Sept ans après “Not to Disappear”, le trio fait son retour avec un nouvel album “Stereo Mind Game”, dont la sortie est prévue le vendredi 7 avril. À quelques semaines de cette sortie, deux des trois membres du groupe se confiaient sur la façon dont ils avaient élaboré ces douze titres, entre distance physique et proximité avec les éléments.
Il y a quelques semaines, Elena Tonra et Igor Haefeli, de passage en France, (Remi Aguilella manque à l’appel ce jour-là), nous racontaient comment ils avaient appréhendé la période séparant les deux albums et leur processus créatif à l’épreuve de ces quelques années, traversées notamment par la pandémie. À deux jours de la sortie du superbe Stereo Mind Game, toujours marqué par un songwriting sombre et profond, mais empreint de grâce et de lumière, nous vous livrons nos échanges.
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Comment vous sentez-vous à quelques jours de la sortie de l’album ?
Igor — Plutôt bien ! On se disait au cours des derniers mois, à quel point on était satisfaits de l’album par rapport aux précédents, notamment en raison du timing des choses. C’est comme si tout s’était passé très vite et qu’une fois sortis du processus de travail, on avait pris le temps de le laisser reposer, de vivre avec l’album. On l’a terminé au printemps de l’année dernière, et il a fallu ce temps pour le sortir. C’est très paisible en fait. Je ne suis pas tellement stressé.
Elena — Pour les albums précédents, oui, de mon côté, je me suis probablement sentie assez anxieuse. Mais avec celui-ci, je dois juste dire que je l’aime vraiment. Il y a quelques années, j’aurais cherché la validation. Là, évidemment, j’espère qu’il y’aura une connexion [avec le public], mais je me dis “c’est bon”.
Vous êtes en paix avec votre travail.
Elena — Oui, je pense que oui. Je suis dans un état d’esprit…, comme [elle réfléchit] putain, j’ai hâte qu’il sorte en fait ! [Rires] Mais avec un sentiment plutôt agréable.
Sept ans se sont écoulés entre cet album et le précédent, à quoi est-ce lié ? À la pression, à l’exigence ou simplement à un besoin de faire mûrir votre travail ?
Igor — Je dirais que c’est surtout la dernière hypothèse. Ces cinq dernières années, on a rassemblé des idées, puis on les a reformulées. On a eu différentes phases et chaque phase apportait de nouveaux défis. D’une simple pause, au début, on a suivi ce processus de maturation qui consiste à s’éloigner du groupe pour que chacun fasse individuellement ce qu’il veut : la musique, un album solo pour Elena, avoir une famille pour moi. Après de nombreuses années de tournées et de sorties, on a eu besoin de prendre une respiration, de se donner la possibilité d’évoluer. D’être réinspirés.
Elena — Oui, c’est vrai. Je pense que nous avons progressé en tant que groupe tout au long de ces années. Jusqu’en 2017, c’était non-stop. On a été une équipe pendant sept ans et on a eu besoin de savoir qui on était en tant qu’individus et comment envisager nos vies individuellement. Et comme tu le dis, ça signifiait aussi qu’on pouvait revenir avec une nouvelle énergie.
S’ajoute à cela l’arrivée de la pandémie…
Igor — Exactement. En 2017, on avait terminé la tournée, on s’est réunis tous les trois, on a enregistré toutes nos idées et on a laissé les choses reposer. Et en 2019, on a commencé à travailler sérieusement à l’écriture, séparément, moi à San Diego, Remi à Portland et Elena à Londres. Je crois que c’était une forme de préparation à ce qui allait se passer en 2020… Quand la pandémie est arrivée en Europe, le confinement a commencé et nous avons tous été séparés. On a poursuivi notre travail à distance. Tout cela a été un processus un peu alambiqué. On a remis en question certains choix, laissé de côté certaines idées, repris d’autres…
“Après de nombreuses années de tournées et de sorties, on a eu besoin de prendre une respiration, de se donner la possibilité d’évoluer. D’être réinspirés.”
Vous faites souvent référence à la notion de distance dans l’album. Comment est-ce qu’elle a affecté la création et l’enregistrement des morceaux ?
Elena — Je pense que cela m’a beaucoup affecté, en fait. Au départ, nous avions imaginé que nous serions tous les trois dans une pièce, que l’album serait enregistré ensemble et qu’il serait peut-être même enregistré en direct. Et en fait, la plupart des parties ont été enregistrées séparément et assemblées comme un puzzle. Mais d’une certaine manière, le fait d’avoir cet espace pour appréhender une idée par soi-même et ensuite l’intégrer, c’est comme si cela avait vraiment apporté un nouvel éclairage sur notre façon d’écrire. Ce n’était pas particulièrement facile d’un point de vue logistique, et il y a même eu beaucoup de difficultés techniques. Mais je pense que ça a façonné l’album et que ça fait partie de l’histoire de l’album d’avoir eu ce processus créatif à distance.
Igor — Oui. C’est comme si le fait d’être dans cette sorte de relation et de travailler à distance te donnait plus de temps pour analyser les choses parce que rien n’est immédiat. Et finalement, c’est comme s’il y avait une plus grande synergie qui se produisait. Bon, on a aussi réalisé à un moment donné que l’écueil, c’était de trop penser et on a dû faire un effort pour rester organique, ne pas trop en faire.
Sur cet aspect organique, l’album fait référence à la nature à plusieurs reprises, la mer est présente sur Wish I Could Cross the Sea, et en décor du clip de Be On Your Way. La pochette de l’album est ornée d’une fleur séchée. La nature et les éléments vous ont particulièrement inspiré ?
Elena — Oui, c’est un lien intéressant, parce que justement, avec le Covid, je n’ai pas vu la mer pendant longtemps. Je ne nage pas, mais j’observe la mer beaucoup. Je la crains et je l’aime tout autant. J’ai beaucoup de chance à Londres d’avoir ces grands parcs, mais être dans le Devon, à la campagne pour enregistrer, c’était autre chose. Forcément, c’est très énergisant et de voir tous les jours la terre et les étoiles, ça procure comme un sentiment de reconnexion. Je n’avais même pas réalisé qu’elle était présente dans tant de chansons ! Je n’écrivais pas consciemment à ce sujet.
Sur le premier album, Elena, tu disais que l’écriture avait été thérapeutique. Est-ce que c’est aussi le cas avec celui-là ?
Elena — Je pense que c’est moins le cas qu’avant. Quand j’étais plus jeune, l’écriture était vraiment l’endroit où j’allais pour traiter les choses. Mais maintenant, j’ai l’impression que je fais beaucoup de choses en dehors de l’écriture. Les chansons restent très personnelles, mais je pense qu’il y a comme une nouvelle sorte de légèreté, ou au moins comme un équilibre, plus d’espoir.
Igor — Peut-être qu’il y a une aspiration à voir les choses différemment…
Elena – Oui. Je pense que même de manière générale dans la vie, je me sens heureuse. Évidemment, ce ne sera pas toujours comme ça, mais là, il y a de la lumière.
Vous avez chacun poursuivi un projet personnel pendant le délai qui sépare les deux albums. Qu’avez-vous appris et qu’est-ce qui vous a manqué dans le fait d’être seul sans les deux autres ?
Igor — Ce qui m’a manqué, c’est sûrement l’occasion de créer quelque chose de plus grand que moi. Tu vois ce que je veux dire ? C’est parfois une lutte, mais créer quelque chose avec d’autres personnes, si c’est bien fait, ça finit par être plus grand que la somme de ses parties. Il y a quelque chose de vraiment excitant dans le fait de travailler avec les autres et de voir quelque chose se mettre en place sans en avoir le contrôle total. Après, être seul m’a aussi laissé le temps d’étudier la composition et la théorie dans la façon d’aborder la musique, et ça a changé ma perspective. Dans une certaine mesure, j’ai pu apporter ça à l’album en termes d’arrangements, de production.
Elena — Pour mon album solo, j’ai eu l’espace et le temps nécessaire pour me plonger dans une introspection. J’en avais vraiment besoin pour cet album parce que je pense que c’était comme une thérapie, qui valait la peine d’être vécue. Après, je pense qu’il y a eu un regain de confiance en moi et, oui, peut-être aussi une amélioration de ma façon d’écrire ou même un changement dans mon écriture. En fait, on est tous revenus de cette période avec de nouvelles compétences, mais indépendantes. Nous les avons expérimentées pendant ce laps de temps et ensuite réintroduites auprès des autres. Je pense que c’était génial.
“C’est parfois une lutte, mais créer quelque chose avec d’autres personnes, si c’est bien fait, ça finit par être plus grand que la somme de ses parties.”
Que pouvez-vous nous dire du titre de l’album ?
Elena — Il vient des paroles du titre Party, “Some stereo mind game/I play with myself”. Il fait référence aux jeux de l’esprit, aux multiples voix que l’on a dans son propre esprit et comment elles peuvent se disputer et penser différemment. On a essayé d’enregistrer ça aussi, d’avoir des strates différentes de ma voix, tu sais, comme ce sentiment d’entendre de multiples voix dans ma propre tête. On s’est dit que cela fonctionnait vraiment bien comme titre pour cette collection de morceaux.
Quelle est la suite pour Daughter ?
Igor — D’autres interviews ? [Rires] On y va très doucement pour cette sortie. On va laisser l’album sortir et voir ce qui se passe.
Vous avez eu un sentiment de vide, une fois que tout était terminé ?
Elena — Oui, c’est vrai. C’est tout à fait vrai. Après avoir construit quelque chose, je crois qu’on se sent en effet un peu… vide.
Igor — Nous avons terminé l’album il y a un an maintenant. Donc ça fait un petit moment et, depuis, ça ne s’est pas arrêté en termes d’organisation. Mais pour ma part, une fois que j’ai intégré le fait que l’album est terminé, c’est un peu comme si j’en avais fini avec lui. Et maintenant, il est presque comme les disques des autres, extérieur. Même avec les mixages, on revient sur l’album de nombreuses fois, on le revisite, mais comme avec la pochette avec la fleur pressée : on le revisite, mais c’est fait. C’est fixé dans le temps. Comme une photographie qu’on revient regarder, mais qui ne bouge plus.
Et qui fait ressentir à chaque fois quelque chose de différent…
Igor — Oui, exactement. Mais maintenant, c’est au tour des autres de l’entendre et de se faire leur propre opinion, leurs propres histoires.
Elena — Et, on l’espère, d’apprécier ce moment d’évasion.
Propos recueillis par Sophie Miliotis
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