Les frères Lawrence de Disclosure, 40 ans à eux deux, publient Settle, premier album paillard et produit à la maison. Ou comment deux gosses ont flanqué la fessée à la dance-music anglaise.
Ils viennent de virer les vétérans de Daft Punk du sommet des charts anglais et de coiffer au poteau Queens Of The Stone Age dans la course au numéro 1 du top britannique avec leur premier album. Quand on les rencontre, Guy et Howard Lawrence ont pourtant moins l’air de jeunes producteurs aux dents longues que de frêles oisillons à peine sortis du nid.
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Sourires polis affichés comme au déjeuner de famille dominical, les deux frangins ne retiennent pas leur enthousiasme lorsqu’arrive sur la table une poignée d’amandes au chocolat données par un serveur zélé. Si on décèle bien quelques sursauts d’arrogance toute juvénile chez l’aîné, Guy, on ne peut que très vite lui pardonner ses petits effets de style (bâillements rythmés, étirements appuyés et ton de petit coq) tant ses joues de poupon trahissent son jeune âge.
A 19 et 22 ans, les frères Lawrence vivent encore chez leurs parents, mais sont en passe de devenir les maîtres du monde. Ou du moins de leur monde, celui d’une house-music bâtie pour séduire autant les fans de Beyoncé que ceux de James Blake. Un premier morceau, Control, leur avait déjà donné le titre de dauphins de la dance UK en avril dernier et voilà qu’en un seul album, ils viennent d’arracher celui de jeunes rois. De leur chambrette au stade Wembley, en quelques mois.
Le scénario aurait pu être d’une écrasante banalité : produits d’une famille de musiciens, les deux Lawrence grandissent à Reigate, petite ville sans histoire du Surrey dans le sud-est de l’Angleterre. On colle une batterie dans les bras de Guy à l’âge de 3 ans. Quatre ans plus tard, il apprend la guitare, tandis que son petit frère fait de même à la basse et au piano. Guy monte un groupe, donne des cours de batterie dans la cave d’un disquaire et aurait pu terminer sa course comme un énième wannabee Oasis, si son chemin n’avait pas croisé celui des clubs vers 17 ans, autant dire hier.
Le choc est brutal pour le gamin qui a grandi avec les disques pop de ses parents. L’aîné des Lawrence se prend le dubstep en pleine face, puis découvre James Blake, SBTRKT, Joy Orbison, TEED et s’initie à la house, embarquant son jeune frère dans son apprentissage. Ils suivent des cours de musique à l’école mais, enfants de la génération Y, c’est sur le logiciel Logic qu’ils donnent naissance à leurs premiers beats. “On a presque tout appris nous-mêmes ou en copiant les autres. On a passé des heures à apprendre à se servir des programmes en essayant de refaire des beats qu’on avait entendus dans certains titres qu’on aimait”, se rappelle Howard.
Un premier morceau posté sur un MySpace moribond lance la machine. Le soutien infaillible d’Annie Mac, présentatrice et DJ de BBC Radio 1, enfonce le clou jusqu’à faire repérer les garçons par SBTRKT, qui leur propose ses premières parties, et par Joe Goddard de Hot Chip, qui sort plusieurs de leurs singles, dont Control, sur son label, Greco-Roman. C’est pourtant Latch, que l’on retrouve sur Settle, qui leur ouvre les charts anglais à l’automne 2012.
La recette de Disclosure est maline : bâtir un morceau qui prend sa source dans la house old school et lui coller un refrain pop contagieux. Porté par la voix, jusque-là inconnue, de Sam Smith, et par des beats taillés au cordeau, Latch rafle la onzième place du top single britannique. Quelques mois plus tard, White Noise et You & Me prennent les deuxième et dixième places des charts, déchaînant au passage les foules.
“Parce qu’on a grandi avec de la pop des années 70 et 80, c’est inscrit dans nos têtes qu’un morceau doit avoir des couplets et un refrain plutôt qu’une montée et un drop. On est plus sensibles à la structure pop qu’à la structure club. C’est une des raisons pour lesquelles nos morceaux sont beaucoup joués à la radio, et c’est aussi pour ça que les gens se sentent plus facilement connectés à notre musique”, avance le cadet de la fratrie. “On a simplement fait la musique qu’on voulait entendre, ajoute son aîné. Quand on a commencé, il n’y avait que des trucs horribles en tête des charts britanniques, comme David Guetta. Aujourd’hui, il y a tellement de chouettes groupes.”
S’ils encensent leurs héros, les producteurs J Dilla, Todd Edwards ou Zed Bias, c’est à la jeune garde que le duo fait appel pour apporter une touche pop à sa house pour nuits blanches. En plus de Howard, qui prête notamment sa voix à la classieuse et hypnotisante F for You, et un sample extrait d’un discours de coaching au centre de l’implacable When a Fire Starts to Burn, AlunaGeorge, Eliza Doolittle, Jamie Woon, Ed MacFarlane (Friendly Fires), Jessie Ware et London Grammar se succèdent ainsi sur Settle, qui ressemble autant au top 10 de Hype Machine qu’à un manifeste de la jeunesse anglaise pour qui la frontière entre underground et mainstream n’a plus rien de concret. “On essaie de faire de la musique underground qui termine malgré nous en tête des charts”, ricane Guy.
Sorti sur leur propre label, PMR, et presque entièrement enregistré à la maison, le disque reflète une volonté de donner à la jeunesse britannique de la musique faite par ses pairs : une house libérée des contraintes, parfois pop à outrance, produite finement, mais diablement tapageuse. Mais pas question de se limiter à un public de jeunes poulains : “Une bonne chanson de Disclosure, c’est une chanson qui plaît à la fois à notre mère et à nos potes. On n’enverra jamais un titre à notre manager que nos amis ou notre maman n’aiment pas”, explique sérieusement Guy.
Malgré la bienveillance de madame Lawrence, la dance-music anglaise ressemble à un immense terrain de jeux pour ces deux sales gosses. Si Howard s’est gentiment fait remercier par son école pour absentéisme aigu, et que Guy s’amuse à glisser des extraits de films porno dans ses morceaux (What’s in Your Head, made in YouPorn), la fratrie est bien décidée à envoyer balader les clichés de l’EDM (electronic dance music) en incorporant des instruments à son live (l’un à la batterie, l’autre à la basse et au micro) ou en jouant, prises débranchées bien en évidence sur le sol, face au stade de Wembley lors d’une fête de la radio Capital FM, où on leur avait demandé de se plier au jeu du playback.
“On a grandi en jouant de plusieurs instruments donc c’était impensable pour nous de ne pas en avoir sur scène. Je crois que c’est en voyant Mount Kimbie que j’ai réalisé qu’on pouvait faire de la musique électronique tout en y incorporant des instruments live. C’était fascinant de les voir sortir une guitare au milieu de toutes leurs machines. Je me rappelle m’être dit : mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Ils jouent de la guitare alors qu’ils font de la dance-music. Il faut que j’appelle Howard !”
Et son petit frère de conclure dans un rire : “Et puis jouer notre musique live, c’est aussi une manière de montrer qu’on est bien à l’origine de ces titres, qu’on les a écrits et qu’on sait les jouer, pas comme d’autres que je ne citerai pas.” Et toc.
Concert : le 17 août à la Route du Rock
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