Que fait Jay-Jay Johanson dans une exposition au Consortium de Dijon ? Qu’est-ce qu’un Cosmodrome ? Quelle architecture pour Mars ? Et pourquoi l’artiste Dominique Gonzalez-Forster nous fait-elle ses adieux ?
La scène se déroule à Cannes, lors du dernier Festival, dans le cadre des soirées Point ligne plan organisées par Vincent Dieutre : sélectionnée dans la Quinzaine des réalisateurs, l’artiste française Dominique Gonzalez-Forster présentait dans une salle bondée quelques-uns de ses films au passage, on évitera soigneusement la notion de court métrage, devenue dans l’industrie du cinéma cet art consommé de la petite annonce, par lequel des « cinéastes en herbe » tentent, en un trait d’esprit, une trouvaille visuelle et un dialogue hilarant, d’appâter d’éventuels producteurs. L’artiste DGF, de son côté, fait des films courts, ce qui ne les empêche pas de donner l’impression de durée. Des films ouverts, à la narration ténue, fragmentaire, impalpable, qui épousent parfaitement leur dispositif technique : Riyo, travelling sur un bord de rivière à Tokyo avec, en bande-son, le flirt téléphonique de deux adolescents japonais. Ou le tout dernier Plages, magnifique plan aérien sur la foule rassemblée, les soirs de feux d’artifice, à Copacabana. Applaudissements cannois, succès d’estime pour cette cinéaste venue du hors-champ de la caméra… Quoi qu’il en soit, pour DGF la décision était déjà prise : de plus en plus de cinéma, de moins en moins d’expositions, au sens traditionnel du terme.
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Alors que faire au Consortium de Dijon quand on a décidé, précisément, de quitter le standard de l’exposition ? Sur le départ, Dominique Gonzalez-Forster aurait pu concevoir une rétrospective, retracer plus de dix ans passés à remodeler les salles d’expo, à les partager avec ses comparses Parreno et Huyghe, à y construire des chambres de fiction ou un Cabinet de pulsions. Mais la rétrospective a deux inconvénients notoires : elle boucle la boucle, quand DGF ne fait jamais que dériver vers autre part. Et surtout, elle reste une exposition, et de cela, DGF avait réellement marre.
Alors que faire, encore une fois, sinon mettre en scène ce départ, et montrer ce vers quoi on veut aller… A l’Usine, DGF a créé avec Jay-Jay Johanson un étrange petit spectacle son & lumière, Cosmodrome, environnement expérimental encore assez primaire, mais appelé à de futurs développements, où une voix de computer, genre Hal dans 2001 : l’odyssée de l’espace, nous invite à un léger voyage intergalactique. On y fait l’expérience du décollage, à coups de faisceaux lumineux, de clignotements colorés orchestrés par une musique spatiale, pointue et strictement electro d’un Jay-Jay désireux lui aussi de quitter la zone pop, et qui renoue ici avec ses années passées aux beaux-arts de Stockholm. Ensemble, ils ont donc imaginé ce petit spectacle cosmique, proche du planétarium, nourri de science-fiction, mais qui fait aussi retour vers le xixe siècle, avant l’apparition du cinéma : de fait, il y a dans le Cosmodrome le souvenir des panoramas, ou encore de ses environnements générateurs de sensations, où l’on simulait à coups de tremblements, d’éclairs électriques et d’effets sonores des naufrages effrayants et des orages terribles. Mais ici, dans cet univers très seventies, les sensations sont plutôt ambient et imprécises : couleurs aériennes, voix apaisante, environnement hypnotique. Une improbable séance de relaxation intergalactique.
Après Mission to Mars, « Quelle architecture pour Mars ? » : avec ce titre ironiquement futuriste, Dominique Gonzalez-Forster assure un lien subtil entre le Cosmodrome et l’autre espace du Consortium, où elle met en scène plus sérieusement ses adieux temporaires au format traditionnel de l’exposition. Elle y projette simplement ses films, puisque c’est ça maintenant qui l’intéresse. On y retrouve d’ailleurs sa version nippophone d’Ann-Lee, le fameux personnage manga racheté par Pierre Huyghe et Philippe Parreno à une agence japonaise. Mais pour bien faire, DGF s’offre le luxe d’inventer une nouvelle manière de présenter son cinéma : pour ne pas accumuler les sempiternelles vidéoprojections, elle crée une architecture particulière, construit des murs obliques qui traversent les salles d’expo, glisse ses films dans des fenêtres-écrans qu’on longe en passant ou devant lesquelles on s’arrête. Du home-cinéma, mais pour toutes les pièces de la maison et du musée. Un multiplex architectural, mais très éloigné de l’esprit UGC-Gaumont et de la grande distribution. Un dispositif nouveau, véritable alternative aussi bien à la salle de cinéma traditionnelle qu’aux boîtes noires et autres boxes à vidéo qui font la partie la plus épuisante de l’actuelle Biennale de Venise. Sans compter qu’avec ça, DGF refuse aussi d’accrocher ses films sur des écrans ultraplats et tourne le dos à la tendance montante des vidéos accrochées comme des tableaux dans les salons évidés des yuppies new-yorkais. Avec l’exposition « Quelle architecture pour Mars ? », DGF s’amuse donc à donner un début de réponse à une question qui ne fait que commencer : quel art et quels espaces d’art pour demain ?
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Dominique Gonzalez-Forster, Dijon, Le Consortium, Quelle architecture pour Mars ?, 16, rue Quentin,
et avec Jay-Jay Johanson, Cosmodrome,
37, rue de Longvic. Tél. 03.80.68.45.55. Jusqu’au 28 juillet.
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