Sur un nouvel album au charme artisanal, Devendra Banhart revient au folk bricolé de ses débuts. Critique et écoute.
Quand on lui demande de décrire les trois années écoulées depuis la sortie de son dernier album What Will We Be, Devendra Banhart répond avec une de ces formules impénétrables dont lui seul a le secret : “C’était comme l’after d’une fête à laquelle personne n’aurait été invité.” Souvent, les propos du musicien séduisent autant qu’ils déroutent, même quand il s’agit de répondre à la plus élémentaire des questions. “Comment je me sens ? Ah… Je ne sais pas vraiment comment je me sens en général, je vais avoir du mal à vous répondre… Mais j’aime revenir à Paris et j’aime retrouver Les Inrocks en kiosque, c’est un repère pour moi. C’est comme cette façon que j’ai de disposer ma brosse à dents toujours de la même manière dans la salle de bains de l’hôtel. Où que je sois, cet agencement me donne l’impression que je suis chez moi. Retrouver Les Inrocks, c’est pareil. Les Inrocks sont comme la brosse à dents de la salle de bains de ma vie.” Bien, bien.
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Pour donner un titre à son huitième album, Devendra Banhart a fait plus simple. L’artiste s’est inspiré d’une bague offerte par sa fiancée, l’artiste contemporaine Ana Kras, originaire de Serbie – souvenezvous, la paire a posé pour The Kooples… À l’intérieur de l’anneau était gravé le mot “mala”, soit “petit” en serbe. Ça tombe bien, Mala n’est pas un grand disque. C’est presque mieux en fait : Mala est un petit disque tout plein de charme, presque un discounet. Un album qui donne l’impression d’avoir été bricolé dans un grenier avec des copains de passage, des chats sur le vieux canapé et des théières remplies de maté. Et qui, surtout, voit le plus nomade des songwriters contemporains – il a vécu en Europe, au Venezuela, au Texas, en Californie et à New-York – renouer avec ce qui fut sa marque de fabrique initiale : une certaine sobriété folk, une façon de ne ressusciter la légende hippie qu’avec drôlerie et détachement, sans réveiller avec elle les gros clichés baba.
“J’ai toujours été un peu à part, un peu solitaire. J’ai passé mon enfance tout seul. Le Venezuela est un pays extrêmement dangereux. À Caracas, on ne peut pas se promener dans les rues, il faut rester à la maison. Alors après l’école, je rentrais chez moi. Ma mère était souvent en voyage, j’étais tout seul. Aujourd’hui adulte, je reste un grand solitaire, je ne suis pas très doué pour les groupes, les étiquettes. Mon idée du paradis, c’est une pièce remplie d’amis, où personne ne prendrait la parole. Il y en a un qui lit, un qui écrit, un qui prend des photos. Nous sommes ensemble, mais silencieux.” Parmi les amis de Devendra, il y a le Californien Noah Georgeson (collaborateur de Vetiver, Joanna Newsom et Adam Green). C’est lui qui a oeuvré à la réalisation de Mala dans son studio de Los Angeles, sur les hauteurs d’Echo Park. “Noah est comme mon frère. Cela signifie que nous nous aimons suffisamment pour nous battre en permanence. C’est un garçon dont j’aime jusqu’à la crasse sous les ongles. Par ailleurs, nous sommes complémentaires : c’est un pessimiste optimiste, et je suis un optimiste pessimiste.”
Avec Georgeson, Devendra a récupéré un vieil enregistreur Tascam qui traînait dans la boutique d’un prêteur sur gages et sur lequel avaient été enregistrés des dizaines de morceaux hip-hop. Curieux de voir l’effet que l’appareil apporterait à ses chansons folk, la paire a décidé d’en faire la pièce motrice de Mala. La chose, au final, n’a de véritable incidence que sur Your Fine Petting Duck, ballade electro-pop où l’on découvre une facette inédite de l’ancien barbu : dance et eighties, capable de remuer les popotins dans la langue de Nena.
Le reste, on insiste, évoque les premiers travaux de Devendra, entre romances dénudées (The Ballad of Keenan Milton), rêveries hispaniques (Mi Negrita) et ballades velvetiennes (Never Seen Such Good Things, Cristobal Risquez). “Quand j’étais plus jeune, j’utilisais beaucoup les métaphores et les symboles. J’essayais d’écrire sur ce à quoi ressemblaient les choses. Aujourd’hui, je m’applique à écrire sur ce que les choses sont. C’est pareil dans mes peintures. Avant, je dessinais ce que l’oeil ne pouvait voir. C’est le visible qui m’intéresse aujourd’hui.” Mieux encore que visible, son Mala est une petite joie pour les oreilles.
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