Rencontre avec Dave Longstreth, qui invente un r’n’b synthétique aussi expérimental qu’émotionnel.
Grâce à Dirty Projectors, fondé au début des années 2000 après qu’il eut abandonné ses études à Yale, Dave Longstreth a déjà vécu plusieurs vies – toutes prétextes à assouvir ses lubies. Opéra dédié à Don Healey (The Getty Address, 2005), hommage à l’album Damaged de Black Flag (Rise above, 2007), jeux d’organes vocaux mis au service de trames hip-hop (Bitte Orca, 2010), détournement pop-folk de protest-songs (Swing Lo Magellan, 2012) : tout a toujours été possible pour ce surdoué multi-instrumentiste, passionné de machines et voué à l’hyperactivité.
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De New-York à L.A, de multiples projets
Alors qu’il traverse un chagrin d’amour en 2014, le musicien réalise le premier album solo de sa choriste Amber Coffman, intervient sur l’orchestration de Divers de Joanna Newsom, produit le nouveau disque du guitariste touareg Bombino, écrit le pont du tube FourFiveSeconds de Rihanna/Kanye West/Paul McCartney, participe activement à la production de A Seat at the Table de Solange Knowles. Sur ce, il décide de quitter New York, où il vivait depuis neuf ans, pour s’installer à L. A.
“C’est la cité d’Hollywood, des Eagles, des paillettes. Mais c’est aussi une ville jeune où l’on peut vivre sans avoir le sentiment d’être écrasé par l’histoire. On peut y créer sa bulle et passer une vie entière dans un rêve éveillé.”
Cet onirisme du quotidien se retrouve dans Little Bubble, premier single de l’album où l’on entend l’influence de D’Angelo et aussi de Drake. En marge de ses émois sentimentaux, Longstreth a réalisé qu’il lui manquait le grain de sable pour faire dérailler ce train estampillé Dirty Projectors, qui semblait filer trop droit :
“Le groupe avait l’habitude de changer de peau à chaque disque, mais les trois derniers albums étaient plus stables, tant du point de vue des intervenants que de la manière de faire. Le moment était venu de réinventer Dirty Projectors.”
Dirty Projectors, un manifeste rempli de maturité
En témoigne Keep Your Name, étonnante ouverture de ce septième album baptisé, tel un manifeste, Dirty Projectors. Y résonne un r’n’b ultra synthétique qui fait que l’on pourrait se croire dans un morceau d’Anohni. Longstreth assume :
“Je n’ai plus aucune appréhension ou retenue à manipuler ma voix. La musique est la meilleure manière de prendre des risques. Sans mise en danger, on ne peut pas manipuler l’art, seulement l’interpréter.”
Comme on l’avait déjà entendu dans Bitte Orca, ce n’est pas la première fois que Longstreth s’attaque à ce que la musique dite urbaine a de plus émotionnel. Or, cette fois, il ne s’embarrasse plus de ses marques de fabrique habituelles : les chœurs féminins et l’enveloppement folk bricolé. Dirty Projectors témoigne d’une nouvelle maturité, d’un désir jusqu’ici inassouvi de s’assumer seul, endossant d’être le héros d’un album qui, allant du drame de la séparation (Keep Your Name) à l’espoir de nouvelles amours (I See You), raconte en long, en large et surtout en travers les différentes facettes des émois sentimentaux que nous traversons tous.
D’où cette tonalité étrangement r’n’b servie par une ribambelle de pianos électriques et de synthés, des cuivres et des cordes à tout-va. “Parler d’amour, c’est de l’ordre de la soul, affirme Longstreth. Je ne pouvais pas faire autrement.” Tout en restant sous l’influence des plus beaux albums de rupture(s) : Blue de Joni Mitchell, Here My Dear de Marvin Gaye, On the Beach de Neil Young… Longstreth l’avoue, l’enregistrement a été “cathartique”. Un passage obligé pour vivre autrement ses désillusions. Lui qui avait toujours été à l’aise avec la misanthropie, partant même s’isoler au fond des bois du Delaware pour enregistrer Swing Lo Magellan, s’est senti incapable d’affronter son miroir sans appuis.
Il a donc fait de Dirty Projectors un travail collaboratif. Parmi les invités, Elon Rutberg, auteur parolier de Kanye West, qui prête main forte sur Keep Your Name ; le percussionniste brésilien Mauro Refosco, intervenu sur les rythmiques ; l’ex-Battles Tyondai Braxton ; Jimmy Douglass, proche de Timbaland, qui a veillé au mixage de l’album ou encore Dawn Richards, qui pose sa voix sur la pensée positive version r’n’b de Cool Your Heart, coécrit avec Solange.
“Solange m’a appris à avoir confiance en moi, en mes capacités musicales, sourit Longstreth. Elle m’avait demandé de lui faire écouter les morceaux que je préparais. Quand je lui ai envoyé le beat et la mélodie de Cool Your Heart, elle m’a spontanément proposé d’en écrire les paroles.”
Outre la dimension intime, Longstreth n’hésite pas, au détour d’un vers, à égratigner une société américaine “où le rêve peut se transformer en cauchemar”. Ensemble, nous évoquons une nouvelle ère artistique, qui, à l’instar d’une contre-culture prenant son envol en 1967, se nourrirait d’une opposition à la sordide réalité trumpienne. En écoutant son nouvel album, nul doute qu’il y contribue grandement.
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