Artistes, écrivains, musiciens et acteurs racontent comment le Thin White Duke a marqué leur vie et leurs œuvres.
Woodkid
Le musicien possède une affiche réalisée et signée par Bowie accrochée au-dessus de son bureau.
Je n’ai pas grandi avec Bowie, j’étais trop jeune. Je l’ai découvert plus tard, avec mon père. C’est surtout quelqu’un qui a su créer plus que de la musique, tout un univers.
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Même récemment, avec son dernier album Blackstar, il tenait la barre. Il fait partie de ces gens dont l’idéologie et les intuitions sont très inspirantes. Dans la musique, il a montré que l’on pouvait aller plus loin, qu’on pouvait faire quelque chose de grand. Björk et Bowie sont des espèces d’étoiles qui font office de repère. La chanson qui m’a marqué, c’est Life on Mars. La version de Bowie et la version de Seu Jorge. C’est grandiose. Il y a de la lumière.
http://www.youtube.com/watch?v=JHo26IhDxx0
J’ai joué au festival de jazz de Montreux plusieurs années de suite. Après qu’on m’a confié la réalisation de l’affiche du festival, Claude Nobs, son directeur, m’a fait léguer l’affiche que Bowie avait dessinée en 1995. Elle est accrochée au-dessus de mon bureau. J’ai donc composé ma musique sous son travail…
Bowie a fait cette affiche avec un des premiers Mac, c’est vraiment les prémices de l’infographie. En soi, c’était déjà un signe que ce mec était à l’avant-garde. On voit qu’il l’a faite en tout petit, ce n’est pas la bonne résolution, du coup, comme elle est agrandie, elle est toute pixélisée.
On y voit un avion qui lâche des bombes, en référence à Hiroshima. Claude Nobs me racontait que quelques jours avant de rendre l’affiche, Bowie s’était rendu compte que c’était l’anniversaire du bombardement d’Hiroshima, du coup il a ajouté des références au dernier moment sur l’affiche.
Bertrand Belin
Le chanteur a participé aux spectacles sous influence Bowie de Renaud Cojo et repris la chanson Where Are We Now? pour la scène finale du documentaire David Bowie, l’homme cent visages ou le Fantôme d’Hérouville.
Je n’oublierai jamais ma rencontre avec sa musique. C’était en été, dans une grange. J’écoutais en boucle Ziggy Stardust sur un Walkman, allongé sur un vieux canapé. Les copains s’agitaient autour et les journées passaient comme ça. Impossible de faire autre chose. C’est un de mes plus marquants souvenirs de mélomane.
J’ai été invité par Renaud Cojo à interpréter le personnage du détective professeur Adler du Journal de Nathan Adler. Je suis ressorti de cet épisode avec le sentiment que de l’œuvre de Bowie, il fallait tout appréhender une nouvelle fois depuis cette expérience. Sa chanson Where Are We Now, à sa sortie, m’a bouleversé. Elle comporte à très haute dose ce que je cherche à obtenir en écrivant des chansons : un autre espace où faire l’expérience du temps.
Jean-Baptiste Mondino
Le photographe a réalisé le clip de Never Let Me down, en 1987.
Ces derniers jours, j’ai beaucoup écouté Blackstar, son dernier album. Il nous laisse avec un chef-d’œuvre. C’est très rare dans la pop-music que quelqu’un, à cet âge-là, en fin de carrière, puisse accoucher d’un album aussi brillant. Il a été créatif jusqu’à son dernier souffle.
Sa mort est une surprise, mais il nous avait habitués à disparaître. Il y avait eu une rumeur de sa maladie, et de sa mort. Il avait fait ces clips étranges, où on voyait à peine son visage. La fin nous donnait l’impression qu’il était revenu, pour mieux partir. Dans la vidéo de Lazarus, il y a quelque chose de mortifère, prémonitoire, il est dans un lit, comme un malade.
Hier ou avant-hier, je regardais un court métrage sur le photographe du Swinging London, Duffy. C’est lui qui a fait la photo de Bowie avec l’éclair sur le visage. Il disait que Bowie, c’était l’expérience, qu’il nous emmenait ailleurs. Il est inclassable aujourd’hui.
Qui fait du Bowie aujourd’hui ? Il n’y a pas de petit Bowie, tout le monde peut se réclamer de lui, mais personne ne peut l’approcher. Je le retrouve quand je travaille avec Tilda Swinton, je trouve qu’il y a une filiation, elle appartient à la même galaxie. Ils ont la même manière d’être, très ouverte, très créative, ils sont uniques.
Je l’ai découvert au début, avec son premier album. Il y avait cette image très féminine, angélique. Je n’ai pas accroché tout de suite, mais très vite, avec Ziggy Stardust, c’est devenu une déflagration. On ne savait pas trop comment le prendre. Sa musique n’appartenait pas complètement au rock. On avait déjà l’impression de quelqu’un qui nous visitait d’une autre planète, d’une autre galaxie. On est tristes de son départ. En ce moment il y a pas mal de poètes, de gens décalés, qui nous quittent. Comme si cela voulait dire que l’on va être dans un moment compliqué, trouble.
J’ai travaillé avec lui une fois, dans sa mauvaise période, en 1985, sur la vidéo de la chanson Never Let Me down. Il y avait une pression de son label, il était en quête d’un hit après Let’s Dance. Il cherchait quelque chose de plus commercial. Il n’était pas bien dans ses pompes.
http://www.youtube.com/watch?v=c4ZZMbpUFMY
C’était le basculement générationnel des années 1980, il ne savait pas trop comment s’inscrire là-dedans. Il avait un coup de mou, mais c’était intéressant pour moi de vivre ça. Ça n’a pas été un moment très agréable, mais c’est normal. On a passé du temps ensemble, il venait de finir sa pièce de théâtre Elephant Man.
Je voulais une expérience un peu dramatique sur l’idée du disco qui nous envahissait. J’étais parti du film On achève bien les chevaux, avec une chorégraphie un peu maniérée. Il était là et pas là. Tout ce qu’il faisait était bien, mais à certains moments on était en phase avec lui, et à d’autres non. La question, ce n’est pas “est-ce que c’est bien ou pas ?”, mais “est-ce qu’on est en phase avec lui ou pas ?”.
Ce dernier album, Blackstar, c’est celui qui est le plus en phase avec ce que je ressens. Sa noirceur, sa complexité, l’émotion qui en sort, me paraissent très lisibles, elles me touchent directement. Tout ce qu’il a fait est étonnant… Furyo, Prédateurs avec Catherine Deneuve, il ne faut pas trop les regarder parce qu’on aurait tendance à être nostalgiques, et Bowie nous a tout appris sauf la nostalgie.
Tony Oursler
Le vidéaste a réalisé le clip de Where Are We Now?
Certains artistes produisent des œuvres. D’autres, avec le temps, se retrouvent associés à des idées. David Bowie, lui, a engendré des artistes. Pour moi, à travers son œuvre, il est devenu un méta-artiste. Et plus encore, ceux qu’il a inspirés, ce sont les moutons noirs, les outsiders, les ados aliénés enfermés dans leur chambre. A ceux-là, il a permis de comprendre que leur bizarrerie était acceptable.
Je suis dévasté par sa disparition prématurée. Nous avons beaucoup ri ensemble, et ce que je veux retenir de lui, c’est son humour, alors même que sa musique, sur la fin, était devenue très sombre. A propos de la mort d’un autre artiste, je me souviens l’avoir entendu dire avec un sourire : “Oui, il a été détrôné.” Puis il a éclaté de rire.
Edouard Lock
Le chorégraphe canadien a mis en scène la tournée Sound and Vision en 1990. Et fait danser sa muse Louise Lecavalier avec le Thin White Duke.
Bowie, c’est la démesure d’un talent lié au courage. Il a eu la trempe d’imposer des idées à une époque où ce n’était pas facile de changer. Il n’avait pas peur de prendre des risques, il était prêt à tout rejouer, quitte à tout perdre.
http://www.youtube.com/watch?v=4uf7ntaYlsQ
Lorsqu’il m’a confié la mise en scène de la tournée Sound and Vision, je n’avais jamais dirigé de shows pour des stades. Il a tenu bon. Il m’avait contacté au moment de la tournée Serious Mooonlight mais nos agendas ne correspondaient pas : il avait vu de façon anonyme des compagnies de danse contemporaine, il connaissait le travail de Pina Bausch, le mien.
Nous nous sommes retrouvés sur Sound and Vision, une tournée énorme. Il s’agissait de mettre en scène, de faire danser aussi Bowie qui était plutôt bon dans ce registre. Et je ne l’ai pas épargné de ce côté-là ! Et lorsqu’il essayait quelque chose de nouveau comme avec Louise et moi, cela pouvait être inconfortable pour une partie de son public.
http://www.youtube.com/watch?v=SvDvtgVG-xo
Mais il n’était pas du genre à refaire ce qui avait fonctionné, il ne suivait pas qu’une seule voie. On le voit lorsqu’il passe des stadiums américains à Tin Machine. L’esthétique de David Bowie était incroyablement raffinée, il connaissait la danse, le kabuki, l’art contemporain. Il y avait chez lui une grande fragilité. Pourtant, il a continué à explorer, à inventer.
Chassol, musicien : “Je le vois comme un jazzman”
C’est censé être un rockeur, mais moi je le vois comme un jazzman. C’est le seul de la pop dont j’ai toujours aimé les accords. Il faisait partie de ces gars qui font de la pop, du mainstream, mais avec des grilles d’accords différentes. Un peu comme un Hendrix : ils sont à la fois dans quelque chose de pop, et en dehors. Une espèce de pop savante, avec des grilles d’accords qui n’ont rien d’automatique, ce ne sont pas des mesures composées, ce n’est pas “couplet, refrain, couplet, refrain”. Il y a des surprises, c’est plus élaboré. C’est ce qui m’a toujours attiré.
Ma chanson préférée de Bowie serait Changes. Elle a l’air d’avoir été composée au piano, et non à la guitare. Ça descend, c’est plein de nostalgie.
Vincent Macaigne, acteur : “C’est bizarre que les mythes comme Bowie meurent”
Bowie pour moi, c’est une époque. C’est toujours étrange de se dire que ces icônes ont su vieillir sans trahir l’icône ou le monstre qu’ils furent jeunes. C’est étrange et ça fait peur, parce que ça nous laisse seul d’un coup, comme des petits enfants qu’on a trop accompagnés.
C’est bizarre que les mythes comme Bowie meurent, puisque quelque part pour nous ils sont devenus immortels. Mais ça nous dit aussi d’y aller, le monde est à nous. C’est à nous de prendre une place pour vieillir enfin. Comme eux ont pris une place et ont vieilli.
Bowie était tellement grand et mystérieux. Tellement multiple. Je me demande ce matin qui sont les Bowie, aujourd’hui. Bien sûr Bowie est unique. Mais bon. C’est d’une tristesse infinie, mais sa disparition en annonce d’autres. Les autres icônes vivantes. On sent que l’époque change. Notre enfance vieillit, mon Dieu nous sommes vieux…
Et ça nous pose la question de ce qui nous reste à faire. Bowie est exemple d’invention et de réinvention. Il a su mourir et renaître artistiquement plus d’une fois, et c’est sûr qu’il saura renaître encore mille fois. Même mort.
Propos recueillis par Stéphane Deschamps, Claire Moulène, Philippe Noisette, Julien Rebucci, Marie Turcan
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