A la fois dramaturge et plasticien, le guitariste Marc Ducret nous offre avec son disque solo un véritable traité de style. Quelque part dans l’inachevé, dix fragments comme une ébauche d’art poétique. Un exercice de solitude comme un saut dans le vide. Seul, avec son instrument, la guitare, acoustique, six et douze cordes, Marc Ducret […]
A la fois dramaturge et plasticien, le guitariste Marc Ducret nous offre avec son disque solo un véritable traité de style.
Quelque part dans l’inachevé, dix fragments comme une ébauche d’art poétique. Un exercice de solitude comme un saut dans le vide. Seul, avec son instrument, la guitare, acoustique, six et douze cordes, Marc Ducret s’expose, s’affronte, expérimente ses limites. Introspection certes, face-à-face, jeu de miroirs, mais à sa façon, paradoxale : un engagement physique total, mais sans pathos, sans épanchement. Toujours cette pudeur, cette distance tenue de l’émotion, qui déborde malgré lui dans une musique d’une force expressive peu commune. Détail(s) donc effet(s) de loupe : grossissement et déformation. Chaque thème est un peu comme ces reflets dans la peinture flamande des XVIème-XVIIème siècles où dans l’arrondi d’une carafe se surprend l’envers du décor, l’autoportrait caché de l’artiste. Jeu d’anamorphose. Le monde révélé dans le reflet monstrueux d’un détail. Tout Ducret est là, dans ce maniérisme. Un sens de la forme, mais de la forme en mouvement, sans contours purs et fermes, tourmentée à ses frontières par les flux qui la traversent, la modèlent, la travaillent. Une propension à tourner autour de l’objet en une multiplicité de points de vue qui finissent par ne plus se référer qu’à eux-mêmes dans une relativité radicale ; un jeu d’illusion où chaque partie gagne en autonomie pour décentrer le sujet, perdu dans l’infini des réfractions.
Le discours de Ducret est éminemment plastique, entre trompe-l’oeil, néocubisme et abstraction lyrique… Mais son propos est tout autant « dramatique » : détail comme fissure, ouverture, accident dans le bel agencement ; l’insignifiant obsédant comme gouffre imaginaire, moteur de la machine du désir, producteur de « texte ». Ducret a lu ses modernes. Seul à la guitare, il raconte des histoires blanches, sans sujet ni objet, choisit l’infime, l’anecdotique apparemment. Faits divers. Choses (entre)vues. Croquis en prose ciselée. Des aventures microscopiques qui progressent en vibrations imperceptibles, en glissements insoupçonnés un peu à la façon des Tropismes de Nathalie Sarraute, et nous révèlent tous ces mouvements invisibles, ces petits drames fugitifs, qui à chaque instant modifient les rapports et affleurent à la surface. En d’autres termes : faire entendre le suivi d’un discours, rendre sensible la logique plus ou moins consciente d’une improvisation, faire que l’improvisation rende la structure transparente. Tel semble bien le projet de Ducret qui utilise toutes les dimensions de sa technique hallucinante. Un travail unique sur le rythme, un phrasé discontinu, tout en rupture, ellipse, esquive… Une virtuosité antispectaculaire totalement au service d’une musique paradoxale, à la fois physique et abstraite, narrative et plastique, contrôlée dans ses options, ses buts, ses moyens et totalement libre dans son expression, ses associations, ses prolongements. Marc Ducret est un des musiciens les plus passionnants du moment.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}