Un nouvel album magnifique, une réédition intégrale, une tournée en vue : Dominique A poursuit en trois temps son itinéraire sensible. Rencontre en studio à Bruxelles. Critique et écoute.
Bruxelles en février. Il fait déjà presque nuit lorsque Dominique A nous ouvre la porte du Jet Studio. Les Rolling Stones et Edith Piaf ont enregistré ici. On les comprend, l’endroit est magnifique. Tout y est vintage : les sols, les plafonds, les instruments. C’est là que Dominique A a enregistré son dixième album, Vers les lueurs. Il nous guide, montre les lieux cachés comme cette pièce rouge où l’on enregistre le son “à la Phil Spector”.
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Le chanteur se trouve à Bruxelles avec une équipe rapprochée : Dominique Brusson et Géraldine Capart, qui terminent le mix et le mastering. Quelques semaines plus tôt, rencontré à Paris pour la ressortie de tous ses albums (lire ci-dessous), Dominique A nous avait mis l’eau à la bouche. “Il s’agit d’un disque où il est question de lumière”, avait-il annoncé avec un sourire en coin et sa bonne tête.
Il est désormais tout chaud cet album, prêt à être écouté à l’endroit même où il a été couché en janvier dernier avec le groupe qui accompagnait le chauve fondamental sur sa précédente tournée. “Après La Musique/La Matière, album solo, je me sentais bien en live avec le groupe (Sébastien Buffet, Jeff Hallam, Thomas Poli, déjà croisés pour certains chez Montgomery – ndlr). Mais en même temps, je voulais qu’il y ait des musiciens additionnels, que ce ne soit pas uniquement un disque où on envoie la sauce”, raconte Dominique A avec envie. En plus de sa bande électrique, il s’est donc offert les services du fidèle David Euverte, au piano et aux arrangements, mais aussi ceux d’un quintet à vent que le chanteur définit ainsi : “Des gens qui viennent du classique mais ne demandent qu’à s’en enfuir.”
Dominique A nous installe devant la console, gratte au feutre l’ordre des chansons sur une feuille volante, lance l’écoute et disparaît pudiquement au deuxième étage, nous laissant Vers les lueurs. Ce nouvel album laisse bouche bée. Il est d’une rare exigence, d’une rare liberté aussi. Contre un arbre, le morceau qui l’ouvre, donne une idée immédiate des fortes ambitions du disque : vingt années après la sortie de La Fossette qui le révéla, le père A continue de s’enraciner dans le paysage, toujours à sa façon, discrète, en empruntant disque après disque les chemins vicinaux et les sentiers de traverse. Pas de compromis visible sur ce Vers les lueurs qui ne cesse, à mesure qu’il se déroule, d’ouvrir des perspectives à Dominique A – là est toute la performance. On l’entend jouer avec sa voix plus que jamais, sortir les glissando, oser les soupçons de sensualité. “C’est plus fleuri. J’ai toujours aimé chanter. Je continue à apprivoiser ma voix. La tournée de La Musique m’a rapproché des gens, ça m’a fait beaucoup de bien. On s’est fait des bisous, comme dirait Katerine. J’ai senti un vrai enthousiasme qui m’a touché. J’essaie d’être moins dans l’autorité. Ça allège tout”, dira-t-il plus tard.
Les textes sont toujours aussi précis et cascadeurs : il suffit pour s’en convaincre de réécouter Vers le bleu (émouvant aux larmes, où Dom A parvient à caser “j’ai désinfecté ton genou”, chapeau), Quelques lumières, ce faux hymne de paix, le bouleversant et introspectif Ce geste absent, ou encore Le Convoi, morceau de bravoure de plus de neuf minutes que Dominique A mène à son terme avec une sérénité incroyable. Le résultat d’un travail d’écriture souvent exercé loin du monde. Ecoutez plutôt : “Il y a souvent des images qui me viennent quand je fais du vélo en Ille-et-Vilaine, en suivant toujours le même trajet, au bord de la Vilaine, entre Bédée-sur-Vilaine et Langon-sur-Vilaine.”
Et puis il y a la musique, un peu moins âpre que sur le dernier album (à l’exception de Close West), plus accueillante, plus complexe aussi : en organisant la douce rencontre entre sa formation rock et un quintet à vent, Dominique A semble avoir trouvé une formule passionnante qui ne s’interdit pas les couleurs et les envolées.
Au deuxième étage du Jet Studio de Bruxelles, où on le rejoint après l’écoute, Dominique A épluche la fabrication de Vers les lueurs. Il raconte comment il a voulu, avec le concours de David Euverte, que les instruments à vent puissent se glisser dans les interstices offerts par le groupe, pour justement laisser entrer cette lumière qui traverse l’album. “J’aime comme le quintet souligne les baisses ou les augmentations de tension, de relief. J’ai voulu jouer avec le son comme on peut jouer sur la lumière, avec une sorte de variateur. Ça me tire de plus en plus dans les côtes quand les chansons n’évoquent que des choses sombres. Je fais des efforts mais je ne joue pas encore de la bossa non plus, lance-t-il en souriant. Ce disque se situe pour moi entre le free-jazz et la variété. Je ne dis pas que je suis le seul à faire des trucs originaux mais là, j’ai le sentiment que c’est un entre-deux encore inexploré.” Il se marre doucement, sans se départir de cette pointe d’humilité qui force le respect.
Ouvert et florissant, terrien et aventureux, Vers les lueurs semble être une nouvelle pierre (de taille) dans le combat pour l’ouverture que le chanteur mène depuis de longues années. “Je n’ai pas envie d’assommer les gens, je n’ai plus envie de passer pour le vieux barbon qui fait chier. Je n’ai pas envie de radoter non plus. C’est pour ça que je me fixe des cadres, des limites. Je veux toujours aller plus loin, trouver un juste milieu entre quelque chose qui soit impressionnant mais pas intimidant.”
On trouve toujours, chez Dominique A, cette guerre de positionnement interne, cette remise en question permanente. Vers les lueurs, comme chacun de ses disques, n’en est surtout pas la victime mais le magnifique rejeton. Depuis Un disque sourd, son premier essai, en passant par Remué ou Auguri, et jusqu’à Vers les lueurs, Dominique A laisse une marque belle, sinueuse et indélébile sans presque vouloir la prendre en compte. Pas de la modestie, plutôt une force motrice : “J’ai toujours la crainte d’une hallucination auditive qui dure longtemps. Mais ça me fait avancer.”
Il est presque 20 heures à Bruxelles, le moment pour le chanteur et ses acolytes d’aller manger dans “leur” restaurant italien du centre-ville. La nuit est encore plus noire. Les lueurs qui entourent le parcours de Dominique A encore plus prégnantes, son itinéraire forcément toujours plus précieux.
Réédition de l’oeuvre de Dominique A : mue intégrale
Si vous n’avez jamais écouté Dominique A, vous avez presque de la chance. En janvier est ressortie l’intégralité de son oeuvre, remasterisée et augmentée (pour chaque référence) d’inédits, de lives, de demos et de remixes.
De son tout premier essai, Un disque sourd, album diaphane, radical, naïf, neurasthénique et longtemps introuvable (accolé ici au fondateur La Fossette), à La Musique/La Matière, dernier(s) album(s) avant Vers les lueurs, l’occasion est trop belle de se (re)plonger dans l’oeuvre de Dominique et d’en mesurer la portée. “J’aime bien l’idée de remettre les disques dans les bacs. Ces disques, c’est ma vie, j’assume tout. C’est bien de se dire que les vieux bidules ne sont pas égarés dans la nature. Aujourd’hui, il faut tellement jouer des coudes pour être en vente… C’est vraiment une chance”, explique Dominique A, qui n’a pas voulu d’un coffret – “l’horreur, un peu comme une tombe”.
Des (très bons) disques, donc, des découvertes ou des redécouvertes à faire : les mordus trouveront leur compte dans des dizaines de morceaux jamais entendus, qui renforcent ou infirment le sens des disques, donnent à réfléchir. Pour les novices, il y a des immanquables à écouter d’urgence. La Mémoire neuve, qui le plaça définitivement sur la carte et qui, au-delà du Twenty-Two Bar, que son auteur a tant détesté, brille par son écriture acide (Il ne faut pas souhaiter la mort des gens). Remué naturellement, ce disque dur mais d’une beauté rare, posé comme une évidence au milieu de l’oeuvre de A. Auguri enfin, qui laisse entrevoir un peu plus de lumière, contenant autant l’indépassable Pour la peau que la reprise aérienne des Enfants du Pirée. Indispensable.
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