Associant l’esprit de Bach à l’énergie du funk, le Hollandais Andriessen invente la machine à découper le rythme. La musique d’Andriessen est fascinante : elle ne ressemble à aucune autre. Imaginez Steve Reich et Bach (le second inspirant le premier) croisés avec le funk, et vous aurez une première impression… réductrice. Remontons le temps : […]
Associant l’esprit de Bach à l’énergie du funk, le Hollandais Andriessen invente la machine à découper le rythme.
La musique d’Andriessen est fascinante : elle ne ressemble à aucune autre. Imaginez Steve Reich et Bach (le second inspirant le premier) croisés avec le funk, et vous aurez une première impression… réductrice. Remontons le temps : dans les années 50, l’écriture sérielle fait des émules partout en Europe : en Allemagne bien sûr, où elle est née, mais également en France, en Italie, et plus discrètement en Espagne et en Angleterre. Mais aux Pays-Bas, d’où est originaire Louis Andriessen (il est né en 1939, à Utrecht), le style sériel n’a qu’un impact superficiel, sinon nul. Au tournant des années 60, ce musicien d’envergure se tourne plutôt vers des formes plus ouvertes d’inspiration : le jazz, l’improvisation, Igor Stravinsky et Charles Ives toutes musiques qu’on retrouve naturellement chez ses jeunes élèves : Steve Martland, James MacMillan ou Michael Torke.
Créé à Amsterdam en 1989, dans une mise en scène de Robert Wilson, De Materie (La Matière) se présente comme un oratorio en quatre parties (I, II Hadewijch, III De Stijl et IV), dans l’esprit des Passions de Bach. L’une de ses œuvres précédentes, De Staat (Nonesuch) traitait de la politique dans la cité à partir de La République de Platon ; cette fois, le compositeur reprend la question existentielle de la Matière telle qu’exposée au XVIIIe siècle par le philosophe néerlandais Gorlaeus (Part. i), au xiiie siècle par la poétesse mystique Hadewijch (Part. ii), au xxe siècle dans le mouvement esthétique abstrait De Stijl (Part. iii) et par la poésie symbolique de Willem Kloos, adossée au point de vue scientifique de Marie Curie (Part. v). Le son est massif, brutal, articulé sur des rythmes tranchants et d’une géométrie vertigineuse. D’un grand hiératisme entre la Passion selon saint Jean de Bach, et œdipus Rex et la Symphonie des Psaumes de Stravinsky , cette musique projette une énergie qui tient tout à la fois du boogie-woogie, du funk et du rap. De Materie est une immense partition épileptique, chorégraphiée dans ses moindres détails : pendant musical à l’agitation fébrile des grotesques personnages peints par James Ensor. Un rêve halluciné.