Compositeur de musiques de films ou de pubs, le Français Chassol crève l’écran. Avec son album X-Pianos, il offre le vertige et la voltige – quand il ne s’amuse pas sur YouTube. Critique et écoute.
Christophe Chassol est un musicien qui aurait très bien pu continuer à ne pas se faire un nom. Un pianiste- compositeur-arrangeur plutôt doué qui a depuis longtemps fait son trou dans les musiques de pubs et de films (celle du film d’horreur The Incident ou, dans un autre genre, celle de la série Clara Sheller). Formé au piano classique et jazz, il a aussi baigné dans le monde de la pop (avec Phoenix ou Sébastien Tellier, dont il a arrangé le deuxième album), tout en menant ses projets perso au croisement de la musique, de la vidéo, voire de l’art contemporain. Seulement voilà : grâce au soutien du bon label Tricatel, Chassol a fini par sortir son premier album, et sortir du trou.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce disque, X-Pianos, est un puits de lumière venue d’en haut, une spirale ascendante de musique savante et de sensations insensées, où flottent et ondulent des nappes de claviers scintillantes, des boucles samplées de voix d’enfants, des rythmes electro baroques en caoutchouc, des souvenirs jet-lagués de folklores de synthèse et tout un tas d’autres choses ingénues, curieuses, magnétiques, brillantes, qui font croire à l’existence d’extraterrestres mélomanes. Parfois, on dirait de la soul progressive à la Stevie Wonder, mais jouée par un compositeur minimaliste accompagné d’un grand orchestre planqué dans un ordinateur. Ses héros musicaux sont Stravinski, Steve Reich, Miles Davis, Morricone et beaucoup d’autres. Mais il aime aussi danser et cite Cure ou les UK Subs dans ses amours musicales de jeunesse.
Martiniquais d’origine, Chassol est un des acteurs de la grande et belle créolisation du monde. Dans les structures de ses chansons, il aime les répétitions. Des petits pas en arrière pour un grand bond en avant. Bref, cette musique ultra multisensorielle est ce qu’on a entendu de plus emballant depuis des années-lumière (ou au moins depuis Fredo Viola). La musique de Chassol est celle d’un enfant non seulement prodige (au Conservatoire dès l’âge de 4 ans) mais aussi hyperactif. Sur X-Pianos, il y a 33 morceaux, qui durent entre 39 secondes et 14 minutes. L’objet lui-même est utopique : un double album, auquel il faut ajouter le DVD du film musical Nola chérie, réalisé par Chassol lui-même à La Nouvelle-Orléans. En vrai, ce premier album est aussi une compile, un best-of de morceaux enregistrés entre 1996 et aujourd’hui.
“Avant Bertrand (Burgalat, patron de Tricatel – ndlr), personne ne comprenait où j’allais avec ma musique. J’étais conforté dans l’idée que ce n’était pas une musique facile. Je suis surpris par les critiques positives, la reconnaissance fait du bien. Ce disque, c’est une carte de visite pour développer mon travail, faire de la recherche, lancer des projets.” Nous sommes sous les combles de Chassol, et nous sommes comblés. Le musicien a converti l’étage de son duplex parisien en studio d’enregistrement. Des claviers et deux écrans d’ordinateur, sous un plafond voûté qui évoque à la fois une nef d’église et un cockpit de vaisseau spatial. Un logiciel pour la musique, un autre pour les images, et l’inventeur Chassol au milieu, qui construit en décloisonnant. Tout en déroulant le film de sa vie (le père saxophoniste amateur, les seize années d’études de musique, la passion pour les musiques de films, les goûts éclectiques, l’importance des ordinateurs et d’internet…), Chassol pianote et tient à nous faire partager ses travaux en cours : harmonisation d’une interview vidéo de Meredith Monk et d’un film consacré à une répétition du chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus.
“L’harmonisation du réel”, ou “ultra scores”, c’est le grand truc de Chassol : à la façon d’un peintre inspiré par son support, il pose sa propre musique sur des vidéos YouTube ou qu’il réalise lui-même (il a ainsi filmé sa voisine violoniste par la fenêtre). Sur internet, on trouve ses vidéos ultrascorées. Celles d’Obama sont magnifiques. Obama qui parle ou chante Al Green, c’était déjà beau. Mis en musique par Chassol, ça devient merveilleux.
“Grâce à la science de l’harmonie, la superposition de notes, tu peux sublimer les images. Rien n’est irréel, tout existe, même l’imagination. J’aimerais faire entendre aux autres comment j’entends avec mon oreille exercée. C’est la chance que j’ai, d’avoir une oreille.”
A un moment, Chassol donne un coup sur la console en bois devant lui et déclare : “C’est un si bémol”. Chassol est capable d’entendre les notes derrière n’importe quel son, il a l’oreille absolue. C’est aussi pourquoi sa musique mérite l’écoute absolue.
{"type":"Banniere-Basse"}