L’ancien chanteur des Temptations, Dennis Edwards, est décédé à l’âge de 74 ans.
On dépeint souvent la Tamla Motown comme une sorte de “black Hollywood”. Certains osent même parfois avancer l’idée d’un “black Disneyland” à son sujet. Toujours est-il qu’au sein de la firme de Detroit, fondée et dirigée d’une main de fer par Berry Gordy, Dennis Edwards n’aura jamais été une tête d’affiche au sens où Marvin Gaye et Stevie Wonder l’ont été.
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Pour autant, lui nier un statut de premier rôle serait injuste. Ne serait-ce que pour Papa Was a Rolling Stone, la chanson dont il assure la voix principale et qui, pic de chaleur de l’année 1972, a tenu en haleine des millions de terriens à travers les cinq continents, que ce soit en version single (6’51) ou longue (12’04), avec sa fameuse ligne de basse hypnotique.
Edwards qui vient de mourir à presque 75 ans d’une rupture d’anévrisme fut ainsi, le temps d’un tube planétaire, mais aussi de quelques merveilles soul psychédéliques,comme Psychedelic Shack ou Ball of Confusion, la vedette d’un groupe, les Temptations, qui à l’époque s’apparentait déjà à une institution. Pour finir par devenir une simple franchise. Un peu comme dans la série des James Bond, il a tenu dans l’histoire de ce groupe légendaire la place d’un Roger Moore. Là où David Ruffin en a été le Sean Connery. Ce qui au final est déjà beaucoup.
The Substitute
Quand il rejoint les “Tempts’” (leur surnom dans le métier) en 1968, c’est précisément en remplacement temporaire de David Ruffin, chanteur exceptionnel mais “difficile à gérer”. Le groupe connaît alors une sévère baisse de régime.
Après avoir été le quintet vedette de la Motown avec une série de hit singles ( My Girl, Ain’t Too Proud to Beg, Get Ready, I’m Losing You…), la martingale qu’exploite leur parrain Smokey Robinson, qui écrit et produit l’essentiel des chansons, commence à subir des ratés.
L’égo de Ruffin, surgonflé par un abus de dope qui le conduira en cure de désintox et jusqu’aux portes de l’HP, s’accommode mal de cette perte de vitesse. Il manque de plus en plus de concerts. Ce qui oblige les autres à lui trouver un remplaçant.
Dennis Edwards, originaire de Birmingham dans l’Alabama, piaffe d’impatience au seuil des bureaux du label depuis assez longtemps pour obtenir une audition. Comme tous les artistes noirs de l’époque, il a fait ses débuts dans un chœur d’église. Ce qui l’amènera à intégrer un groupe de gospel, The Firebirds. Il intégrera aussi, mais brièvement, les fulgurants Contours signés par Motown.
Il sera finalement récompensé en prenant la place laissée vacante par Ruffin le 9 Juillet 1968 sur la scène d’un club de Valley Forge en Pennsylvanie. Avec son timbre de ténor basse, plus sobre, moins inflammable que celui de Ruffin, il endosse le costume de lead vocal entouré d’Eddie Kendricks au soyeux falsetto, de Melvin Franklin à la basse profonde, du baryton Otis Williams et de Paul Williams en second ténor.
Révolution
En fait de costume, la nouvelle ère qui s’ouvre voit le style musical, mais aussi vestimentaire, changer radicalement. Une révolution, esthétique et politique, bouleverse le paysage musical noir américain de cette fin d’années 60, portée par quelques génies comme Sly Stone, Jimi Hendrix, Isaac Hayes et Norman Whitfield.
Moins connu, ce dernier va devenir le deus ex machina des nouveaux Temptations qu’il met au goût du jour en composant et produisant des morceaux de plus en plus élaborés. Le psychédélisme que l’on croyait réservé au rock blanc est apprivoisé par Whitfield qui en utilise la plupart des effets. Comme la pédale wha wha sur Psychedelic Schack.
En changeant de son, le quintet, jusque là connu pour ses élégants costumes en soie sombre, change aussi de look et se met à arborer des tenues chamarrées dignes de Carnaby Street. Autre changement, la dimension politique que prennent certains titres comme Ball of Confusion au commentaire social acéré. Ou Ungena Za Ulimwengu, “Unité pour le monde” en swahili, à une époque où la pensée afro-centriste émerge à peine. Le tout porté par la voix d’un Dennis Edwards au sommet de son art.
Sur sa lancée wagnerienne, Whitfield va continuer à élargir le spectre jusqu’à intégrer un orchestre symphonique à ses productions. Et en 1972 avec Papa Was a Rolling Stone, il atteint le sommet d’une soul orchestrale où Curtis Mayfield et Isaac Hayes font déjà merveille.
Doté d’une longueur inhabituelle, baignant dans un climat très particulier – “lourd comme un soir d’orage au cœur d’un été caniculaire”, est-on tenté de dire – auquel s’ajoute le ton inédit du texte évoquant une situation connue par nombre d’Africain-Américains – l’absence d’un père – Papa Was… est plus un film musical qu’une simple chanson.
Dans une interview, Dennis Edwards racontera avoir été particulièrement déstabilisé par la longueur de l’introduction instrumentale. “Je n’arrêtais pas de demander : ‘Mais quand donc vais-je pouvoir commencer à chanter’. Finalement c’est venu, et ce fut ‘It was the third of September/ That day I’ll always remember…’ Le résultat était juste parfait. Norman avait raison et moi j’avais eu tort de m’impatienter.”
Après l’immense succès de Papa Was a Rolling Stone, Whitfield tentera de refaire le même coup en usant de la même recette avec le bien moins mémorable Masterpiece dès 1973. Quant à Dennis Edwards il quittera une première fois les Temptations en 1977 pour entamer une carrière solo qui le laissera sur sa faim. Il réintégrera le groupe en 1979 pour s’en aller définitivement en 1983.
Si en 1989 ce groupe surnommé les Empereurs de la Soul a fait son entrée au Rock’n’Roll of Fame, lui vient de faire tout simplement son entrée au paradis des légendes musicales du siècle.
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