Le jour de leur concert triomphal à Paris, Die Antwoord nous a accordé un rare entretien… et un scoop : DJ Muggs de Cypress Hill collaborera au prochain album du groupe de rap sud-africain.
Die Antwoord : “la réponse” en afrikaans. C’est le nom qu’ont choisi Ninja et Yolandi Vi$$er pour ce duo qui, depuis 2008, rompt férocement avec tous les codes officiels de la représentation et de l’éloquence rap. Mais la réponse à quoi au juste ? La question, jamais tranchée, ne semble pouvoir l’être qu’à l’aide de leurs trois albums sortis à ce jour et de la petite dizaine de clips, tous aussi virtuoses que dérangeants, qui s’en prennent à un politiquement correct à la sud-africaine plutôt étouffant.
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Un consensus postapartheid que Die Antwoord met en pièce dans leurs petits films au point de séduire quelques orfèvres du laid et du scabreux tels que Harmony Korine, David Lynch ou Neill Blomkamp, ce dernier les sollicitant pour Chappie, son tout nouveau film. Aussi, les retrouver dans cet antre du bon goût qu’est le Studio Harcourt à Paris, juste avant un concert où sera présenté un nouveau venu en la personne de DJ Muggs du groupe Cypress Hill, avait de quoi surprendre …
Vous retrouver ici au Studio Harcourt est plutôt étonnant, vous dont l’imagerie est à l’opposé, dont l’esthétique est plutôt trash…
Ninja – Nous avons découvert l’existence du Studio Harcourt lors de notre passage au festival Rock en Seine l’été dernier. Je traînais backstage quand je suis tombé sur le petit studio qu’ils avaient installé et j’ai été immédiatement séduit par le côté intemporel de ces images. Le fait est qu’au même moment, Yolandi me montrait des photos du Rat Pack, le groupe formé par Frank Sinatra et Dean Martin (Yolandi est très concernée par tout ce qui se rapporte aux rats – ndlr). Les photos Harcourt ont ce même côté old fashion. Nous avons donc fait quelques images avant notre concert et aujourd’hui, nous sommes ici pour une vraie session.
Yolandi – Nous avons toujours cherché à innover. Nous aimons surprendre notre public. Nous ne nous sommes jamais arrêtés sur une seule représentation de nous-mêmes.
Ninja – Nous pouvons passer des ghettos les plus mal famés aux endroits les plus huppés.
A quel usage destinez-vous ces photos ?
Ninja – Nous ne le savons jamais à l’avance. C’est comme pour notre musique. Nous emmagasinons les choses et nous les laissons vieillir, comme pour le vin. Vous semblez accorder autant d’importance à l’image, à vos vidéos en particulier, qu’à la musique.
Comment procédez-vous ?
Ninja – Quand nous finissons une chanson, nous avons toujours l’impression que c’est arrivé un peu par hasard, par accident. En revanche, une fois la vidéo réalisée, la chanson nous devient totalement évidente. Nous savons pourquoi nous l’avons faite. Comme si l’image servait de révélateur. Par exemple, c’est en découvrant les photos de Roger Ballen (célèbre photographe new-yorkais qui vit en Afrique du Sud – ndlr) que nous sommes vraiment devenus Die Antwoord. C’est lui qui a pris la première photo du groupe et qui a réalisé la vidéo de I Fink U Freeky, à mon sens la meilleure chose que l’on ait produite à ce jour en terme de clip. Et aussi la moins chère!
Vous jouez dans le prochain film de Neill Blomkamp (District 9), intitulé Chappie. De quoi s’agit-il ?
Ninja – Nous sommes des fans et des amis du réalisateur depuis longtemps. Nous jouons nos propres rôles dans ce film dont l’action se déroule dans un futur proche. Nous avons été arrêtés et sommes devenus des petits criminels, vendeurs de drogue à Johannesburg parce que nous ne pouvons plus donner de concerts. Ah oui : et nous avons un fils, Chappie, qui est en fait un robot… Disons que c’est l’histoire d’une famille défectueuse, “a fucked up family”.
Il semblerait que vous ayez adopté aussi un nouveau membre au sein de Die Antwoord ?
Ninja – Oui, DJ Muggs de Cypress Hill. Si l’on nous avait demandé il y a quelques années “Avec quel producteur souhaitez-vous travailler ?”, nous aurions immédiatement répondu : DJ Muggs. De toute la scène rap, c’est lui qui a eu le plus d’influence sur notre style. Nous l’avons rencontré à un anniversaire mexicain à Los Angeles et nous avions du mal à croire qu’il aimait vraiment notre musique. Nous avons commencé à collaborer avec lui sur une chanson de notre dernier album, Donker Mag (“force du mal” en afrikaans), qui s’intitule Rat Trap 666. Nous avions la matière première mais nous butions sur la finalisation. Cette chanson représentait pour nous une porte ouvrant sur une nouvelle dimension et c’est DJ Muggs qui avait la clé de cette porte. Ce premier pas nous a conduits à collaborer sur un nouvel album qui s’appelle Rats Rule dont Muggs est le producteur. Nous n’avons pas l’habitude de collaborer avec quelqu’un de l’extérieur. C’est même quelque chose qui nous effraie d’ordinaire. Mais avec Muggs, les choses se sont faites progressivement et naturellement.
DJ Muggs – Quand j’ai débuté avec Cypress Hill à South Gate (quartier mexicain de Los Angeles – ndlr) dans les années 80, le plus important était d’avoir son style propre, qui ne soit pas celui du voisin, pas une copie. Moi, je venais de New York où j’avais commencé avec un premier groupe qui s’appelait 7A3. J’apportais avec moi quelque chose de la Côte Est que les groupes de la Côte Ouest n’avaient pas. Aujourd’hui, tout semble tellement standardisé que l’on n’arrive plus à distinguer les uns des autres. C’est ce qui m’a accroché avec Die Antwoord. Ils ne sont pas comme les autres. Après cette quinceañera (fête organisée pour le quinzième anniversaire d’une jeune fille – ndlr), ils sont venus dans mon studio et nous avons essayé quelques plans sur cette chanson (Rat Trap 666) qui leur ont plu. Ils m’ont dit : “Mec, ça c’est de la dope !” Nous sommes donc restés en contact. On a échangé comme ça pendant quelque temps jusqu’à ce que cette collaboration devienne de plus en plus fructueuse.
Ninja – Depuis que Muggs nous a rejoints, j’ai l’impression que c’est la première fois que je fais vraiment du rap. Jusqu’à présent, nous avons collaboré avec des gens qui étaient sous nos ordres. C’est la première fois que l’on se met à la disposition de quelqu’un d’autre. Quand nous avons tourné Chappie, nous avons adopté la même attitude avec Neill Blomkamp. Mais là, c’est encore plus poussé parce qu’il s’agit de notre musique et je dois dire que Yolandi et moi sommes ravis de travailler sous sa direction. Le rap est mort selon moi parce que le rap, c’est toujours avoir un coup d’avance, être à la pointe ; une attitude s’est perdue en cours de route. Avec Muggs, pour la première fois de ma vie, je me sens dans la peau d’un disciple qui pourrait tuer pour son maître.
Pourquoi avoir quitté Cypress Hill ?
DJ Muggs – Je ne les ai pas quittés. Je suis membre de Cypress Hill pour la vie. J’ai juste arrêté de tourner avec eux à cause de la naissance de ma fille. Nous étions sur la route huit mois par an. Aujourd’hui, ma fille est grande. Je viens de terminer un nouvel album avec eux qui sort l’été prochain.
Où en est l’enregistrement de Rats Rule, le prochain album de Die Antwoord ?
Ninja – Nous en sommes encore au début. Avant de passer à la concrétisation, nous avons toujours une période de gestation. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’avec cet album nous allons enfanter des sons étranges que nous avons toujours entendus dans nos têtes, mais que nous n’avions jamais eu la possibilité de rendre audibles. C’est comme si nous étions des rats qui grattent un mur jusqu’à ce qu’ils arrivent à se glisser de l’autre côté.
Yolandi, dis-nous pourquoi tu aimes tant les rats ?
Yolandi – J’aime leurs queues.
Ninja – Et peux-tu nous expliquer en quoi consiste la philosophie Rats Rule?
Yolandi – Elle est le propre des gens qui vivent en marge de la société, qui se sentent aliénés par elle, qui vivent comme des rats sous la surface mais qui finissent à la fin par conquérir. Rats Rule est un disque de conquête.
Ninja – Depuis nos débuts, nous avons toujours été pris pour cible en Afrique du Sud, toujours été repoussés. Et c’est la raison pour laquelle nous avons explosé. Quand vous empêchez une chose de s’exprimer, il y a de grandes chances pour qu’elle finisse par le faire avec encore plus de force. C’est exactement ce qui nous est arrivé et c’est ce qui explique que nous soyons devenus à ce point extrêmes.
Vous n’avez jamais subi de censure ?
Ninja – La censure ne peut pas nous atteindre car l’assentiment des médias ne nous préoccupe en rien. Internet a résolu ce problème. De même qu’il a rendu les maisons de disques totalement périmées. Die Antwoord aujourd’hui, c’est YouTube et les concerts. Longtemps, nous avons eu le sentiment qu’il nous fallait un contrat : ça s’est avéré être un piège. Pendant un an, nous avons été obligés de nous expliquer sur ce que nous faisions, de rendre des comptes à des gens sans savoir pourquoi. Nous nous sommes sentis piégés mais nous avons continué à faire notre truc en les ignorant. Jusqu’au jour où nous nous sommes demandés : “Au juste, à quoi nous sert une maison de disques ?”
Il y a eu récemment en France un débat au sujet de la liberté d’expression. Qu’en est-il en Afrique du Sud de cette liberté ?
Ninja – Pour être tout à fait honnêtes avec vous, nous ne nous intéressons absolument pas à l’Afrique du Sud. Nous vivons totalement isolés. Il y a nous et internet. Il n’y a aucun pays entre les deux, pas d’Afrique du Sud, pas de frontières. Nous sommes le produit de la société sud-africaine certes, mais depuis que nous avons commencé Die Antwoord, nous nous sommes complètement isolés du reste du pays. Seule notre musique nous intéresse. Nous nous produisons dans le monde entier, à Mexico, à Paris, à Moscou, en Australie, et partout c’est le même spectacle, la même énergie, la même folie. Nous habitons entre Los Angeles et l’Afrique du Sud mais la plupart du temps nous sommes en tournée. Nous sommes notre propre pays, notre propre Etat indépendant.
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