En cette année (presque) redevenue normale pour l’industrie musicale, l’indie rock a repris des couleurs, l’hyperpop squatté les charts et le métissage fonctionné à plein. Au programme de cette quatrième partie, du n°25 au n°1 de notre top : des envolées techno nourries aux champignons, des mélodies embrumées et un melting-pop fait de flamenco puro et de modernité assumée…
Top 100, mode d’emploi
En cliquant sur chaque titre de nos albums favoris, une nouvelle case s’ouvrira. Rencontres, interviews, critiques, vidéos et portraits se révéleront alors dans ce calendrier de l’avent numérique riche en musiques.
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25 Denzel Curry Melt My Eyez See Your Future
Puisant ses échantillons dans la soul tropicale ou la musique d’illustration, Denzel Curry joue aux esthètes et gagne à chaque fois. Car ce cinquième LP solo convie aussi bien Buzzy Lee que T-Pain ou Saul Williams pour mieux nous rappeler son redoutable sens mélodique qui permet de compter sur Melt My Eyez See Your Future de nombreux points d’orgue. Entre poésie brute et flow menaçant.
24 Benjamin Biolay Saint-Clair
“Je voulais faire un disque de rock analogique. C’est la première fois de ma carrière qu’il n’y a pas la moindre programmation ni plug-in. Surtout, je suis devenu le chanteur d’un groupe. Cela fait vingt ans que j’attendais ça.” Inspiré par Sète, Ravel et The Strokes, Benjamin Biolay signe un dixième album autobiographique, sentimental et sexuel. Du BB pur jus.
23 The Smile A Light for Attracting Attention
Le supergroupe formé par Thom Yorke, Jonny Greenwood (Radiohead) et le batteur Tom Skinner (Sons of Kemet) livre un premier album fascinant sous la houlette de l’indéboulonnable Nigel Godrich. S’il est bien sûr entièrement innervé par la musique de la formation des deux premiers cités, A Light for Attracting Attention emprunte néanmoins des chemins de traverse jusqu’alors inexplorés, notamment par la voix polymorphe de Thom Yorke.
22 Black Country, New Road Ants from Up There
À l’image de sa sublime conclusion, Basketball Shoes, épopée fantastique étirée sur plus de douze minutes, Ants from Up There distille une mélancolie à l’intensité certaine qui se consume pourtant à petit feu sur chacune des pistes. Tout est alors question de dynamique, de jeux de rupture et de frustrations volontaires, de silences et de crescendos destinés à provoquer l’excitation et la perte de contrôle jusqu’à l’embrasement. En un mot : éruptif.
21 Kids Return Forever Melodies
La French Touch n’a toujours pas fini de produire de dignes héritiers. Ainsi de Kids Return (d’après le titre du film de Takeshi Kitano, sorti en 1997, année de naissance de Clément Savoye et Adrien Rozé). De cet héritage, les Kids ont tiré dix titres 100 % analogiques en forme de bribes de vie élargies au format CinémaScope et encapsulées dans un recueil d’apprentissage où l’amitié, la fuite de l’adolescence et le passage à l’âge adulte font figure de totems.
20 Björk Fossora
Avec son dixième album touffu comme une forêt primaire, l’excentrique Islandaise retrouve la flamme fantastique de ses plus grands disques, des rythmiques martiales semblant échappées de Volta aux envolées grandioses, emballements techno et instants d’épure qui sont autant de pierres précieuses qui jalonnent son œuvre. On en retiendra notamment l’extraordinaire dernier mouvement de Freefall ouvrant la voie au morceau-titre qui, en se jouant des extrêmes sur fond de hautbois, constitue l’apothéose de cette nouvelle mue.
19 Bon Voyage Organisation (Loin des) Rivages
Cette nouvelle étape ressasse quelques vieilles obsessions soft rock, l’appétence pour les sessions free jazz méditatives et invoque les sonorités d’une enfance passée à l’ombre des rythmes de la samba, de la bossa et des grands orchestres de jazz latin. Mais si l’écrin rappelle les grandes heures de l’exotica et de la musique lounge, le propos revêt une dimension intime quand Adrien Durand se retrouve seul au piano pour une sorte de procession mystique convoquant le merveilleux, Apacheta.
18 The Lounge Society Tired of Liberty
The Lounge Society n’est pas un prétexte pour briller : c’est une entité crâneuse, insatiable, en prise avec le présent qui livre ici l’un des disques de postpunk les plus explosifs et vivants de notre époque. En effet, sur Tired of Liberty, les riffs abondent, mais sans jamais la ramener : ils sont là pour soutenir le propos, l’intensifier, donner toujours plus de résonance à des réflexions sur la cupidité de l’être humain, sur ces “mensonges trempés dans le sarcasme” et sur un Royaume-Uni à bout de souffle.
17 Bibi Club Le Soleil et la Mer
L’art subtil de ce duo made in Montréal réside dans cette capacité à retranscrire l’état cotonneux d’un jet-lag tout en accrochant l’oreille dès la première écoute, avec des gimmicks instrumentaux et des mots qui font mouche. Mélodies embrumées, guitares indie pop, synthétiseurs vagabondant dans le vide interstellaire comme une navette à la dérive : tout ici est agencé par ces êtres de lumière pour accueillir des textes impressionnistes, écrits comme on prend une photographie à l’aune d’un crépuscule éphémère, pastel et rougeoyant.
16 Ghost Woman Ghost Woman
Ghost Woman cartographie la psyché psychédélique collective, mais donne à entendre autre chose dans cet artefact de dix chansons – quelque chose entre l’invisible et l’omniprésence mystique d’une mémoire retrouvée. Un premier album magnétique par un second couteau bien aiguisé de la scène garage enregistré dans une vieille grange désaffectée qui referme un mystère qu’on ne veut pas déflorer.
15 Danger Mouse & Black Thought Cheat Codes
Brian Burton (Danger Mouse, l’un des plus grands manitous actuels du son de la pop américaine) et Tariq Trotter (Black Thought, éminent fondateur avec Questlove du cultissime collectif hip-hop The Roots) unissent leurs forces pour signer un superbe album de black empowerment, nourri de l’essence d’un rap conscient et multiréférentiel, avec une liste de guests parfaite (dont Raekwon, Run the Jewels ou Conway the Machine et feu MF Doom pour un bel hommage).
14 Arctic Monkeys The Car
L’action de The Car pourrait se situer entre la fin du mirage sixties et l’apparition du punk, en pleine gueule de bois et quelque part entre deux apocalypses. Une fois de plus, les Arctic Monkeys déjouent les pièges du formatage en se réinventant sous l’impulsion de sa pythie et frontman, Alex Turner. Mais qui aurait cru que la musique de ceux qui clamaient en 2006 I Bet You Look Good on the Dancefloor deviendrait la BO de la fin des temps ?
13 Cat Power Covers
Pour Bob Dylan, “les enregistrements originaux sont des prototypes” et “les chansons des entités vivantes”. Un principe que Cat Power a fait sien (“C’est vraiment quelque chose que je tiens de lui”, nous précisait-elle en janvier dernier) autant pour son répertoire que pour celui des autres. Sur le troisième album de reprises de sa carrière, Chan Marshall revisite ainsi en profondeur des morceaux de Frank Ocean, Lana Del Rey, Nick Cave, Billie Holiday ou The Replacements. La classe internationale.
12 Weyes Blood And in the Darkness, Hearts Aglow
Natalie Mering contemple le chaos du monde sur un cinquième album précieux. Impossible de situer dans l’espace-temps sa voix élégante, capable d’entonner des madrigaux avec le débit de Joni Mitchell, ni son songwriting d’une beauté intemporelle. Un mot du maître John Cale dans notre interview à paraître, évoquant son merveilleux featuring sur son album Mercy ? “Je me suis souvenu à quel point j’aimais la pureté de la voix de Natalie Mering. Quand elle est entrée en studio, je me suis rendu compte de l’incroyable étendue de sa tessiture.”
11 Dry Cleaning Stumpwork
Fan de Pylon, Television ou Unwound, le groupe ajoute de l’épaisseur, de l’impertinence, du frisson à ce rock pourtant déjà physique, rempli à ras bord de mots qui aident à concevoir ce que l’on peine à imaginer. Des mots ouvragés avec maestria par Florence Shaw qui nous précisait lors de la sortie de Stumpwork : “Je ne sais jamais où vont me mener mes textes. D’ailleurs, je ne comprends parfois leur signification que quelques mois plus tard une fois sur scène. Mais j’aime l’idée de rester abstraite.”
10 Shygirl Nymph
Il y a un peu d’hyperpop chez elle, mais ce n’est qu’une influence, incomplète, puisque les productions de Shygirl conservent un minimalisme terrien, une présence charnelle, sa voix ne s’aventurant pas dans les lacérations et distorsions métalliques. Elle s’enroule au contraire en caresses r’n’b affirmées sur des mélodies électroniques qui naviguent entre la trance, la jungle et le UK garage pour un résultat à la moiteur bravache, aussi sexy qu’inquiétant.
9 Sofie Royer Harlequin
Harlequin porte une pop à la Todd Rundgren et une soul à la Curtis Mayfield mais, aussi, l’amour de Sofie Royer pour la musique classique et le cabaret. Un éclectisme qu’elle nous résumait lors de notre rencontre cette année :“J’ai vraiment grandi en écoutant de la pop music qui passait à la radio comme 10cc ou Moi… Lolita d’Alizée. Aujourd’hui, j’écoute toujours Abba en boucle dans le métro mais j’aime aussi John Cage.”
8 Charlotte Adigéry & Boris Pupul Topical Dancer
Au fil des treize morceaux, tordant à plaisir les stéréotypes, glissant d’une langue à l’autre, abordant des sujets variés et oscillant entre plusieurs tonalités musicales, le duo explore la sphère electro avec une très inventive fluidité, affirmant une (double) personnalité à la forte singularité, riche de promesses pour l’avenir. En résulte un bijou d’electropop délurée et alerte qui stimule le corps autant qu’elle éveille l’esprit
7 Horsegirl Versions of Modern Performance
Voix frondeuses sur brouillard d’effets de pédales en tout genre, Versions of Modern Performance sait surprendre avec quelques plages instrumentales étonnantes qui laissent présager un futur aventureux construit par ce trio féminin de même pas 20 ans d’âge moyen, plein de fougue et venu de Chicago. Avec, au passage, une autopsie des années Trump exécutée avec un humour et une ironie qui n’excluent pas un certain romantisme blafard.
6 Phoenix Alpha Zulu
Renouant avec la veine originelle de United en 2000, le quatuor livre un septième album renfermant plusieurs morceaux imparables et addictifs. Impossible en effet de ne pas succomber d’emblée à After Midnight, Artefact et The Only One, imparable brelan d’as qui contient tout l’ADN de Phoenix. “How can I be the only one?”, interroge Thomas Mars sur ce dernier tube atomique. La réponse est dans la question.
5 Wu-Lu Loggerhead
Là où Wu-Lu se démarque avec ce Loggerhead, fait de tensions larvées et d’explosions soudaines, c’est dans sa capacité à capter l’ampleur des formes d’expression du moment : atmosphères déclinantes et rythmes plombés comme chez Space Afrika, guitares noisy et mélodies sabotées comme chez Mica Levi pour nous communiquer un sentiment d’urgence permanent. “Le moment était venu d’évacuer toutes nos toxines”, nous déclarait-il en pleine crise et à juste raison.
4 Wet Leg Wet Leg
Avec leurs chansons de rupture revanchardes, leurs fulgurances textuelles et mélodiques, Rhian Teasdale et Hester Chambers fluidifient le message pop, le dynamitent et reviennent à l’essence de l’urgence adolescente à grand renfort de formules simples mais fracassantes, épurées de toute forme de gravité. Un premier album qui replace l’île de Wight sur la carte du rock britannique dont elle avait disparu depuis feu Michel Delpech, en douze titres et autant de tubes.
3 Kendrick Lamar Mr. Morale & the Big Steppers
Ces allers-retours entre passé et présent, l’enfance et l’âge adulte, sa famille d’alors et celle d’aujourd’hui contribuent à faire de Mr. Morale & the Big Steppers un disque proustien, faillible par certains aspects mais obsédé par sa quête d’identité dont il dévoile ici les rouages. Attendu depuis cinq ans, double et impudique jusqu’à la moelle, ce cinquième album est l’œuvre la plus intime du rappeur de Compton à l’inventivité musicale toujours renouvelée.
2 Fontaines D.C. Skinty Fia
Un troisième album autant hanté par une réflexion sur l’identité irlandaise que par l’introspection des Dublinois, sans nul doute influencée par leur nouvelle vie londonienne (on pense, par exemple, à Bloomsday, leur adieu à Dublin et à la jeunesse insouciante). Pour autant, Fontaines D.C. n’a renoncé a rien et su trouver la matière sonore nécessaire à l’expression de ses angoisses ambivalentes, entre mélancolie et rage sous-jacente. À jamais, l’Irlande est dans leurs cœurs et, partant, dans le nôtre.
1 Rosalía Motomami
Motomami révèle deux facettes d’une même artiste, qui refuse de se contenter d’une seule image pour en créer de multiples, réconciliant les Ancien·nes et les Modernes, performant la masculinité comme la féminité, parlant de sexe avec assurance et lâcher-prise. Artiste totale et complexe, underground et mainstream, locale et internationale, Rosalía déconstruit la pop pour inventer son monde en se jouant des codes et des chapelles. La super-pop-electro-flamenca star de l’année.
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