’Echoes, je n’étais pas très sûr de ma propre écriture, je l’ai donc poussé à m’épauler, à être le second songwriter pour le groupe. Mais ça a été une grosse erreur pour moi : il était très volontaire, mais sur le deuxième album, je me suis rendu compte que je n’avais pas l’espace dont j’avais besoin pour dire tout ce que j’avais besoin de dire. Je me sentais bloqué. J’avais l’impression de commencer des phrases mais de ne jamais pouvoir les terminer. J’avais en réserve quelques trucs sur lesquels je voulais travailler, mais je n’ai pas pu : Matt était très restrictif à cette époque, il y a des directions que je voulais explorer mais que lui n’a jamais accepté prendre. J’étais confus, je ne savais plus trop quoi faire. Pendant un moment, je me suis donc dit que j’allais faire mon propre disque, dans mon coin. Mais j’ai vite réalisé que ce n’était pas ce que je voulais réellement, que faire partie d’un groupe était quelque chose de très important pour moi. Je suis revenu vers les autres, me suis excusé, j’ai demandé si je pouvais revenir, et les autres ont fait « ok ». Mais les problèmes n’étaient pas totalement réglés pour autant, j’ai l’impression que Matt n’a jamais été vraiment à l’aise avec tout ça. Le groupe aurait continué sans moi, sous le même nom, avec Matt en tant que chanteur…
Personnellement comme au sein du groupe, tout ceci donne une impression de grand chaos… Et de lutte « à mort » entre toi et Matt…
Oui, je pense qu’on peut décrire ça comme ça. Mais au sein du groupe, ce chaos n’a pas uniquement été quelque chose de négatif. Ca m’a poussé à remettre beaucoup de choses en cause, à choisir très concrètement une direction à prendre. A me demander si je voulais continuer, justement, à évoluer dans cette obscurité, ou si je voulais essayer de transformer tout ça en autre chose. Il y a effectivement eu un bras de fer entre moi et Matt. Je ne dirais pas que j’ai gagné : il ne faut pas oublier que j’ai quitté le groupe en premier… Et pour être tout à fait honnête, jusqu’à ce qu’il le fasse, je ne pensais pas du tout que Matt allait quitter le groupe. Je pensais que notre relation de merde allait se poursuivre indéfiniment, d’autant plus que d’une certaine manière j’avais quand même un peu peur de le perdre. Au final, je voulais même qu’il reste, j’ai tout essayé pour qu’il ne quitte pas The Rapture ; je lui ai dit qu’il pouvait faire un album solo, que je l’aiderais à le faire. Ce n’était pas une lutte du genre « C’est mon groupe, tire-toi ! » (rires)
Reste que son départ a clairement provoqué quelque chose, débloqué quelque chose chez toi…
Oui, j’ai ressenti comme une explosion. Je me souviens très bien du lendemain de son départ, je suis arrivé en studio et je me suis exclamé, intérieurement, « Mon Dieu, c’est fou, je peux faire exactement ce que je veux ! » Enfin ! Exactement comme quand j’ai formé le groupe, comme une renaissance de l’idée initiale : The Rapture a été conçu comme un véhicule pour mon songwriting, et pour me permettre d’aller partout où mes idées me menaient. A l’inverse des autres groupes dont j’avais fait partie, qui étaient beaucoup plus étroits, qui ne se permettaient pas trop de dévier –et The Rapture commençait à ressembler à ça, à se refermer.