Pour sa quinzième édition, le festival lyonnais Nuits Sonores offrait une programmation d’une richesse enivrante, dont trois cartes blanches diurnes à des piliers de l’électronique actuelle : The Black Madonna, Nina Kraviz et Jon Hopkins.
Notre expérience des Nuits Sonores ressemble en tout point à un labyrinthe des merveilles. Chaque virage débouchant sur un live fascinant, une belle découverte architecturale, à peu de déceptions près. Car outre son affection déclarée pour les musiques électroniques, Nuits Sonores est aussi un festival de défrichage urbain, qui n’aime rien tant que s’installer dans d’anciennes usines industrielles disséminées dans Lyon et ainsi participer à la re-dynamisation de la ville.
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Mercredi soir, nous voici donc dans l’ex-usine FagorBrandt (VIIe arrondissement) liquidée en 2015 après un fiasco industriel retracé ici. Quatre halles de tailles variées idéales pour accueillir de la techno aussi noire que le goudron, brute que le béton. C’est pourtant la soirée hip-hop que l’on est venu couvrir. Et dont on retiendra surtout le live de Kekra, rappeur des Hauts-de-Seine caché derrière un masque de chirurgien, peu bavard mais adoubé sur Instagram par Booba. Soutenu par un mur de lights hyper outrancières, et un backeur radicalement efficace, caché derrière son masque, une capuche et des lunettes noires, Kekra défonce à peu près tout, évitant toujours le mash-up insipide comme le chauffage de salle ringard.
Autant d’écueils dans lesquels tombe la rappeuse de Birmingham Lady Leshurr, que l’on attendait avec impatience mais qui s’avère peu calée (trop stressée ?) préférant reprendre du Rihanna à toute allure que dérouler ses morceaux avec dextérité. Quant à Stormzy, notre espérance était certainement un peu trop grande, son Gang Signs & Prayer nous ayant soigneusement retourné le cerveau à sa sortie en janvier en replaçant le grime au cœur de l’industrie musicale. Le live est un peu pauvre et trop court (35 minutes à tout casser). Le public lyonnais semble quant à lui étranger à la notion de mosh-pit, danse violente popularisée par le punk, le hardcore et le metal pour faire court, consistant à former un cercle avant de tous se rentrer dedans joyeusement dans un énorme pogo frénétique auquel Stormzy invite, sans beaucoup de succès.
The Black Madonna débarquée d’Ibiza
Nuits Sonores étant un festival d’une intelligence rare, la fête se prolonge ou se commence, c’est selon, dès le début d’après-midi sur l’impressionnant site de La Sucrière, dont le bâtiment des années 1930, une ex-usine de sucre, forme le pilier du quartier Confluence situé face à de verdoyantes collines, en bord de Saône. Pour fêter dignement ses quinze ans, le festival offre une carte blanche diurne à trois grandes figures de l’électronique actuelle : The Black Madonna, Nina Kraviz et Jon Hopkins.
Chargée de la programmation du jeudi, The Black Madonna a notamment invité ESG, groupe culte post-disco et new-wave, que l’on manquera malheureusement pour cause d’interview mais que l’on invite fortement à réécouter en cette période estivale :
Suit un dj-set de The Black Madonna, Américaine anti-Trump et fièrement féministe qui explose depuis quelques années après avoir galéré dans une Amérique peu encline à célébrer une femme DJ. Après avoir officié au Smart Bar de Chicago avec feu Franckie Knuckles, Marea Stamper – pour l’état civil – a immigré sa techno-house au XOYO, un club du quartier gentrifié de Shoreditch, à Londres. Perodyxé et les bras tatoués, The Black Madonna offre un set euphorique et positif, malgré le manque de sommeil imposé par une halte la veille à Ibiza et la chaleur caniculaire qui aide à faire tourner les têtes et lâcher les jambes.
Chez Damier, légende de la house
Baptisée « Le Circuit », la soirée du jeudi se fait itinérante, et donc aussi foisonnante que bordélique. Premier stop au Marché Gare, où l’électro laisse la place au rock tendance compile Nuggets des Californiens The Molochs ainsi qu’au garage de Wand, malheureusement un peu assagi. Le détour vaut surtout pour la salle de concerts installée dans d’anciens bâtiments administratifs du Marché de Gros, dont les couloirs rappellent ces bonnes années du lycée se prêtent parfaitement au rock le plus énervé.
Second stop au tout nouveau club le Groom (Ier arrondissement) pour voir Chez Damier, l’une des discrètes légendes de la house qui ouvrit le Music Institute à Detroit dans les années 80 avant de fonder le label Prescription dans sa ville natale de Chicago. Bien nous en pris, ce fut l’un des meilleurs lives des Nuits Sonores. Dans le petit club situé en sous-sol, sous un plafond de ballons colorés s’éclairant en cascade, Anthony Pearson de son vrai nom offre un superbe dance-floor house, en t-shirt noir et avec une placidité déconcertante.
Le vendredi, tandis qu’un autre lieu, Subsistances, accueille le forum de réflexions sur la culture et l’Europe de demain European Fab, la Sucrière confie ses clés à la Sibérienne Nina Kraviz. Exit la house, Kraviz nous plonge dans une techno noire, froide, tranchante, violente qui surprend mais met une claque assez agréable alors que les cerveaux commençaient à fondre au soleil.
D’Omar Souleyman à Helena Hauff
De retour aux usines FagorBrandt, la soirée du vendredi offre une belle diversité dans sa programmation. Seul bémol : tous les halls sont bondés et il s’avère difficile de se frayer un chemin pour entrapercevoir les sets. Comme celui du Syrien Omar Souleyman, propulsé star de la Dabkeh électrique (musique traditionnelle de mariages au Proche Orient) depuis sa signature en 2006 sur le label de diggers Sublime Frequencies (relire à ce propos notre article sur les diggers de vinyles).
Helena Hauff, elle, se retrouve en battle avec le vétéran lyonnais Umwelt, fondateur du label Rave or Die sur lequel elle est signée. La rencontre, acid-industrielle, est brûlante et violente comme de la tôle laissée en plein soleil mais l’on regrette de ne pas avoir eu l’occasion de revoir la Hambourgeoise exploser seule aux platines comme lors du festival Villette Sonique, qu’elle avait retourné en 2016 avec son premier album, le cinglant Discreet Desires.
Si Bambounou et François X livrent un B2B aussi classique qu’efficace, c’est King Ghazi qui nous offre une belle surprise. Soit la rencontre de Gilbert Cohen alias Gilb’R, patron du label Versatile (Joakim, Zombie Zombie…) et de Shadi Khries, percussionniste d’Acid Arab (signé sur ledit label). Pour les adeptes de fluidité électronique, de mariage entre musique traditionnelle arabe et électronique. Pour les autres, il y avait toujours les expérimentations du producteur londonien Floating Points, accessoirement chercheur en neurosciences, information qui pourrait expliquer la prise de tête de son live aussi soporifique qu’un cours de maths.
Quant à Marie Davidson, elle eut la malchance d’être programmée en face du grand Fatima Yahama, et de se retrouver à jouer dans un hall pratiquement vide. Dommage car la Québécoise livre un set décousu mais intéressant, mêlant techno sévère et synthwave (elle est la moitié du duo Essaie Pas, l’autre moitié étant son mari Pierre Guerineau). Sa voix fantomatique semble surgir du plus profond des eighties ou d’un monde parallèle, ses bras se saccadant dans les airs en une danse aussi folle qu’hypnotique.
L’envie de passer le week-end à Villette Sonique à Paris nous fait manquer la carte blanche au londonien Jon Hopkins, le set de Daniel Avery comme la house tendance chemise à fleurs des Américains géniaux Beautiful Swimmers que l’on vous conseille très fortement. Ce n’est que partie remise.
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