Avec un disque de folk-songs délicates, le Bolivien David Lemaitre se révèle en héritier crédible de Nick Drake. Critique et écoute.
David Lemaitre fait partie de ces artistes qu’ont nourri les voyages. Débarqué en Allemagne il y a une dizaine d’années après une enfance passée en Bolivie, il a déménagé de ville en ville, avant de poser définitivement bagage à Berlin. C’est là, dans le nord de la ville, qu’il a écrit et enregistré un premier album qui l’assied au sein d’une belle famille de songwriters paisibles qui réunirait aussi Revolver, Nick Drake, Alexi Murdoch ou les Kings Of Convenience.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Frank Zappa avait dit cette belle phrase : ‘L’esprit est pareil à un parachute, il ne fonctionne que s’il est ouvert.” Je pense que ça s’applique à Berlin, où chacun peut être tel qu’il est. Cette ville est d’autant plus agréable pour les artistes qu’elle n’est pas terminée. Si c’était une personne, ce serait un jeune adulte d’une vingtaine d’années.”
Le caractère cosmopolite de la capitale allemande va comme un gant à ce jeune homme qui, dans l’enfance, fut bercé autant par les chants révolutionnaires sud-américains que fredonnait sa maman que par les disques de pop psychédélique anglaise que collectionnait son père. “En Bolivie, nous n’avions pas accès à grand-chose s’agissant de musique. Il n’y avait pas de concerts et c’était très difficile de trouver un disque. Il fallait le commander et attendre un mois pour le recevoir. Ça a apporté un côté magique à la musique. C’est devenu quelque chose de merveilleux pour moi.”
A 14 ans, le garçon monte son premier groupe avec des cousins. Il étudie ensuite le jazz et intègre un studio comme ingénieur du son. Une fois cette technique digérée, Lemaitre décide qu’il peut revenir à l’essentiel : sa voix. Il commence alors à broder des chansons folk sans artifices, que lui inspirent les destins tragiques de Nick Drake et Sylvia Plath.
“J’ai découvert Nick Drake, Sufjan Stevens, Jeff Buckley et Nina Simone… Après avoir travaillé avec de nombreux instruments, j’ai réalisé qu’il était possible d’être émouvant en simplifiant les choses, en allant vers le côté, sinon silencieux, du moins tranquille des choses. Beaucoup de gens montent sur scène masqués ou déguisés aujourd’hui. J’ai décidé de faire l’inverse, de ne porter aucun costume, même si le résultat est moins spectaculaire.”
Latitude, l’album qui découle de ce cahier des charges, est d’ailleurs un disque exigeant, qui ne dévoile ses profondeurs que si l’on y prête attention. Charmant à la première écoute, il est en fait riche et sinueux : magnifique par moments comme ceux de Piers Faccini (Valediction), charmeur avec ses accents psychédéliques (Spirals, The Incredible Airplane Party), capable de grandes choses avec peu (Olivia). “J’ai essayé de composer en pensant à la beauté qui peut s’échapper de certaines musiques tristes. La musique triste a le don de me rendre très heureux parfois (rires)…”
On ne parlera pas de tristesse ici, mais d’un certain sens de la mélancolie, effectivement hérité de Nick Drake. En conclusion de son disque, le Bolivien revisite d’ailleurs son River Man. Il en offre une version fidèle et bouleversante. David a beau se nommer Lemaitre, il est avant tout l’un des meilleurs élèves contemporains du musicien anglais.
{"type":"Banniere-Basse"}