Méconnu en France, le pianiste italien LUDOVICO EINAUDI est l’une des figures de proue de la scène musicale néoclassique actuelle. A découvrir en concert cette semaine.
Sur la vaste scène du Piccolo Teatro de Milan, Ludovico Einaudi présente son dernier album en date, Divenire. Assis derrière son piano, il mesure d’un regard l’importance de l’événement, face à deux mille spectateurs, avant de se lancer, comme un acrobate part à la rencontre de son trapèze. Comme s’il se balançait dans les airs, il accélère son jeu ou reste en suspens, afin de mieux souligner l’importance de la mélodie. Un orchestre de chambre l’accompagne, mais toute l’émotion passe par son piano. Sous ses apparences jansénistes, la musique de Ludovico Einaudi possède une vitalité incroyable. Mélancolique et mélodique, elle contient des émotions qui proviennent autant de l’héritage classique que de compositeurs du XXe siècle, de Dylan à Berio. “J’ai toujours aimé les émotions des musiques mélancoliques, de la saudade au blues. C’est ce dont je me sens le plus proche”, affirme-t-il dans la pièce à musique de son chaleureux appartement milanais, où piano droit et ordinateurs font bon ménage. “Les gens n’écoutent plus la musique comme avant, tout est devenu plus rapide, plus interchangeable. Plus directe, cette relation avec l’auditeur motive certainement mes compositions. Je suis intéressé par le fait de changer les couleurs, d’avoir des perspectives et des idées plus complexes, des motifs moins monochromes que sur Le Onde, mon premier album paru en 1996, inspiré par Les Vagues, une des œuvres majeures de Virginia Woolf”, commente-t-il, sûr de sa trajectoire. Juste milieu entre l’intellect et l’instinct, son dernier album, Divenire, balance entre musique sérieuse et parties plus déliées, à l’image du morceau titre, qui a pris forme à partir d’une improvisation sur scène. Lors d’un concert, Einaudi rencontre Robert Lippok, moitié du duo allemand To Rococo Rot, qui collabore avec lui sur Divenire. Seul à son piano, accompagné par un sextet à cordes ou par les boucles électroniques d’un as de l’electronica, la musique d’Einaudi est en quête d’une beauté pure, subtile et riche en émotions. En dépit de la rigueur apparente, on retrouve toujours chez Einaudi une part de spontanéité et de langueur qui n’est pas sans évoquer les recherches ambiant de Brian Eno et d’Harold Budd. Sa musique évoque également le minimalisme mélodique de Philip Glass ou de Steve Reich, ainsi que les connexions que ce type de musique peut avoir avec le rock. Enfant, Ludovico grandit dans un milieu intellectuel et artistique, avec des visites régulières d’écrivains comme Italo Calvino, Susan Sontag ou Elsa Morante dans l’hôtel particulier familial de Turin. “Ma mère me jouait du Chopin et des vieilles chansons traditionnelles françaises. Mon grand-père était compositeur, il s’est installé en Australie au cours des années 1940. Je n’ai découvert cela qu’à sa mort. Mon amour de la chanson populaire vient de là. J’ai grandi en écoutant beaucoup de musique folk-pop comme celle de Bob Dylan. Aujourd’hui, je me sens plus proche d’un groupe de rock comme Radiohead que d’une formation musicale classique”, rappelle-t-il, comme pour s’excuser d’une parfaite formation de pianiste. Epris de musique contemporaine, il poursuit des études musicales au Conservatoire de Milan. Il étudie ainsi le sérialisme et la musique d’avant-garde auprès de Luciano Berio, avec lequel il collaborera ensuite au début de sa carrière. “Il m’a aidé à me construire. Il a parfois dirigé ma musique. Je suis un peu atypique, je me suis détaché du milieu classique. Lorsque je compose, je procède toujours à partir d’une idée générale, plutôt que d’être obsédé par une multitude de petites idées. J’oscille toujours entre musique sérieuse et morceaux plus spontanés. J’aime l’idée de créer une sculpture musicale vivante. Je cherche l’idée du mouvement. Je cherche à anticiper avant qu’on s’en lasse.”
Avant de se lasser, le public doit d’abord découvrir et écouter le pianiste Einaudi. Sa musique possède une évidente puissance évocatrice. Elle illustre de nombreux films comme Aprile de Nanni Moretti ou plus récemment This Is England de Shane Meadows. Au fil des années, des albums et des tournées, Einaudi a bâti une œuvre exigeante à partir de ses attaches lombardes et piémontaises, sublimée par ses talents de pianiste. Ancré dans la tradition classique mais tourné vers le présent, il tend vers une forme d’immédiateté pop, teintée aussi d’une forme de nostalgie.
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