Sacré numéro un de notre top 10 des meilleurs albums de rap français (pour « Première consultation »), le Doc nous a accordé un entretien fleuve. Au menu : hip-hop, Sarko et Wong Kar Waï.
Près de quinze ans après sa sortie, quelle valeur accordes-tu à ce premier album alors ?
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À l’époque, cet album est sorti pour mettre tout le monde d’accord. Avec Première consultation, l’affaire était bouclée, dans le sac. Après ça, plus personne ne pouvait venir cloner. J’avais fait le truc ultime. Pour écouter quelque chose de frais, il fallait attendre dix, vingt ou trente ans – enfin, 120 ans, ça serait pas mal aussi. J’ai dit tout ce qu’il fallait dire. Sur le suicide, c’est Nirvana qui a été accepté comme le titre modèle ; c’est acté, ce n’est plus la peine de faire quelque chose maintenant. Ma chanson, c’est pas forcément la mieux mais c’est celle qui est validé. C’est moi qui ai eu le truc.
Comment as-tu géré la sortie de cet album et son succès ?
À l’époque où j’ai réussi, l’argent n’avait pas la même valeur morale. Au quartier par exemple, les gens voulaient surtout savoir à quoi ressemblaient le milieu de la musique et du show-biz. Ils se foutaient de mon salaire. J’étais comme un homme politique : on attendait de moi des réponses à un paquet de questions ; on ne me demandait pas combien j’avais gagné.
D’accord. Mais pour ce qui est de ta vie, de tes habitudes, quelque chose a-t-il changé ?
Je ne suis pas parti en Suisse ou à Los Angeles, je n’ai pas acheté de Picasso, j’ai pas acheté de sape, je ne suis allé dans un aucun truc de prestige et de luxe, je ne sortais pas en boîte – ça, je le laissais à Stomy. Moi, j’étais comme un personnage que l’on voit dans les films intellectuels : le mec qui est riche mais qui ne sait pas quoi faire avec son argent et qui, du coup, devient triste et veut partir en Inde. Bon, je suis pas parti en Inde mais j’étais triste, je n’étais vraiment pas bien. J’avais plein d’argent mais les miens n’avaient rien. Ça me faisait mal, je culpabilisais.
Du coup, j’ai beaucoup donné d’argent autour de moi. Dans tous les sens : à mes potes, à ceux qui étaient dans le besoin et à ceux qui me demandaient. J’avais 20 ans et je ne maîtrisais pas la science de la gestion, je faisais un peu n’importe quoi. De leur côté, les gens de la maison de disques ne m’ont donné aucun conseil. Ils ont juste attendu que je tombe.
Et tu es tombé ?
Bien sûr ! Un jour, les impôts me sont tombés dessus. Pour moi, à l’époque, les impôts, ça ne voulait rien dire. De ce point de vue-là, j’étais comme pour les mecs du quartier : un analphabète. Quand on est dans la rue, on ne s’imagine pas une seule seconde devoir quelque chose à quelqu’un, encore moins à l’État. On croit qu’il n’y a que notre quartier qui existe. C’est limite si on ne sait pas qu’il y a des lois (rires). Moi, quand j’étais dans le quartier, j’étais si bête !
L’argent, il faut savoir s’en occuper. Mais moi, je m’occupais mieux de mon pitbull que de mon compte. Mon pitbull, je l’aimais, je l’emmenais chez le vétérinaire, je le faisais tatouer, je faisais tout ce qu’il fallait. Mais mon compte… je n’ai rien géré. Pour résumer cette histoire, il faut imaginer un gamin de dix ans à qui on file un énorme chèque, comme un petit roi, genre Louis machin, à qui on file la couronne. Ce n’est pas gérable.
Et les filles dans tout ça ? Voilà un thème qui était quand même bien récurrent dans ton premier album et les suivants aussi…
Et bien les filles que j’ai eues, personnes ne les voulait à part moi. Ces filles étaient du genre de celles qui parlent, qui causent, qui tiennent des discussions et qui font chier à la longue. Bon, je me souviens quand même être sorti avec une nana un peu plus typée hip-hop – c’était une copine de la nana de Stomy, une danseuse. Mais elle n’était pas vraiment mon genre. Moi, j’aime vraiment les filles qui lisent des magazines de culture, qui portent des habits de la mode, qui racontent des trucs, qui aiment Wong Kar-waï, tout ça. J’adore ! Mais le souci, c’est qu’à mon époque, il n’y en avait pas beaucoup des comme ça, il y en avait peu en clonage. Zadig et Voltaire, ça n’existait pas. Du coup, je ne sortais qu’avec des filles plus âgées. Parfois, elles avaient deux fois mon âge.
Tu les rencontrais où ces filles ?
Oh, je m’arrangeais. C’était dans la rue ou dans des occasion spéciales mais jamais dans des boîtes de nuit. Mais je ne fourrais pas de pute hein, je n’ai jamais eu ça. Non, non !
Parions que certains hommes t’ont marqué au cours de ta carrière. Bernard Tapie par exemple, que tu as invité pour un featuring. Comment l’as-tu rencontré ?
C’est moi qui ai demandé à le rencontrer. À cette époque-là, il fascinait les gens de la rue, on ne le voyait pas comme un riche. C’était un exemple, un type qui n’avait pas réussi à l’école mais qui avait réussi quand même. Il est sorti de prison et m’a donné rendez-vous dans un restaurant. Moi, inconsciemment, je me suis dit qu’il allait avoir besoin de quelque chose, je pensais que je pouvais l’aider. En fait, je crois que j’avais peur que quelqu’un le tue. Je me suis dis que s’il se mettait à chanter avec moi, qui suis cool et au top, personne ne pourrait lui faire de mal. C’était le moyen que j’avais trouvé pour l’aider à se réhabiliter ; je ne savais pas qu’il pouvait aussi écrire un article dans Le Figaro ou rallier les centristes.
Et donc tu lui as proposé de faire un titre avec toi ?
Ouais, comme ça. Et il m’a dit : « Ouais, d’accord« . Il voulait écrire le titre avec moi. Il avait un grand tableau comme dans les entreprises, et il a commencé à écrire tous les mots qu’il ne voulait pas dire. Je crois que c’est Bernard Tapie qui m’initié à l’idée de censure. Sur Valenciennes, il m’a corrigé et c’est lui qui a écrit « Mais non, je les aime à Valenciennes« . Je me souviens aussi que, lorsque j’ai écrit « Pour une histoire de points ou de pour-cent« , il a voulu rajouter « deux pour-cent« … je n’ai jamais compris. C’est peut-être une superstition d’homme d’affaire.
Tu as également chanté avec Renaud…
Le mec est un héros de ma jeunesse. Les Français du quartier, les fans du PSG et tout, ils écoutaient Aznavour, Jean Ferrat et Renaud. Comme dit Lara Fabian : « il y a trop de gens qui l’aiment« , celui-là. Il était dans la même maison de disques que moi, on m’a dit qu’il refusait de chanter et de faire des interviews à part une pour le journal Marseille Boule, les mecs qui font de la pétanque. Oh la la, je me suis dit qu’il allait vraiment pas bien. Moi, ça m’a fait de la peine, je voulais savoir pourquoi. Quand je l’ai rencontré à la Closerie des Lilas, il était en analyse et en recul par rapport à ce qu’il voulait faire… Moi, je dormais dans un canapé et j’étais au top tannique que lui, il dormait dans un grand lit molletonné mais il était brisé…
Pourquoi as-tu voulu ouvrir le rap et mélanger les genres ? D’où vient cette envie ?
En fait, je n’ai jamais eu aucune notion de ce que peut être un clivage dans la musique. Je suis métisse, j’aime les choses de tout horizon. Et puis je respecte mes aînés : à une époque ou plus personne ne parlait d’eux, j’ai fait ce que j’ai pu pour que Renaud et Aznavour existent. Ils ne le diront pas mais, de mon temps, les mecs étaient vraiment oubliés par le public. Aussi, quand j’ai choisi de bosser avec des gens hors du rap, je n’ai jamais eu conscience que ça pouvait choquer ; je ne connaissais pas l’image d’untel ou d’untel. Je bossais juste à l’instinct. Et comme petit à petit mon public s’est transformé, quand je me suis rendu compte que pour un concert, il n’y avait plus que cent racailles sur des milliers de personnes, ça m’a encore plus donné envie d’élargir le champs de ma musique. D’ailleurs, je ne sais toujours pas vraiment pourquoi des types qui ne venaient pas de quartiers, des intellectuels, se sont mis à écouter ma musique. Je n’ai jamais calé le nom de Martin Parr dans mes textes…
Aujourd’hui, les rappeurs commencent à comprendre qu’il faut qu’ils ouvrent; ils se mettent un peu à l’électro maintenant. C’est dommage qu’ils ne l’aient pas fait avant. Il y avait tellement de super artistes avec qui on aurait pu bosser ! On aurait pu faire plein de choses avec Renaud. Et puis Laurent Voulzy aussi…
Tiens donc, Laurent Voulzy. Tu l’as aussi rencontré celui-là ?
Putain, si, j’avais dit aux mecs que j’avais croisé Laurent Voulzy, j’aurais entendu des insultes que personne n’a jamais entendues, des trucs… Je me serais fait tuer ! Mais Laurent Voulzy, c’est génial ! Quand t’as écouté ça, t’as envie de dire à ta femme qu’elle est belle, que ce qu’elle a fait à manger est super bon, que les enfants c’est génial. Laurent Voulzy, t’as tellement envie de l’aimer… Si tu peux bosser avec ce mec, t’es obligé de profiter de l’occasion. Moi, dans vingt ans, quand je repenserai au fait que j’ai fait un truc avec Laurent Voulzy, je serai hyper content. Je me suis fait plaisir avec Laurent Voulzy ! En y repensant, c’est dingue : quand je faisais du rap, je pouvais avoir qui je voulais.
Recueilli par Raphael Malkin
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