Et si le meilleur groupe de l’année 99 était français ? Pour l’instant dans l’ombre, Dionysos sera-t-il ce salutaire coup de fouet que le rock d’ici attend depuis Diabologum ? Le groupe de Valence se souvient comment on peut financer un album en cueillant des abricots.
On ne sait pas vraiment si Dionysos tire son nom d’un amour inconsidéré pour la mythologie ou pour les boissons à base de raisin, mais si le groupe est très éloigné de l’image hard-rockeuse que suggère son patronyme, il possède en tout cas l’éclat de quelques bons champagnes et la richesse des meilleurs côtes-du-rhône qui poussent autour de leur cité paisible. Car à Valence, ville moyenne qui étale son inutilité sur le passage de vacanciers qui vont du nord au sud et du sud au nord, il faut avoir une sacrée dose d’ambition ou de talent pour échapper à la morosité. Dionysos, ces deux bagages sous le bras, a compris bien vite la nécessité de s’exporter pour trouver un auditoire plus large, qui saurait apprécier son fourre-tout musical et ce brin de folie, si rare dans la musique de jeunes d’aujourd’hui. Car si le groupe a trop écouté Nirvana, Beck, Tom Waits, Neil Young, Sebadoh et Daniel Johnston, il broie dans un grand éclat de rire ces pesantes influences dans son mixer déglingué, pour les ressortir toutes mélangées, collées les unes aux autres sans souci de faire joli ou de faire plaisir, guidé seulement par son amour du jeu. Jamais sérieux, ces gens cultivés ont appris la musique dans le jardin, les yeux pleins d’images, ne sachant pas vraiment s’il faut préférer Chaplin à Scorsese, Tim Burton à Godard, tournant le dimanche des films en super-8, qu’on peut saloper de mille manières pour faire marrer les copains. La meilleure référence pour résumer la courte carrière du groupe n’est d’ailleurs pas à chercher en musique mais dans le cinéma : Les Idiots, le film de Lars von Trier, évoque leur côté bancal et esthétique à la fois. Ayant passé une année à faire pousser leur vigne aux quatre coins du pays, Dionysos prépare les vendanges de l’automne prochain. Qui s’annoncent prometteuses.
Vous avez passé une année sur scène. C’est la véritable école pour se forger un caractère et un public ?
Mathias Malzieu (chant) Les tournées n’ont jamais été une fin en soi. Il est intéressant de prendre un album tel qu’il est, de tourner à partir de cette base-là et de faire découvrir au public, aussi petit soit-il, ces chansons qui évoluent sans cesse. On est épatés de voir tous ces gens qui viennent à chaque concert par curiosité. On a ressenti ce phénomène en Allemagne, où en l’espace de quelques semaines le peu de gens qui étaient au premier concert en ont rameuté plein d’autres pour le suivant. C’était très touchant. C’est vrai qu’on a rencontré des centaines de groupes, et tous ont été des « grands frères ». Certains nous ont encouragés, de manière très humble et tous les échanges qu’on a pu avoir nous ont fait chaud au coeur. On s’aperçoit qu’avec des gens très éloignés musicalement on peut avoir des tonnes de points communs, une sensibilité commune.
Comment, lorsqu’on est étudiant, prend-on la décision de partir avec une poignée de cassettes demo sous le bras pour faire découvrir ses chansons aux autres ? Il faut avoir une bonne dose de confiance en soi.
C’est plus du domaine de la foi que de la confiance. Nous avions envie de mettre nos goûts communs en cassette. Elle a circulé, des gens l’ont passée à d’autres et puis on a eu une proposition de coproduction pour le premier album. Le rêve s’est réalisé sans que la passion qui nous animait au départ ne se soit éteinte. On n’aime pas le côté « musicos », et le fait de faire ça comme un pied de nez, d’être en cavale permanente, nous amuse toujours autant. Nous ne regrettons pas d’avoir cueilli des abricots tout l’été pour payer notre disque, ça nous permet de vivre encore aujourd’hui le rêve que nous avions au départ. C’est un privilège, on en profite.
Vous avez travaillé sur la musique du téléfilm De père en fils. Ça a dû vous faire plaisir, vous qui êtes fans de Barry et Morricone ?
C’est un vrai apprentissage. On composait live, la guitare sur les genoux en regardant les images. Du coup, on a fait des instrumentaux pour nous, chose dont on n’avait pas l’habitude. C’est un rêve de marier la pop à cet univers cinématographique, de mélanger le burlesque et l’imaginaire. Dans le prochain album, on devrait plus ressentir ces influences. Dernièrement, j’ai adoré le remix d’Oublié de Noir Désir ainsi que le live de Portishead.
Les médias télé et radio semblent être l’ennemi du groupe rock aujourd’hui…
La grosse part du gâteau est mangée par la variété. Le succès de Louise Attaque me ravit. Au début, personne n’en voulait, aujourd’hui c’est un magnifique pied de nez de les voir vendre autant qu’Obispo ou Pagny. Ça a ouvert des brèches. Au départ, on écrivait en anglais, puis on a découvert Dutronc, Brel et Dominique A, et l’importance des textes est devenue évidente. C’est stimulant d’arriver à écrire des chansons en français qui tiennent la route. L’utilisation du français ne va pas devenir systématique pour autant, même s’il est vrai que le collage entre notre culture musicale plutôt anglo-saxonne et notre langue maternelle s’avère excitant à réaliser. On aime les gens qui se mettent à nu et le français est très intéressant pour ça. On se donne plus. Un peu comme Palace Brothers : je trouve Will Oldham plus impressionnant tout nu derrière sa guitare folk qu’une armada de guitares tatouées sur des murs d’amplis.
Vous allez entrer en studio pour votre premier album sur une grosse maison de disques, Trema. Comment gérez-vous cette pression ?
On a été séduits car la personne qui a signé a tout de suite saisi notre différence, notre décalage, notre sensibilité. Il était hors de question de nous remettre en cause musicalement. On n’a pas d’appréhension spéciale. On va rester spontanés, mais on va sûrement prendre plus de temps pour s’occuper des cordes, profiter de ces infrastructures pour travailler de nouveaux domaines. On a des envies. Plutôt des rêves. On va contacter des gens mais rien n’est défini. On pense à Eric Drew Feldman, Calvin Johnson, Jim O’Rourke, Mario Caldato, voire Beck. Tout en sachant qu’un inconnu à quinze bornes de chez nous pourrait nous sortir un son génial. Mais là, on voudrait se fier à des gens qui ont fait des albums qu’on adore.
Quel bilan tirez-vous de ces années partagées entre scène et bricolage, sérieux et déconne, avant la grande échéance de l’année prochaine ?
Beaucoup d’apprentissage, dans tous les domaines. Le plaisir des rencontres, du pire connard à des gens géniaux. Rencontrer des accents différents, des lieux différents. Le voyage dans l’ex-RDA nous a beaucoup marqués.
On sent dans votre évolution un certain assagissement.
On s’est rendu compte de plein de choses. On a fait des trucs par jeu et, au début, c’était tout le temps. Peut-être qu’on fait aujourd’hui les bonnes choses au bon moment, tout en restant très ludiques. On a appris à faire attention au second degré systématique, à ne pas être toujours décalés. Les gens qui me touchent savent marier le double sentiment de décontraction et de gravité qui donne à leur oeuvre un ton si émouvant. J’aime la mélancolie de Smog, de Brel ; Benigni fait ça aussi très bien au cinéma, comme le faisait Chaplin.
Que retiendrez-vous de cette année 98 ?
Musicalement, trois albums : Calexico, Sonic Youth et PJ Harvey. J’ai aussi lu avec passion le livre de Tim Burton. Il y a eu aussi le concert de Björk à Benicassim, en Espagne, qui m’a bouleversé. Au ciné, j’ai adoré Tokyo eyes de Jean-Pierre Limosin et Les Idiots de Lars von Trier. J’attends d’ailleurs avec impatience de voir la collaboration du Danois et de l’Islandaise pour leur prochain film.
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