Sur Europop, maxi fastueux de 1991 on sentait Neil Hannon retenu de force sur terre, condamné au rock par un groupe incapable de voler. Débarrassé de ce fardeau à compromis, il est désormais Divine Comedy à lui tout seul et peut s’offrir Liberation, l’envolée pop la plus impressionnante de la rentrée.
Tu es désormais l’unique membre permanent du groupe, son seul cerveau. Comment fais-tu pour « penser » la musique dans sa globalité, sans l’aide d’un bassiste, d’un batteur, d’un guitariste ?
Je suis seul aux commandes, je maîtrise donc parfaitement la machine.Personne pour proposer une direction contraire, personne pour me distraire. Mais pour accéder à ce niveau d’autonomie, il faut des années de boulot. On ne peut pas se permettre de se lancer du jour au lendemain en solo, sans filet. D’ailleurs, la plupart des songwriters n’y arriveront jamais, ils ont trop besoin de se sentir soutenus… Moi-même, j’ai joué avec des musiciens, dans une structure classique de groupe de rock, jusquà ce que je sois capable de me passer d’eux. A un moment, je me suis dit que je pouvais faire mieux que mes copains, que ma musique ne prendrait son éclat véritable que le jour où je serais absolument libre. Alors, je me suis mis au travail, des journées, des semaines, des mois entiers devant mon piano, à la maison, à entendre les différents éléments instrumentaux dans ma tête, section rythmique, cordes, chants. Du boulot, encore du boulot. Voilà comment j’en suis arrivé à Liberation.
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Sans jamais regretter de devoir créer seul, sans apport extérieur ?
A quoi bon ? Je sais parfaitement ce que je veux. Je peux travailler à mon rythme. D’ailleurs, personne n’arriverait à me suivre. Je travaille trop, comme un fou, un obsédé. Qui voudrait bosser avec moi dix heures par jour ? Qui serait prêt à endurer cela des heures entières, planté devant un petit magnéto 4 pistes, sans sortir de la pièce, sans manger ? Les gens ne sont pas prêts à donner autant que moi. Personne n’est disposé à travailler ainsi. Chaque morceau de mon album a été enregistré une dizaine de fois, chez moi, sur autant de cassettes successives. Je ne voulais pas qu’on me vole mes chansons, je voulais qu’on les aime, que les gens les vénèrent, car elles sont extraordinaires. Je ne pouvais pas me permettre de bâcler mon uvre. C’est l’idée de perfection pop qui me fait vivre et m’user ainsi, comme un condamné aux travaux forcés.
Ne vois-tu aucun danger dans cette méthode, tellement obsessionnelle qu’elle requiert tout ton temps ?
C’est très néfaste pour ma santé morale, et surtout physique. Il m’est arrivé de perdre plusieurs kilos sur une chanson, simplement parce que je n’arrivais pas à la jouer correctement. Ce que j’entendais sur la bande ne correspondait pas à ce que j’avais dans la tête et je refusais de m’alimenter avant d’avoir trouvé la solution (sourire)… Je m’accroche, je me bats, je résiste à la tentation d’abandonner. J’apprends beaucoup, je gagne en rigueur, en courage. Et le plus souvent, mon travail est couronné de succès. Mes parents et mes copains me disent que je suis fou. Mais moi, je suis content de mes chansons. J’ai peut-être perdu un peu de poids, je manque de sommeil, mais je suis heureux. Je nai jamais été attiré par la simplicité, le dépouillement musical complet. Tous ces groupes comme The Jesus and Mary Chain, retenus au sol par les trois mêmes accords, me dégoûtent, des incapables… Pour autant, je ne suis pas fana de complexité. Je recherche celle qui sonne simple, la simplicité illusoire. L’oreille perçoit une musique fluide, évidente, qui s’avère terriblement sophistiquée si l’on est plus attentif.Les Beatles étaient de véritables champions à cet exercice. Leurs chansons, en apparente évidentes, sont impossibles à jouer pour un débutant. La facilité n’existe pas chez les Beatles. Voilà ce qui me plaît. Ainsi, les gens ne se lassent pas des chansons. A chaque nouvelle écoute, on découvre quelque chose, une harmonie, un arrangement que l’on n’avait pas remarqué la veille.
Chez Divine Comedy, cette complexité est-elle le résultat d’un effort délibéré ?
Au contraire, elle est très naturelle, peut-être trop. Mon travail consiste à élaguer mes chansons, à les rendre plus digestes. Comme un tailleur de pierre en face d’un joli caillou. Il sait que le caillou cache un bijou, mais il lui faut travailler, affiner. Et puis un jour, on regarde son uvre et on sait qu’on a réussi. Ce jour-là, je suis allé en studio pour enregistrer les versions définitives de mes chansons. J’ai disposé les instruments d’une certaine manière, puis j’ai passé des heures à régler la lumière, à choisir une chaise, une chemise, un pantalon. Lorsque j’ai trouvé le costume qui me convenait le mieux, je n’en ai plus changé. J’ai gardé les mêmes vêtements pendant tout l’enregistrement : trois semaines. J’ai tout joué seul, hormis les cordes. Pas besoin de producteur, pas besoin de musiciens. Juste un bon ingénieur du son, quelqu’un qui me comprenne et m’obéisse. Il fallait aller vite, car j’ai perdu assez de temps comme ça. Je suis déjà un peu vieux pour me lancer dans la pop-music. J’ai 22 ans.
En découvrant Liberation, on est frappé d’emblée par la richesse mélodique des chansons, complètement détachées de leur époque.
II y a toute ma vie dans ces chansons. La plupart ont été écrites au cours des quatre dernières années, mais les sentiments quelles véhiculent sont très anciens. Voilà sans doute pourquoi elles ont ce caractère intemporel,détaché. En vérité, mes chansons n’ont pas toujours eu cette qualité. Il y a quelques années, j’étais un piètre compositeur, incapable de me détacher de mon temps, de ce que j’entendais à la radio ou à la télévision. A chaque vague musicale, je me battais pour coller à l’époque. Mes groupes successifs ont donc sonné comme U2, puis comme Echo & The Bunnymen, REM, Ride, jusqu’à la première incarnation de Divine Comedy, très marquée par le retour au style sixties, avec ce petit côté Stone Roses. J’étais vraiment idiot, je me contentais de suivre les modes, d’écrire les mêmes âneries que les autres, ceux qui avaient du succès et enregistraient des disques.
A quel moment as-tu décidé d’innover, de ne plus suivre les autres ?
J’ai commencé par virer le groupe, car je le tenais pour responsable d’un certain nivellement par le bas, très néfaste pour mes chansons. Ensemble, nous devions jouer comme un groupe, ne surtout pas vexer le batteur en lui demandant de s’abstenir de jouer par exemple. Moi-même, j’étais prisonnier de ces clichés, obsédé par cette image collective, par notre son de groupe, particulièrement sur scène. Je voulais jouer dans un groupe de rock, avoir l’air d’un dur, brandir ma guitare. J’avais besoin de plaire à mes copains et aux filles, le rock me semblait être le meilleur moyen de séduction. Je voulais leur montrer que mon groupe pouvait être aussi bon que U2. Mais nous étions médiocres. J’aurais mieux fait de chercher ma propre voie. Au moment de Fanfare to the cornic muse, notre premier album, je n’écoutais que Ride et My Bloody Valentine. Le disque est donc bâtard : des chansons honnêtes, mais jouées bêtement.
Tu sembles désormais prendre plus du recul par rapport à l’actualité, Liberation ne sonnant pas exactement comme un disque de Suede. Comment es-tu parvenu à ce détachement ?
Puisque j’étais incapable de rester insensible à l’air du temps, j’ai décidé de me couper complètement du monde du rock. Après Fanfare to the cornic muse, je me suis refermé sur moi-même. J’ai quitté Londres, où je partageais un appartement avec les autres membres du groupe, pour retourner chez mes parents, en Irlande. Je pouvais à nouveau me promener dans la campagne, revoir mes copains d’enfance, retrouver mon pub. Mais surtout, j’ai retrouvé ma chambre d’enfant, mon lit, tous mes repères. Et je me suis mis à composer, sans aucune intervention extérieure…
Pendant des mois entiers, je n’ai parlé qu’à mes parents et à un seul ami. Je n’ai pas lu le journal, pas regardé la télévision, pas écouté la radio. Je ne savais plus rien du monde, encore moins de l’actualité musicale. Je me retrouvais seul, face à ma musique. Comme un mari et une femme qui, pour éviter le divorce, s’isoleraient totalement pour faire le point… Mes parents ne l’ont pas toujours très bien supporté même s’ils me laissent tranquille et me permettent de vivre chez eux, aujourd’hui encore. Pendant que j’écrivais mon disque, mon père, excédé, venait frapper à la porte de ma chambre : « Viens manger quelque chose, tu es enfermé depuis trois jours. » Il finissait toujours par me monter un bol de soupe.
Seul dans ta chambre, comment te sentais-tu ?
J’étais très concentré. Marre de faire semblant, marre de jouer du rock, marre de partager avec des incapables. Je me suis enfin mis au boulot, comme on entre au couvent, un vrai sacerdoce. Et les chansons ont commencé à venir. D’où ? Je ne sais pas. Probablement d’un recoin de mon cerveau, un lieu reculé où se sont entassées toutes mes influencer, des Beatles à Scott Walker. En choisissant l’isolement complet, coupé du monde, je me suis retrouvé confronté à tout ce que j’avais en moi, mes fantasmes, mes amours, mes peurs. La musique qui m’est apparue était pure et réelle. Elle n’était pas mensongère, pas contemporaine d’une époque, d’un style que j’aurais pu piller. Cette musique-là est sincère, c’est ma vraie musique.
Etrangement, ces chansons ont une dimension lumineuse, grâce, en particulier, à la richesse des chœurs. Faut-il y voir un « truc » de production ?
J’aime les chœurs, c’est un exercice fabuleux. Mais il n’y a rien de gratuit dans ces voix. Elles sont présentes parce qu’elles s’imposent d’elles-mêmes. Elles servent la chanson, elles ne sont pas là par hasard. D’ailleurs, rien n’est le fruit du hasard. Tout ce qui se trouve sur ce disque a un sens, une fonction.
Désormais, as-tu besoin d’un environnement particulier pour composer ?
Maintenant que j’ai goûté aux joies de l’isolement, je vais avoir du mal à m’en passer. J’aime me sentir seul, comme un naufragé volontaire. Car c’est dans ces moments-là que ma musique peut sortir sans crainte, sans se poser de questions. J’aime me sentir chez moi, à la maison. J’y ai mes habitudes, mon piano, ma guitare. Parfois, j’essaye autre chose. Je joue souvent sur un minuscule synthétiseur Yamaha, un instrument ridicule que j’ai depuis que je suis gamin. J’enclenche un rythme idiot, mambo ou tango, et je cherche une suite d’accords. Certaines chansons de Liberation ont vu le jour ainsi, avant d’être reliftées une bonne dizaine de fois. Je ne veux surtout pas chercher à comprendre le processus d’écriture. J’aurais trop peur de me retrouver prisonnier de ma musique… Je me considère comme un chercheur, un aventurier. Je suis prêt à tout essayer, car j’aime tous les styles de musique : certains morceaux de dance-music, les groupes à guitares, la musique ambiante. Je suis très perméable à la musique, d’où ce besoin constant de me fermer, pour ne pas être emporté par le courant. Les choses qui passent le barrage et parviennent jusqu’à mes oreilles ne me laissent jamais
indifférent. J’y trouve toujours mon compte, un aspect intéressant. Pour moi, la seule manière d’innover aujourd’hui, c’est de laisser libre cours à son imagination. Il faut réunir tous les ingrédients qu’on aime, les jeter dans une marmite, laisser mijoter et voir ce qui en ressort. C’est ce que j’essaie de faire avec Divine Comedy. L’âge des révolutions musicales est
révolu. De nos jours, on ne peut plus rien inventer. La seule matière à innovation réside dans le mélange. L’originalité est désormais le fruit de la connaissance et de l’ouverture d’esprit, le résultat d’un apprentissage,
d’un travail. Si les gens remarquent mon disque aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il est révolutionnaire. C’est parce qu’il est original par sa qualité. J’ai bossé très dur, j’ai appris, j’ai répété. J’ai étudié plusieurs
styles, je me suis ouvert à toutes sortes de musiques, avant d’en tirer ma synthèse. Et j’ai beaucoup travaillé, parfois des années pour une chanson.
T’arrive-t-il d’abandonner des idées de chanson ?
Très rarement. C’est pour moi un véritable deuil. J’en tombe malade… Quoi de plus odieux que de devoir renoncer, d’admettre qu’on s’est trompé ? Je me bats toujours jusqu’au bout, je maintiens la chanson agonisante en vie, sous respiration artificielle. Je peux rester trois mois accroché à un bout de couplet. J’ampute le refrain,l’intro, le pont, mais je refuse de voir mourir ma chanson. Lorsque je suis vraiment désespéré, je passe à autre chose. Mais je finis toujours par revenir à mes petits problèmes. Je n’accepte pas l’échec.
Tes chansons évoquent de nombreux personnages confrontés à l’amour et à la passion. Est-ce une manière de vivre par procuration ?
J’ai connu quelques histoires, quand même (sourire embarrassé)… Enfin, quelques brefs épisodes érotiques, rien de très excitant… Je ne suis pas à la hauteur de mes personnages : je ne sors jamais, je ne bois pas, je ne sais
pas parler aux femmes. En vérité, j’aime rester seul, absolument seul. Sortir, avoir une vie sociale, aller au pub avec des amis, tout cela me demande des efforts considérables. J’y parviens peut-être une fois par mois. C’est un vrai combat : se lever, mettre un manteau, prendre les clefs de la voiture, aller au pub. J’y arrive exténué. Mais je dois me forcer, il serait dangereux de me couper complètement du monde extérieur, de ne plus vivre qu’en compagnie de mes parents et de mon piano.
Qui sont tes amis ?
Deux ou trois personnes de confiance, ceux à qui je fais écouter mes chansons pendant la phase de gestation. Le plus proche, c’est John Allen, qui chantait et jouait de la guitare sur Europop. On se connaît depuis dix ans, il me comprend. Mais je suis le seul à détenir la vérité, ma vérité. Je joue parfois pour mon père. Ça le rassure, ça lui montre que mes absences ont un sens, que je mérite sa confiance. Mais je n’écoute jamais ses remarques. Il ne connaît rien à la musique pop, c’est un pasteur, un homme d’église. Comment un homme d’église pourrait-il donner son avis sur Divine Comedy ? (rires)…
Ce statut social a’t’il eu un effet sur ta musique ?
Gamin, j’écoutais ses disques, des uvres de Debussy et de Rachmaninov, d’où mon goût pour les grandes envolées romantiques. Je ne me suis jamais senti très rebelle, mon goût pour le rock m’est venu beaucoup plus tard. La musique de mon père me convenait parfaitement. A la maison, tout était paisible et serein. Je n’avais aucune raison de me battre. Etrangement, mes deux frères n’ont pas ma sagesse.Ils passent leur temps à boire et à ramener des femmes étranges à la maison. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ils agissent ainsi. Moi, j’ai beaucoup de mal à rencontrer des femmes. Je suis obligé de boire avant de pouvoir parler. Mon idée du glamour, c’est d’être sur scène, derrière une demi-douzaine de synthétiseurs, sous la lumière. Ce sont des instruments fascinants et magnifiques. Le joueur de claviers ressemble à un pilote d’avion, avec tous ces boutons à contrôler. Il y a quelques années, je ne rêvais que de cela, de claviers Roland, Korg et Yamaha. Les guitares ne m’intéressaient pas. Moi, je voulais ressembler à Nick Kershaw, à Howard Jones, pas à une misérable rock star. Je voulais porter des combinaisons argentées et piloter des machines. Mais j’aimais déjà les chansons, les vraies chansons. Mes deux frères aînés écoutaient les Pretenders et Blondie à longueur de journée. Ainsi que les disques d’Electric Light Orchestra. J’ai grandi avec ça. Je n’ai jamais écouté de musique punk, j’avais 6 ans quand les Sex Pistols ont débarqué ! Mon premier véritable choc musical, ce fût U2. Et je ne parle même pas de Boy ou October, mais de War, le plus épique de tous leurs disques, le plus pompier. J’adorais ces chansons de stade, les gros refrains. Leur assurance me fascinait, cette facilité avec laquelle Bono brandissait le drapeau irlandais, comme un révolutionnaire. Je voulais être comme lui… Un peu plus tard, j’ai voulu ressembler à Michael Stipe.
Et aujourd’hui ?
Tout cela est fini. J’ai envie d’être reconnu comme compositeur, l’idée de groupe ne m’intéresse plus. Je n’écoute guère plus que des chanteurs Scott Walker, Serge Gainsbourg, Jacques Brel. C’est grâce à eux que je chante ainsi aujourd’hui. Avant de les connaître, je n’osais pas pousser ma voix. J’avais honte, je craignais les railleries. Aujourd’hui, je nai plus peur de rien.
La chanson Timewatching pourrait figurer sur les livrets de West Side story.
(Très ému)… II m’arrive d’écouter des comédies musicales et de chanter à tue-tête, en rangeant ma chambre. Mais attention : je ne parle pas d’Andrew Lloyd-Weber. Lui, c’est un bandit. Timewatching me fait davantage penser à Pavarotti. Je l’ai écrite dans ma voiture, en chantant.
Tu te dis très « perméable ». Comment savoir si ton prochain disque sera proche de Liberation ? Tu découvriras peut-être autre chose, délaissant les Beatles et Scott Walker.
J’ai déjà découvert autre chose (rires)… Je ne voudrais pas passer pour un vieil emmerdeur, mais j’adore Philip Glass et Michael Nyman. Au risque de paraître très prétentieux, je crois partager leur art de la complexité mélodique. Leur musique est faussement simple, comme la mienne. Et elle possède une dimension classique qui ne peut pas me laisser insensible… J’ai découvert la musique par le classique, il serait normal que j’y revienne un jour. Mon nouvel album, qui devrait paraître à la fin de l’année, incorporera certains aspects de musique classique, tout en respectant les chansons, mon véritable amour. Il y aura encore plus de violons, de violoncelles, des hautbois, des clarinettes, de la harpe, sans doute des percussions. J’envisage de monter mon propre orchestre, un ensemble très ambitieux, unique en son genre. J’en rêve depuis l’enfance.
A quel âge as-tu commencé à jouer ?
Vers 4 ou 5 ans. Nous avions un énorme piano à queue dans notre salon. Mais mon premier contact avec cet instrument fut plutôt viril. J’avais volé un marteau dans la cave pour taper sur le clavier, de toutes mes forces. Lorsque mon père est arrivé en courant, il y avait des petits éclats d’ivoire dans toute la pièce. Privé de dessert pendant un mois (rires)… Je compose toujours sur ce piano, dont j’ai fait remplacer les touches avec mes économies, il y a deux ou trois ans. Cet instrument est essentiel, il est à l’origine de toutes mes chansons. Je ne sais pas ce que je ferais sans mon piano.
Crains-tu la sécheresse, l’absence soudaine d’idées ?
Non, mais je crains l’effet du temps, l’inexorable lassitude. C’est pourquoi je veux aller aussi vite que possible. Je veux foncer, toucher un public très large, jouer devant des milliers de personnes. Il n’y a plus de songwriters dans ce pays, nous sommes une race en voie de disparition. Ceux qui restent sont donc condamnés au succès. Les vrais auteurs-compositeurs sont l’avenir de ce pays. Le rock est trop vieux, il faut trouver autre chose, inventer en mélangeant les genres, comme le font les Pet Shop Boys. En voilà qui écrivent de vraies chansons ! Je veux avoir autant de succès qu’eux, je veux connaître la gloire. J’ai l’intention de me donner à fond, à la manière de Suède. Voilà un groupe qui vit le rock à fond, qui l’incarnera jusqu’à la mort. Même si je vois en eux le chant du cygne, le dernier sursaut du rock mourant,j’admire leur force, leur détermination. Quels grands singles de rock, quels grands concerts, quelle voix ! C’est un groupe énorme et ambitieux, tellement sûr de lui qu’il pouvait se permettre de sortir un album très médiocre… Je veux suivre leur voie, je veux tout donner, comme Brett Andersen. La musique n’existe vraiment que lorsqu’elle est jouée live. Quand ce moment viendra, quand je me retrouverai enfin sur scène, je me donnerai entièrement.
Emmanuel Tellier
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