Révélée au grand jour par un sublime titre de SBTRKT cet hiver, l’Anglaise d’origine jamaïcaine Denai Moore confirme avec un premier album sa montée en puissance. Rencontre, critique et écoute.
Son regard divague lorsqu’elle parle de sa mère : “Ce n’est pas très rassurant de voir sa fille quitter l’école pour la musique, mais elle me soutient vraiment”, dit Denai Moore en s’éclipsant derrière ses longues mèches de cheveux noirs. En interview, la chanteuse de 21 ans redevient par instants l’adolescente candide qu’elle était encore il y a trois ans, avant les éloges dans ID Magazine et les invitations de Jools Holland à la BBC.
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Jamaïque
Avec l’enthousiasme d’une fan ayant rencontré ses idoles, elle évoque les conseils de Justin Vernon lors d’un concert de Volcano Choir à Bristol, et sa récente tournée en première partie de SBTRKT, qui lui a aussi offert l’un de ses singles de l’année dernière, The Light. Son premier album est la suite du parcours féerique de cette chanteuse partie de très loin, exilée d’une île jamaïcaine l’ayant biberonnée au reggae depuis sa naissance.
“Mon père a joué dans plusieurs groupes, même avec The Wailers. Mais je ne crois pas que la Jamaïque ait une grande influence sur mon style. J’avais 9 ou 10 ans quand ma famille a déménagé à Londres, cette ville m’inspire ce que je joue.”
Elle habite Stratford, mais après le lycée elle traîne plutôt vers Cable Street, East London. Elle balade ses mélodies dans les petits clubs et les appartements d’artistes. Chapeau noir, jean serré, guitare sèche. Elle reprend Flume de Bon Iver, et des standards de Lauryn Hill auxquels elle mêle ses propres inspirations. Elle rencontre successivement Clare Maguire, le producteur de Plan B, et l’histoire s’emballe lorsqu’elle balance en ligne la demo de Flaws en 2012.
Remords
L’année suivante, ses premiers ep acoustiques (Saudade, The Lake) confirment un talent de songwriter précoce. Chez elle, les chansons viennent naturellement exorciser les remords, la culpabilité et tout un cortège de douleurs existentielles. Denai meurt presque chaque jour, et elle ressuscite à chaque refrain. “Ma musique doit me sauver, avant de pouvoir sauver quiconque, confie-t-elle. Ecrire a toujours été une façon pour moi de capturer l’instant, de saisir ce que je traverse.”
Depuis deux ans, les machines ont peu à peu colonisé les décorums sombres qui habillent sa voix. “Je n’ai plus forcément besoin d’un piano ou d’une guitare pour composer. Il me suffit de quelques accords qui tournent en boucle sur l’ordinateur pour construire une mélodie de voix.”
Post-James Blake
Sans en bousculer les codes, son album Elsewhere rafraichît cette nébuleuse soul digitale anglaise post-James Blake, et il était temps. La production est réalisée par l’Ecossais Rodaidh McDonald (The xx, King Krule, Adele), la pochette est signée Leif Podhajský (Foals, Tame Impala). Mais ce casting très sélectif n’a pas intimidé la chanteuse un seul instant, au contraire : Denai Moore joue la majorité des instruments en studio, et y laisse éclater sa créativité en même temps que ses émotions.
“Je crois que les grands producteurs révèlent des choses en toi, ils t’aident à oser. Rodaidh m’a incitée à jouer de la guitare électrique, ce dont je n’avais pas du tout l’habitude. ça a entrainé d’autres évolutions, je me disais : ‘Puisque ma guitare sonne différemment pourquoi ne pas utiliser aussi ma voix différemment ?’ Les nouvelles expériences ouvrent de nouvelles perspectives, j’adore ça.”
Nous aussi.
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