Le producteur Dombrance (aka Bertrand Lacombe) a sorti le 26 juin l’EP Poutou (E47 Records). Après Jean-Pierre Raffarin, François Fillon, Christiane Taubira ou encore Jean-François Copé, c’est donc l’ouvrier de Blanquefort, ex-candidat à la présidentielle du NPA, qui rejoint son shadow cabinet techno. Alors que celui-ci a obtenu 9,39 % des voix au second tour à Bordeaux, nous l’avons interrogé sur cette étrange coïncidence.
Alors que la tension était à son comble sur un potentiel remaniement ministériel, Dombrance a mis fin au suspens le 26 juin, en sortant son EP Poutou. C’est donc l’ex-candidat à la présidentielle du NPA, ouvrier à l’usine Ford de Blanquefort, qui rejoint son gouvernement officieux, avec Jean-Pierre Raffarin, Christiane Taubira ou encore François Fillon. Qu’est-ce qui fait tenir un pareil attelage ? L’amour de la musique, de la teuf et de la politique du producteur Dombrance (Bertrand Lacombe de son vrai nom). Depuis 2018, celui-ci crée des morceaux qui transforment des personnalités politiques de premier rang en hymnes new disco – avec son complice, le graphiste Olivier Laude, qui réalise ses pochettes hallucinatoires. Alors que Philippe Poutou vient d’être élu au conseil municipal de Bordeaux (ville gagnée de manière incroyable par l’écologiste Pierre Hurmic, après soixante-dix ans de gouvernance de droite), nous avons interrogé Dombrance sur le vent de changement qui souffle sur sa ville d’origine.
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Ton EP Poutou est sorti le 26 juin, juste avant le scrutin du second tour des municipales, où Philippe Poutou a été élu conseiller municipal à Bordeaux. Il peut te dire merci, non ?
Dombrance – (Rires) Non, je suis sûr que non ! Ce qui est marrant, c’est que depuis que j’ai commencé ce projet, j’ai toujours été à l’ouest par rapport à l’actualité politique. C’est la première fois que je suis pile-poil dans le bon timing. Ce n’était pas programmé, puisque tout s’est fait pendant le confinement. Il se trouve que quand on a trouvé une date de sortie, c’était le week-end des élections, ça nous a fait rire.
Ça n’avait rien à voir avec la candidature de Philippe Poutou à Bordeaux, la ville dont tu es originaire ?
Franchement, non. C’est une personnalité que j’apprécie. Parmi les personnalités que j’ai pu faire, quelque part, Poutou est un foufou. Le double sens de son nom était déjà un sujet de rigolade avec mes potes en 2012. On avait fait un after de dingue le dimanche du premier tour de l’élection présidentielle, on avait passé la soirée à se faire des poutous en disant : “Votez Poutou !” Lors de cette campagne, il avait envoyé des scuds dans les débats télévisés avec les autres candidats, et ça nous avait plu. C’est un personnage assez libre dans ce qu’il raconte. Il n’a pas vraiment envie de se faire élire, il fait de la politique pour faire passer ses idées. C’est un ouvrier de Blanquefort, qui fait de la politique pour aider ses camarades. Je ne suis pas forcément toujours d’accord à 100 % avec ce qu’il peut raconter, car c’est quelqu’un d’extrême, mais il est aussi extrêmement sympathique.
Tu as fait des morceaux sur Fillon, Raffarin, Taubira… Poutou occupe-t-il une place à part dans cette liste ?
Mon idée avec ce projet, c’est de désacraliser les idoles politiques, pour sacraliser la musique. C’est ce en quoi je crois : en la musique et en son universalité. Mais Poutou occupe en effet une place spéciale. Alors que tous les autres ont pour objectif de se faire élire, lui a envie de prendre la parole. De plus, à Bordeaux, les Verts viennent de passer, ce qui est improbable, et ils sont passés dans une triangulaire où Poutou a obtenu 10 % des voix ! C’est une vraie révolution à Bordeaux ! (rires)
https://twitter.com/JeanHugon3/status/1277345749265715201
Que t’inspirent ces résultats à Bordeaux ?
Je pense que c’est une leçon pour certains politiques. Je pense notamment à Thomas Cazenave [le candidat LREM, ndlr], que je connais. On a le même âge, on était sur les bancs de la fac en même temps, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Mais je trouve que c’est l’exemple type de ce que la politique peut déformer chez les gens. Toute personne qui s’engage en politique a envie d’agir, mais la politique, le système électoral, le système des partis, finissent par déformer les trajectoires. Au fur et à mesure, on perd un peu de soi-même pour atteindre le pouvoir. Thomas était socialiste, il est parti chez LREM, et il a fini par s’associer avec LR, et par perdre. Poutou, lui, est resté droit dans ses bottes, il ne s’est allié à personne, a dit ce qu’il pensait. C’est quelque chose que je respecte.
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Est-ce un point commun de toutes celles et ceux sur qui tu jettes ton dévolu dans tes morceaux ?
Je pense qu’il faut oublier ça. Le futur va s’écrire en dehors de la politique telle qu’on l’a connue. Il y a une vraie crise politique aujourd’hui, qui vient du fait qu’il y a quelque chose de très déceptif dans les élections, dans les partis, dans le fait qu’une personne toute-puissante soit censée représenter tout le monde. On a l’impression que notre pouvoir est très limité par le simple fait de mettre un bulletin dans l’urne. L’avenir, c’est d’avoir des moyens d’agir en tant que citoyen·nes de façon différente : dans sa façon de consommer, d’agir, de s’impliquer dans sa ville, dans son village, dans des associations. Il y a plein de façons d’agir pour changer les choses. La politique est nécessaire, mais ce n’est que du compromis et de la diplomatie. Diriger une ville, un pays, c’est complexe. Notre monde est complexe. On oppose à cette complexité des discours très binaires qui nous font entrer dans une sorte de négativité, alors qu’on a besoin de retrouver de la positivité dans notre vie de tous les jours. Il faut trouver des moyens d’agir en dehors de la politique.
Je suis passionné de politique depuis toujours, mais je n’ai jamais adhéré à un parti, ni milité pour quelqu’un. C’est ma vision personnelle. Ce projet est parti d’une volonté de rire : c’était improbable de chanter “François Fillon” sur un morceau techno, de faire danser les gens et d’avoir ce côté festif. Finalement, progressivement, ça devient un défouloir artistique pour moi. Pareil pour le travail avec Olivier [Olivier Laude, auteur des illustrations de l’EP, ndlr], on s’amuse beaucoup. J’espère que c’est aussi un défouloir pour les gens : danser, s’amuser, avec un fond humaniste derrière porté par la musique, qui peut tous nous relier – plus que la politique, je pense.
Les illustrations d’Olivier Laude font partie intégrante du projet. Elles sont toujours très léchées. Comment travailles-tu avec lui ?
Notre rencontre était magique. Très rapidement, Olivier a trouvé un angle qui faisait qu’on n’était pas dans la caricature. On ne voulait pas faire du Charlie Hebdo, on voulait rentrer dans un monde parallèle, où ces personnages tombent dans une espèce de marmite de MDMA et pètent un peu un plomb ! (rires) Et surtout, on voulait rire, voyager. C’est toujours un plaisir de solliciter Olivier. Avec Poutou, on était en plein confinement, et on voulait donc faire écho à l’idée de se faire des poutous. On se disait qu’un jour on allait bien pouvoir s’en refaire ! Il m’a envoyé le Poutou à poil, et qui envoie des poutous. J’ai passé la journée à en rire tellement c’était improbable. Pour chaque remixeur, il y a une illustration où il est habillé différemment, de manière à ce que ce soit lié à l’esprit de chaque remix. On va les publier chaque jour de la semaine.
Tu sais déjà qui sera le/la prochain·e sur ta liste ?
En live, j’en fais d’autres qui ne sont pas encore sortis. Mais là, mon objectif principal pour le mois de juillet, c’est Didier Raoult. Il n’est pas politicien, mais c’est une figure presque politique aujourd’hui. J’ai déjà 15 000 idées autour du personnage. Je crois que je vais pouvoir bien me faire plaisir.
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Cela faisait 70 ans que Bordeaux était à droite. Est-ce un symbole important pour toi, ce basculement à gauche avec Pierre Hurmic ? Est-ce annonciateur de changements ?
Comme je le disais, je pense que les choses changent de façon très légère. Dans une ville comme Bordeaux, tu te retrouves forcément face à des lobbys, comme celui du vin par exemple. Tu es obligé de jongler avec la complexité d’une ville. Néanmoins, alors qu’on se demandait ce qui allait se passer après le confinement, je pense que ces résultats commencent à apporter une réponse. Les gens ont envie d’une réflexion autour de l’écologie. C’est un message fort. C’est triste pour Perpignan [tombée dans l’escarcelle du Rassemblement national (RN), ndlr], mais pour un parti qui pense pouvoir accéder au pouvoir, le FN [ex-nom du RN, ndlr] a pris une déculottée ce week-end. Alors que l’écologie devient une nouvelle force et une nouvelle volonté en France. Je suis de bonne humeur ce matin !
Philippe Poutou a entraîné avec lui Antoine Boudinet, un Gilet jaune qui a eu une main arrachée lors d’une manifestation à Bordeaux, et qui a également été élu au Conseil municipal. Faire émerger des personnalités dites “de la société civile” – bien que Macron ait aussi utilisé cette expression avec un autre sens –, c’est un aspect positif ?
Je pense que Macron a enfumé tout le monde avec En marche. Il a voulu créer une dynamique dite de la société civile, ce qui est une grande idée dans l’absolu. Mais dès son intronisation, c’était Napoléon arrivant au pouvoir. Il a tout de suite fait la démonstration que ce n’était que de la com’. Je pense qu’on est typiquement dans une problématique propre à la politique d’aujourd’hui. La société civile a sa place en politique. Mais on a surtout tous·tes notre place dans l’action : pas seulement dans un conseil municipal, mais dans ce qu’on peut faire au quotidien. Il y a une vraie crise aujourd’hui concernant les violences policières. Que des gens aient perdu un œil ou une main dans une manifestation, ce n’est pas normal. Je comprends la colère, je comprends les manifs, je peux comprendre les Gilets jaunes, mais je pense cependant qu’il faut qu’on s’organise pour retrouver une notion d’action positive. Le discours binaire sur le mode “tous pourris” n’est plus possible. Le gouvernement n’aide pas, évidemment. A Paris, le préfet est catastrophique, il y a une gestion calamiteuse des manifestations et de la répression policière. Mais il faut retrouver des cercles vertueux.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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