Le “double blanc” des Beatles est-il l’album de l’année 1998 ? Et 2028 ? Et 2058 ? Et 2088 ?Cette année, j’ai eu 30 ans. C’était le 22 novembre. Le même jour, on a soufflé les trente bougies de The Beatles, que je considère aujourd’hui comme un frère, un jumeau enlevé à la naissance par […]
Le « double blanc » des Beatles est-il l’album de l’année 1998 ? Et 2028 ? Et 2058 ? Et 2088 ?
Cette année, j’ai eu 30 ans. C’était le 22 novembre. Le même jour, on a soufflé les trente bougies de The Beatles, que je considère aujourd’hui comme un frère, un jumeau enlevé à la naissance par les comprachicos hypothèse hugolienne et retrouvé quelques années plus tard sur la platine d’un ami (j’ai un peu honte, je n’ai découvert les Beatles qu’à l’âge de 22 ans).
The Beatles, pour détourner la citation d’André Malraux, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. En matière de pop, avec l’habitude, il devient difficile de s’enthousiasmer pour toute nouvelle création. Difficile de taper du pied en écoutant Garbage, abusif de crier au génie en allant voir Hole et impossible de ne pas distinguer le pillage en règle de trente ans de patrimoine rock (Lennon, Bowie, Kinks, etc.) laborieusement camouflé derrière des PME du type Oasis, Suede ou Blur. On voudrait bien s’abreuver de sang neuf, mais force est de constater qu’à quelques rares exceptions il faut se contenter au mieux d’émulation inspirée et au pire de plagiat cynique, avec dans les deux cas un pari misant sur l’amnésie présumée de l’auditeur.
Ce qui m’amène à parler du « double blanc ». En trente chansons, les quatre de Liverpool ont élevé la pop, non pas au rang de musique classique comme l’a affirmé cet abruti de Poivre d’Arvor, mais à celui de champ expérimental, de terrain de jeux (miné) où tout était permis. Tour à tour dorlotées (Good night, Martha my dear), passées à tabac (Helter skelter, Yer blues), traînées à la garderie (Bungalow bill, Piggies) ou dans la gadoue (Sexy Sadie, I’m so tired), plongées le nez dans les drogues (Happiness is a warm gun, Wild honey pie) ou tout simplement mises à nu (Julia, I will), les mélodies subissent un traitement de choc. Avec The Beatles, le groupe se met plus d’une fois en danger : il fallait un certain courage pour démolir cette image de boys’ band avant la lettre imaginée par Brian Epstein, parler sans détour du problème d’héroïne de Lennon (Happiness…, Me and my monkey), dédier un titre au chien de McCartney (Martha my dear), graver dix minutes de vide intégral (Revolution 9), ou laisser chanter Ringo Starr (Don’t pass me by).
La critique, qui n’en rate jamais une, a dans le temps inventé une opposition absurde entre les gentils Beatles et les méchants Rolling Stones. Il faut reconnaître que ce sont Lennon et McCartney qui ont pris tous les risques et enregistré avec The Beatles le disque le plus radical de l’histoire de la pop. Aucun album simple ou double n’a égalé depuis la puissance du White album, même si survient de temps à autre un descendant putatif qui retrouve par instants l’intensité de son brillant aîné. Au jeu des filiations, on retiendra Loveless (My Bloody Valentine) pour le jusqu’au-boutisme, Ting (Nits) pour la nudité diaphane, ou encore Denim on ice pour ses audacieux mélanges.
Pour terminer, « on » les fans, essentiellement me demandera de justifier mon choix. La question est épineuse. A propos de Marnie, François Truffaut avait créé l’appellation de « grand film malade ». On la reprendra ici pour The Beatles, « grand disque malade » d’un groupe au sommet, et qu’en toute subjectivité on emportera sur une île déserte, de préférence à la pêche miraculeuse de Revolver, aux arabesques de Sgt Pepper ou à la pièce montée Abbey Road (on oublie l’anecdotique Let it be).
Je conclurai en répondant à tous ceux qui jugent has-been d’écouter les Beatles aujourd’hui ces gens-là existent que, si les Chemical Brothers pompent intégralement Tomorrow never knows sur Setting sun, ils ont certainement de bonnes raisons de le faire. Rendez-vous en 2028.
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