Il était l’une des plus belles voix africaines de tous les temps, il vient de s’éteindre à l’âge de 69 ans
« Plus personne ne chante avec cette émotion. Et une fois disparu, il n’y aura plus personne pour le faire. Cette sensibilité là n’aura plus cours.» Ainsi parlait par anticipation le guitariste américain Ry Cooder à propos du bolériste Ibrahim Ferrer, membre du Buena Vista Social Club, qui fut l’une des plus grandes voix cubaines et dont la succession au plan artistique n’a effectivement jamais été assurée depuis sa mort en 2005. Ce même pressentiment nous avait étreint il y a 5 ans lorsque nous avions quitté Kassé Mady Diabaté après une brève rencontre au studio Bogolan à Bamako. Celui que l’on surnommait « la voix d’or du Mali » traversait alors une bien mauvaise passe. Au point de nous taper de 5000 francs CFA pour un taxi. L’époque était dure pour les chanteurs professionnels dans un pays où rien ne se fait d’officiel sans la présence d’un griot, caste à laquelle appartiennent les Diabaté. L’état d’urgence décrété en raison de l’offensive djihadiste menaçant l’intégrité du Mali avait poussé le gouvernement à interdire toutes les manifestations (mariages, baptêmes, circoncisions etc.) qui procurent le gagne pain des djélis, nom coutumier des griots mandingues.
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https://www.youtube.com/watch?v=Ymd1w0CtVaA
Voix de rossignol
La carrière de Kassé Mady était au point mort et sa santé déjà préoccupante. Il y eut heureusement depuis, à l’initiative du label No Format de Laurent Bizot, ce dernier album, Kiriké, où la voix du rossignol malien s’est envolée à nouveau, accompagnée par le joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Ségal. Jamais peut être, ce timbre tout en mélismes gracieux, en nuances élégiaques, ce chant prodigieux, au sens où l’intensité n’interdit pas à celui qui le porte une légèreté quasi surréelle, n’avait bénéficié d’un contexte instrumental aussi favorable à sa mise en valeur, loin des surcharges ornementales souvent imposées par les canons d’une production à l’occidentale, et ce à une époque où une carrière internationale à la Salif Keita lui était promise. Un rêve qu’en réalité Kassé Mady se contentera de caresser du bout des doigts, le considérant, malgré quelques tentatives avec une certaine, négligence. D’où la relative méconnaissance de son nom en dehors de l’Afrique de l’Ouest et des cercles initiés.
Le chant au milieu des champs
Avec Kiriké, Kassé Mady s’était pour ainsi dire retrouvé. Il redevenait le fils de paysan de Kéla, ce village situé près de Kangaba, la ville « où tout est esprit », berceau de la civilisation du Mandé. C’est là, dans ce village de 3000 habitants proche de la frontière guinéenne, qu’est né Kassé Mady en 1949, fils d’un cultivateur et d’une ménagère. C’est au milieu des champs qu’il trompait sa solitude de petit campagnard tenu de couper l’herbe pour nourrir les chevaux en chantant ce répertoire des « djelis » immuable depuis 8 siècles. Dans sa voix, les anciens retrouvaient les divines intonations de son grand père Bintoufama Diabaté, déjà surnommé Kassé Mady (« pleure Mady » en Malinké, Mady étant un diminutif régional de Mohammed). Cette voix exceptionnelle allait le conduire au centre de la vie artistique d’un pays alors en pleine reconquête de son identité culturelle à l’initiative du père de l’indépendance Modibo Keita. C’est ainsi que le petit griot de Kéla devint la vedette de certaines formations les plus en vues des années 70 comme Las Maravillas de Mali, créé sur le modèle d’une charanga cubaine, ou le National Badéma où il officiera pendant 16 ans, rémunéré comme un fonctionnaire. Puis vinrent ses premiers pas en solo avec les albums Fodé et Kéla sous la direction du regretté producteur Ibrahima Sylla. Suivirent divers projets qu’illuminait ce timbre à la grâce ondoyante comme un vol d’oiseaux migrateurs : l’album mandingue de Taj Mahal Kulanjan, celui du Symmetric Orchestra conduit par son cousin Toumani Diabaté, le Jama Ko de Bassekou Kouyaté… En 2008, Cheick Tidiane Seck muni d’un gros budget convoquait autour de Kassé Mady un véritable all stars pour Manden Jeli Kan. Mais la sauce ne prit pas, comme si cette voix exceptionnelle faisant littéralement remonter l’âme d’une civilisation datant du moyen âge ne parvenait à trouver sa place dans ce monde moderne gouverné par une technologie tyrannique.
Tout un pays en deuil
Cette disparition n’affecte pas seulement le monde musical africain. C’est tout un pays, un vaste espace culturel et spirituel, qui aujourd’hui porte le deuil de Kassé Mady Diabaté qui incarnait la plus haute tradition du chant griotique, sachant restituer certains classiques comme à l’instant magique de leurs naissances. D’un homme humble, d’une renversante douceur et gentillesse, nous conserverons pourtant cette simple et modeste première image. Cette soirée passée à l’écouter chanter sur la petite estrade de l’Akwaba, l’un de ces spots sans chichis dont le Bamako du siècle dernier avait le secret. C’est dans le rayonnement de cette voix que nous avions soudain compris l’importance de cette tradition griotique qui dépasse toutes les conceptions de l’art musical en vigueur. Les griots appartiennent d’ailleurs à la même caste des Nyamakala qui comprend les forgerons et les cordonniers. Le forgeron forge le fer. Le griot raconte des histoires, chante, joue d’un instrument. Sa matière de travail- le mot et le son- est appelée à se transformer en outil de bien être social. Kassé Mady, plus qu’un banal chanteur, était l’un des plus généreux dispensateur d’harmonie que le Mali et l’Afrique ait jamais connu. Qu’il repose en paix.
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