Planète Planès. A l’heure où les pianistes sont légion, où le marché les pousse à des enregistrements ficelés hâtivement, Alain Planès cultive l’art de la distance. Chacune de ses prestations, longuement mûries, l’impose toujours davantage parmi les grands. Alain Planès est un cas. Il lui arrive de changer d’avis sans crier gare, de disparaître sans […]
Planète Planès. A l’heure où les pianistes sont légion, où le marché les pousse à des enregistrements ficelés hâtivement, Alain Planès cultive l’art de la distance. Chacune de ses prestations, longuement mûries, l’impose toujours davantage parmi les grands.
Alain Planès est un cas. Il lui arrive de changer d’avis sans crier gare, de disparaître sans donner signe de vie. Où est-il ? Personne ne sait… Il se cache, laisse branché son répondeur, fait dire qu’il est en vacances mais depuis quand un pianiste se repose-t-il ? ou évoque une ancienne douleur. Il est possible qu’il soit ailleurs, à Berlin ou New York, traînant dans les galeries (c’est un fin connaisseur du surréalisme), en conversation avec le peintre Jorge Camacho dont il est un admirateur, ou tout simplement plongé dans un livre (le dernier Jean-Philippe Toussaint, une réédition d’Alfred Jarry, une bio de Proust). Planès râle, peste contre la terre entière et n’enregistre que ce qu’il aime. Pourtant, chacun de ses concerts, plutôt rares évidemment, laisse un souvenir impérissable ; et ses quelques disques (Beethoven, Schubert, Chopin, Debussy, Chabrier et Janacek) sont accueillis avec enthousiasme et récompenses.
Lyonnais, Planès suivit l’enseignement de Jacques Février avant de s’illustrer aux Etats-Unis aux côtés de Menahem Pressler, le pianiste du Beaux-Arts Trio, dont il fut l’élève puis l’assistant jusqu’en 1974. En duo avec le violoncelliste Janos Starker, il parcourt les Etats-Unis et l’Europe puis se fixe en France et entre en 77 à l’Intercontemporain, nouvellement créé par Boulez. A son répertoire classique et romantique s’ajoute ainsi celui des créateurs du xxème siècle, de Stravinsky à Stockhausen. S’il garde un excellent souvenir de l’Intercontemporain, il s’en éloigne en 1981 pour devenir le partenaire privilégié de Shlomo Mintz, Salvatore Accardo, Bruno Giuranna, Michel Portal, Maurice Bourge ou Lluis Claret. A distiller son art avec parcimonie, Planès réfléchit trop selon ses détracteurs sur la valeur d’une partition et ne précipite jamais les choses. Pour preuve, les Préludes de Debussy, qu’il a enregistrés deux fois, au Japon en 1979 pour Denon et six ans plus tard en France, pour Harmonic, et dont il souhaite réaliser une nouvelle prise : « Le précédent disque n’est plus une référence pour moi, j’aimerais le réenregistrer, d’autant qu’il n’est pratiquement plus disponible alors qu’il a obtenu les Victoires de la musique en 1988 l’éditeur se contente d’en presser des exemplaires mystérieux vers Noël ! Donc, ne serait-ce que pour satisfaire les amis qui cherchent à l’acquérir… Karajan a bien enregistré trois fois les Symphonies de Beethoven ! » (rires)…
A Saintes, en juillet dernier, lors des Académies musicales, il a eu l’occasion de jouer en concert Debussy (le 2ème livre des Préludes, la Suite bergamasque et les Estampes) non pas sur le piano moderne de ses précédents enregistrements, mais sur un instrument de l’époque des compositions, un Bechstein de 1895, magnifiquement restauré et venu pour l’occasion de Belgique. Pour cet interprète d’exception, il suffit d’adapter son jeu au clavier qu’il a sous les doigts, ainsi on peut l’entendre indifféremment jouer des Sonates de Joseph Haydn sur un authentique pianoforte Erard de 1790, et sur Steinway moderne : « J’ai toujours été intéressé par les instruments anciens. J’adore le clavecin ; si j’avais pu l’étudier et en jouer, je le ferais. Le jour où j’ai de la place, j’installe un clavecin chez moi ! J’aime aussi l’orgue, plus particulièrement l’orgue baroque. D’ailleurs, j’ai commencé par l’orgue, en amateur bien sûr, en accompagnant à l’église les messes, les mariages ou les enterrements. Mais c’est l’un de mes élèves, Alain Roudier, qui m’a communiqué la passion du pianoforte. Grâce à lui, j’ai fait mon premier concert à Besançon sur un instrument ancien. Mais ma réputation, à l’inverse de celle d’Andreas Staier, connu aussi bien par le piano, le pianoforte que par le clavecin, s’est faite sur la pratique d’un piano moderne. Peu de gens savent que je joue parfois sur pianoforte. Tout ce qui touche à ce domaine m’intéresse, les traités et les vieilles éditions. »
Pour son enregistrement consacré aux Etudes de Debussy qui vient de paraître, Planès a travaillé plus de cinq ans : « Avec les Etudes, Debussy prolonge l’exploration du domaine pianistique qui était déjà dans les Préludes. Les Préludes sont plus connus et peut-être plus accessibles, parce qu’en effet il y a des atmosphères et des caractères différents, mais dans l’écriture, le trait est comparable, sauf qu’avec les Etudes, Debussy a la volonté de pousser la virtuosité dans des limites presque impossibles. Deux possibilités s’offrent à vous quand vous jouez de la musique virtuose, soit c’est une virtuosité seulement technique que vous devez restituer, comme toutes ces niaiseries qu’on vous inflige au cours de vos études et qui n’ont aucun intérêt musical : c’est une virtuosité pour l’esbroufe, que vous peignez en multicolore. Mais si vous avez la chance de jouer des oeuvres géniales, tout en étant virtuose, à ce moment-là vous devez effacer la virtuosité, pour en faire ressortir l’essence musicale. Ça peut paraître prétentieux, mais c’est mon but. La crétinerie élitiste fait qu’il existe une ambiguïté sur ces Etudes, dont certains pensent qu’elles ne sont pas assez populaires, trop abstraites. C’est justement ces oeuvres dites difficiles qui devraient être jouées en premier, et non l’inverse il faut les faire partager, les faire découvrir. Et si seulement trois personnes sont touchées, le but est atteint. Artistiquement, ces Etudes, si proches par leur composition de la Sonate pour alto, flûte et harpe, je les comparerais aux dernières aquarelles de Cézanne, qui sont à l’origine de toute la peinture contemporaine. Le but de Debussy a toujours été une recherche de l’émotion qui passe par une grande sensualité et des phases très dramatiques. On sent l’homme en train de crever, c’est son dernier jet. Durant la guerre, il était incapable de composer et puis subitement, en trois ou quatre mois, l’intensité créatrice est telle qu’il compose ses 2ème et 3ème Sonates et les Etudes.«
Le pianiste pourrait faire sienne la formule du compositeur qui écrivait le 30 septembre 1915 : « Hier soir, à minuit, j’ai copié la dernière note des Etudes… Ouf ! La plus minutieuse des estampes japonaises est un jeu à côté du graphique de certaines pages, mais je suis content, c’est du bon travail ! » Avant Planès, jamais ces douze Etudes n’avaient acquis une telle liberté formelle. Le son est habité dans ses moindres détails. Tapi dans l’ombre, cherchant à capter un rayon de lumière (la 4ème), caracolant avec grâce (la 5ème) ou surgissant avec vélocité (la 6ème), il se prélasse au soleil (la 8ème), tapote nerveusement sur la surface de l’eau (la 9ème) et s’évanouit, ravi.
Après un tel effort, le pianiste, peut-être encore dans l’euphorie capiteuse du Debussy des Etudes, avoue ne plus croire au piano contemporain : « Si j’étais compositeur, je n’écrirais pas pour le piano au xxème siècle, c’est une antiquité, ou alors pris parmi d’autres instruments, comme ce Trio avec piano de Pascal Dusapin dont je vais faire la création à la rentrée. » Mais il reste à l’écoute de la musique contemporaine : « Je l’avoue, je ne vais pas souvent aux concerts… J’ai déjà assez de peine à aller aux miens ! Mais je les écoute à la radio ou sur disque. Je ferais volontiers une exception pour le piano de György Ligeti, qui est un musicien à part, rattaché à une tradition d’Europe centrale par ses origines hongroises, ce qui lui permet de romanticiser son piano. »
Joseph Haydn, Quatre sonates. Alain Planès, piano (INA, mémoire vive/Musidisc).
Johannes Brahms - Zigeunerlieder. Rias-Kammerchor/Alain Planès, piano (Harmonia Mundi).
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Claude Debussy, Douze études … d’un cahier d’esquisses Masques L’Isle joyeuse. Alain Planès, piano (Harmonia Mundi).
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