Près de trente ans après son premier album, De La Soul revient avec un disque bourré d’invités (Damon Albarn, Snoop, David Byrne). Entrevue en toute décontraction à Londres.
Alors que l’histoire du rock avec un grand H se raconte et se re-raconte depuis des lustres (quitte à parfois radoter), celle du hip-hop, forcément plus courte et parfois encore incertaine, s’égraine, elle, toujours avec une certaine dose de classe et de pudeur (lire pour cela l’excellent roman de Laurent Rigoulet, Brûle, qui met en scène l’un des maîtres du genre, le redoutable Kool Herc).
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Lorsqu’on évoque l’histoire de ce genre à deux H justement, il faut consacrer un chapitre tout particulier à De La Soul, ce trio magique apparu à New York en 1989 avec un disque qui mit tout le monde d’accord, 3 Feet High and Rising, manifeste d’élégance et de coolitude dans un monde aux habitudes parfois un peu rustaudes.
https://www.youtube.com/watch?v=FJEzEDMqXQQ
Une pagaille aussi délicieuse et fouillée qu’elle fut fondatrice
Avec De La Soul (et ceux que le groupe entraînait dans son sillage, de A Tribe Called Quest aux Jungle Brothers en passant par Queen Latifah), nous apprenions que la chemise à fleurs pouvait faire partie des habitudes vestimentaires de l’école du micro et nous traversions de petits monuments de samples qui rendaient hommage, dans le désordre, à Kraftwerk, Michael Jackson, Richard Pryor (le stand-upper), aux Monkees ou encore au Steve Miller Band.
Bref, une pagaille délicieuse et fouillée, orchestrée par trois vieux potes à la démarche lente et aux baggies posés bien en bas des fesses : Posdnuos, Dave, dit aussi Trugoy The Dove, et Pasemaster Mase aka Maseo, qui nous attendent ce jour dans un bâtiment discret de Londres, situé près de la gare de Waterloo (morne plaine, donc).
Ils se connaissent depuis des lustres et chaque geste semble faire partie d’une espèce de miniballet au ralenti. Pour la promotion de leur nouvel album, And the Anonymous Nobody, ils reçoivent les journalistes venus de l’Europe entière avec une décontraction qu’on peinait à imaginer aussi grande.
Damon Albarn, ce héros…
Les pieds sont posés sur la table (Posdnuos), les parts de pizzas s’avalent à la chaîne avec option j’en-ai-un-peu-sur-la-joue (Maseo), et les yeux se ferment à mesure que les questions s’enchaînent (Dave). Ils se rouvrent automatiquement alors que l’interlocuteur français balance, confiant et avec un poil d’obséquiosité, le mot “légende”. Dave, en réveil grognon.
“Ce mot me fait toujours peur, mec. Souvent j’entends dire que notre premier album a compté dans l’histoire du hip-hop, qu’il a été fondateur pour certaines personnes. J’en suis à la fois très honoré et très inquiet car je sais que les trois mecs que tu vois autour de cette table n’ont jamais prémédité aucun de leurs gestes en se disant : ‘Je vais écrire un bout d’histoire.’ Je pense même que c’est ça qui fait que nous sommes toujours ensemble.”
“Pour nous, c’était incroyable que ce mec, pense à nous” Posdnuos
Maseo passe son tour – bouche pleine – mais Posdnuos confirme : “Je me souviens très bien du jour où Damon Albarn nous a contactés pour nous demander de rejoindre son projet Gorillaz. Pour nous, c’était tout simplement incroyable que ce mec, dont on connaissait les disques par cœur, pense à nous. Damon Albarn, de Blur… Et encore plus incroyable qu’il nous raconte ensuite à quel point 3 Feet High and Rising avait influencé sa façon de faire de la musique. Nous cultivons encore un grand sentiment d’imposture, c’est parfois presque maladif.”
Une armada d’invités pour un album old school à souhait
Damon Albarn fait d’ailleurs partie de la sublime armada qui est venue prêter main-forte à De La Soul pour son dernier album, puisqu’en plus du père Damon, c’est Jill Scott, 2Chainz, Little Dragon, David Byrne ou encore Snoop Dogg qui se téléscopent sur ce disque charmeur et cultivé.
Classe et collectif, old school à souhait, And the Anonymous Nobody est une merveille de tentative rap, éloignée des productions d’aujourd’hui mais à la fois avide de capter la modernité d’un genre en pleine évolution (l’album a également été conçu loin des maisons de disques, via un simple Kickstarter lancé par le groupe).
Maseo, rassasié, prend la parole : “C’est un vrai plaisir de voir à quel point les gens se sont rendus disponibles pour cet album. Encore plus que le résultat, dont nous sommes hyper fiers, c’est la gentillesse et la fidélité des artistes et des fans à notre égard qui nous a le plus touchés.”
Un album pour lequel le trio a décidé de délaisser les machines pour bosser, en plus de ses invités de marque, avec des musiciens en chair et en os – d’ailleurs certains dans De La Soul peinent parfois à croire à cette expérience humaine, trop humaine ?
La rencontre avec Teenage Fanclub
“C’était fou de voir tous ces musiciens là pour nous, il y avait un côté irréel pour nous qui travaillions avec des sampleurs ou des ordinateurs depuis des années. J’étais parfois au bord des larmes”, note Posdnuos, avant de reprendre.
“Je me souviens qu’au début des années 1990, nous avions enregistré un morceau avec un groupe écossais dont nous étions totalement fans, Teenage Fanclub (l’indispensable Fallin’ à découvrir immédiatement sur la bande originale du film Judgment Night, pas un chef-d’œuvre – le film – mais le titre est absolument dingue – ndlr)”
https://www.youtube.com/watch?v=R6rxsp82OvM
“Ça nous rendait tellement fiers de nous dire qu’on était aussi capables de faire des trucs avec des gens qui tripotaient de vrais instruments. Le hip-hop, c’est un truc d’autodidacte, et si nous sommes vraiment satisfaits de notre parcours, il nous semblait important de nous frotter enfin, avec ce nouvel album, à cet aspect de la musique : les instruments, mec.”
“Nous sommes de gros dinosaures bien cool”
Eclats de rire dans la pièce et checks de circonstance alors qu’une jeune Anglaise entre et apporte un dessert qui n’est visiblement pour personne mais qui finit dans les mains de Dave, qui enchaîne. “Tu vois, le parcours de De La Soul, c’est ça, on n’a rien demandé à personne et la vie nous offre des trucs comme ça, gratos (rires). Quand je me dis que notre premier album date de 1989 et que nous faisons de la musique ensemble depuis 1987, soit presque trente ans, c’est vertigineux et tellement cool à la fois.”
Maseo prend la balle au bond : “En 1987, les mecs qui faisaient de la musique trente ans auparavant étaient des dinosaures pour nous, et aujourd’hui, nous avons certainement cette image pour des jeunes qui découvrent le hip-hop. Mais je pense que nous sommes de gros dinosaures bien cool.”
L’occasion de le vérifier très bientôt, puisque le groupe a décidé d’accompagner la sortie de ce nouveau projet d’une tournée qui reprendra à la fois les nouvelles chansons mais aussi, très certainement, des classiques du groupe. Posdnuos.
“Pendant longtemps, la scène nous a fait peur, on est des mecs assez discrets et on n’a jamais misé quoi que ce soit sur notre physique (rires). Mais avec les années, on prend de plus en plus de plaisir à se trimballer devant les gens qui aiment notre musique, et ça, pour nous, c’est une jolie découverte.”
Voilà près de quarante minutes que l’on papote avec ces trois types en or, et la jeune femme vient nous signifier avec la plus grande gentillesse que la journaliste suivante va se mettre en place – elle est venue de France aussi. Elle est accueillie avec un large sourire par Dave. “Quoi, tu es en train de nous annoncer que quelqu’un d’autre en plus de ce mec sait qui est De La Soul en France ? Si on nous avait dit ça un jour les gars… Et une fille en plus !”
album And the Anonymous Nobody (Kobalt/Pias)
voir le documentaire making of We’re Still Here (now)…
concerts le 10 septembre à Bordeaux, le 2 décembre à Paris (Zénith)
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