Le duo parisien remet sur le tapis une certaine idée de la musique : entre puissance des thèmes et quête de la mélodie éternelle.
Il faut se méfier du bruit qui court et le bruit court que ces deux-là, que l’on croise régulièrement à la sortie des salles de concert, sont le futur de la pop made in France. Ce n’est pas tous les jours mais, pour une fois, on a bien envie de lui accorder le bénéfice du doute, au bruit qui court. Au point de voir dans la mise en avant successive dans ces pages de la parole des Versaillais de Phoenix et du duo parisien Kids Return une sorte de passage de relais ? Peut-être. D’autant que les albums des deux groupes sont publiés à quelques semaines d’intervalle, et ont bénéficié du concours du même ingénieur du son formé à l’école Motorbass (Louis Bes) et des conseils occasionnels d’une autre figure tutélaire, Thomas Bangalter.
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Adrien Rozé et Clément Savoye aiment le rappeler : ils sont nés en 1997, année de sortie en France du film de Takeshi Kitano Kids Return, dont ils ont emprunté le titre pour en faire un nom de groupe, et de Homework, le premier album de Daft Punk. Une génération les sépare donc des exploits de la French Touch et des premières expéditions lunaires du duo Air, auquel on les compare souvent, soit pile-poil l’espace-temps qu’il faut pour tout rebâtir sans ressentir le poids des aînés sur les épaules.
Une paire complémentaire
L’histoire de leur rencontre remonte au collège : “On a commencé à digger de la musique ensemble de façon frénétique, nous rencarde Clément. On allait tout le temps chez Gibert acheter des CD. Adrien avait un côté plus geek que moi, il collectionnait les disques, alors que moi je kiffais juste jouer du rock.” À l’époque où la jeunesse parisienne sautille sur 1995, la bande à Nekfeu, les potes glissent les discographies complètes des Strokes et des Beatles dans leur iPod et font des blind-tests Arctic Monkeys dans la queue de la cantine.
“On avait ce côté à la marge, notre mouvance n’était pas majoritaire, mais on était à fond dans notre délire”, se souvient Adrien. “On se foutait de notre gueule, mais on nous respectait un peu aussi, poursuit Clément. On était dans les mêmes bahuts que fréquentaient à l’époque les bébés rockeurs de Second Sex et des BB Brunes. On était plus Babyshambles, même si on écoutait le rap à la mode.”
À 13 ans, même pas l’âge de se payer une Bud, ils jouent au Bus Palladium
Adrien et Clément ont alors tous deux leur groupe de rock respectif : Jools pour le premier (du nom du pianiste britannique et animateur du show Later… with Jools Holland) et Teeers pour le second. Clément est celui qui connaît les combines pour être programmé dans des rades, et trouve des dates dans le quartier de Pigalle : à 13 ans, même pas l’âge de se payer une Bud, ils jouent au Bus Palladium devant un parterre de parents, tandis que les copains, trop jeunes pour mettre les pieds dans le club, se voient refoulés à l’entrée.
Ellipse. Nous sommes en 2020, à la veille du premier confinement. Adrien, désormais membre de Teeers, et Clément planchent sur le nouvel album de la formation mais ont la sensation de tourner en rond. Accompagnés de leurs potes Tara-Jay Bangalter et Luca Lellouche (tous deux vidéastes), ils filent à Los Angeles où le quatuor avait booké quatre dates, qui ne seront jamais honorées : “Ce voyage a marqué la fin du groupe, raconte Adrien. La perspective d’un confinement se précisait, il y avait des orages sans précédent en Californie, on s’est dit c’est quoi ce monde ? On a fini par rentrer à Paris et on s’est confiné tous les quatre chez moi.”
“On savait composer des airs et produire, on savait moins chanter et jouer”
Pendant plus de deux mois, les potes se passent des films, parmi lesquels Zabriskie Point d’Antonioni et l’intégrale de Kitano. Clément : “Adrien avait appris le thème de L’Été de Kikujiro au piano et ça nous a bercés pendant ces longues semaines. Kids Return est né comme ça, de l’envie de mettre en boîte des bandes originales de films. Et puis on a repensé au travail de Air pour Virgin Suicides, le film de Sofia Coppola, et on s’est dit que faire de la pop et de la musique pour un film n’était pas incompatible.”
Pas virtuoses, les Kids Return reconnaissent avoir snobé les cours du soir – Adrien et Clément se sont entourés de musiciens capables de jouer les grands thèmes et mélodies écrites par le duo au gré de leurs déplacements, claviers sous les bras, entre leur studio dans les Pyrénées et leurs différents points d’attache intra-muros.
“On savait composer des airs et produire, on savait moins chanter et jouer”, ironise Adrien. “Le titre de l’album, Forever Melodies, vient de cette idée que les mélodies sont éternelles, nous confie Clément. C’est grâce aux mélodies que les Beatles seront toujours là dans cent ans. C’est comme une quête du temps qui passe pour nous.”
Les dix titres 100 % analogiques du premier album des Parisiens ont ainsi des allures de bribes de vie, agrandies au format CinémaScope et encapsulées dans un recueil d’apprentissage, où l’amitié, la fuite de l’adolescence et le passage à l’âge adulte font figure de totems à figer dans le son, comme si l’oubli était la pire sentence infligée par le temps. “Quand tu crois que tu sais, c’est que t’es devenu vieux”, fanfaronne Adrien. Pourvu que Kids Return ne cesse jamais de douter.
Forever Melodies (Ekler’o’shock & Hamburger Records/Bigwax). Sortie le 7 octobre. Concert le 14 mars à Paris (La Cigale).
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