En novembre dernier, un concert dans une petite salle de la banlieue parisienne a révélé deux nouveaux ouragans de la scène africaine, Dope Saint Jude et Muthoni Drummer Queen. A rebours de tous les clichés, elles entendent bien montrer de quelle voix elles se chauffent.
« Est-ce qu’il y a des féministes dans la salle ?« , hurle Dope Saint Jude à l’adresse du public du Plan, en région parisienne (Ris-Orangis). Lors de son concert donné en novembre dernier à l’occasion du festival Africolor, la Sud-Africaine est venue défendre son deuxième EP Resilient, sorti le même mois, et une certaine idée de la féminité, ambivalente, empruntant beaucoup aux codes des mâles alphas du hip-hop. Avec ses treillis, ses lyrics explicites et ses rap squats (poses accroupies volée à l’imagerie gangsta rap), la rappeuse de 28 ans a prouvé qu’elle en avait autant dans le pantalon que ses homologues masculins. « Je crois en l’égalité des sexes. Mais aussi aux droits des trans et des queers« , affirme-t-elle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Riot Grrrl made in Cape Town
L’ancienne drag king, ce pendant féminin du mouvement drag queen bien installé au Cap, n’a pas hésité à se grimer en homme pour s’imposer dans le game. Si son flow rappelle celui de M.I.A et Princess Nokia, Dope a plus des allures de punk sexy que de « tom boy ». Preuve avec ses vers « girl power » scandés sur le titre Grrrl Like, qui n’est pas sans évoquer le nom de baptême du mouvement underground, féministe et majoritairement blanc des années 90. Ce qui ne l’empêche pas de citer des icônes noires et populaires comme Winnie Mandela et Michelle Obama. « En Afrique du Sud, on retrouve un volet féministe très activiste et académique. Puis, un féminisme pop porté par des icônes médiatiques comme Beyoncé. Ce prisme-là est important parce qu’il parle à tout le monde« , glisse-t-elle.
Cette métisse native de Cape Flats, quartier de Cape Town où les Noirs sont minoritaires, se gausse autant des étiquettes sexuelles qu’ethniques. Pour autant, elle est bien consciente d’évoluer dans une nation arc-en-ciel encore largement ségréguée. « Me définir en tant que ‘coloured’ (ndlr : métisse) en Afrique du Sud me donne plus de privilèges. Mais dans le monde, je préfère dire que je suis noire, par fierté, mais aussi pour fédérer la communauté« . Raison pour laquelle l’identité raciale se retrouve au cœur de ses textes, qu’elle débite en anglais comme en afrikaans, langue des Blancs hollandais.
Afro pop dopée à l’électro
Comme Dope, la Kényane Muthoni Drummer Queen, qui se produisait sur le même plateau, a fait de la cause des femmes et du mouvement LGBT un combat. On lui doit le morceau de la bande originale de Rafiki, ce film signé de sa compatriote Wanuri Kahiu contant les amours contrariés de deux adolescentes au Kenya, où l’homosexualité est encore considérée comme un crime. « Je crois en l’égalité entre les gens, je crois en l’amour pour tous. J’étais heureuse de faire partie d’un projet pionnier comme celui-là« , affirme la chanteuse qui célèbre toutes les femmes, « sans distinction de classes ni d’orientation sexuelle« , sur son album She, sorti cette année.
Cette business woman s’est affranchie de la benga et du kapuka plébiscités par les radios à grand renfort d’afro pop, de R&B et de rap dopé à l’électro. Sur scène, c’est en ambassadrice afro-futuriste, flanquée de tresses argentées, d’une jupe en vinyle et d’une armure métallisée à épaulettes, qu’elle chante, danse et frappe son tambour, accompagnée de choristes et danseuses en uniforme de majorette et béret noir, tendance Black Panthers.
Et c’est aussi en ayant créé le Blankets and Wine, l’un des plus grands festivals du pays, qu’elle s’est fait un nom dans l’industrie musicale kényane. Sous son impulsion, l’événement est passé d’une centaine de visiteurs à quelque 45 000 en 10 ans. Sa fibre entrepreneuriale, la native des ghettos de Nairobi la doit à sa mère, qui gérait de front son foyer, ses enfants et sa carrière. « Ma mère était féministe sans le savoir. L’Afrique est un continent matriarcal et regorge de femmes fortes« , estime cette admiratrice de Wangari Maathai, la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la Paix en 2004.
En s’entourant des producteurs suisses, Gr! and Hook, Muthoni espère conquérir l’Europe, puis insuffler son hymne féministe jusqu’aux États-Unis. Idem pour Dope, qui aspire à une représentativité plus équitable du rap sud-africain, à l’heure où les Die Antwoord restent les seuls ambassadeurs du genre à l’international. Une chance de faire entendre des voix discordantes quand les ténors africains persistent à chanter un continent souvent bien traditionnel.
Après Reimagine, un premier Ep auto-produit en juin 2016, Dope Saint Jude sort Resilient en novembre 2018 sur la plateforme dédiée aux jeunes talents indies acquise par iTunes, Platoon. Une sortie qui s’est accompagnée d’un fanzine éponyme créé par l’artiste elle-même.
Sorti en mars 2018 sur le label indépendant Yotanka (Tample, Ropoporose…), She est le troisième album de Muthoni Drummer Queen.
Eva Sauphie
{"type":"Banniere-Basse"}