Après des années de silence, Mark Daumail revient en solo avec un album détendu et radieux, coproduit par le colosse soul Matthew E. White. C’est dans son studio qu’on a observé la mue.
Le Balliceaux est une sorte de café-concert du Fan District de Richmond, ville située à 160 kilomètres au sud de Washington, en Virginie. Matthew E. White y a ses habitudes. En ce mercredi de janvier, il gigote la tête devant un groupe de jazz avec quelques amis musiciens. Décor en bois brut, mobilier postindustriel, population de trentenaires arty : on croirait entrer dans un film de Noah Baumbach quand on débarque avec Mark Daumail, qui est venu jusqu’ici pour terminer le nouvel album de Cocoon.
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Soit un des groupes français les plus attachants de la fin des années 2000, mais dont on n’attendait plus rien de spécial depuis un moment – et surtout pas un album folk aussi solidement charpenté à la soul d’ici par les mains expertes de Matthew.
Un drame familial comme source d’inspiration
“Ce canapé est vieux et moche mais on se sent bien dedans.” Mark parle de Cocoon avec légèreté. Il sait que les quatre années de pause ont éloigné le public des succès de l’époque, et que ce public ne comprendra pas forcément l’absence de Morgane Imbeaud, deuxième voix du groupe qui se consacre actuellement à des projets perso (Peaks, Un Orage…).
Mais si Mark revient avec Cocoon et pas sous son nom (il a sorti un album solo en 2014, dans un genre de pop synthétique), c’est parce qu’il a senti que c’était l’espace adapté à ses envies et à ses besoins du moment, dictés par une épreuve récente de sa vie de jeune père.
Début 2015, Mark passe plusieurs semaines à l’hôpital au chevet de son bébé, à qui on diagnostique rapidement une malformation cardiaque. Dans l’attente et l’isolement, il se met à écrire et à jouer : c’est le déclic. “Dans un hôpital, tu ne peux pas apporter de synthés ni de boîtes à rythmes”, s’amuse-t-il. C’est donc avec une guitare qu’il se met à raconter les histoires familiales à son fils, qui finira par rentrer à la maison en bonne santé.
“J’ai toujours été un peu dépressif, confie Mark. Le premier album de Cocoon faisait suite à des décès dans ma famille. Pour le deuxième, j’étais défoncé, en pleine crise malgré le succès. Là, c’est enfin l’album où je suis heureux.” Chose finalement logique pour un groupe qui s’appelle Cocoon, ce troisième album est titré Welcome Home.
Un enregistrement entre Richmond, Bordeaux et Berlin
Le lendemain du concert au Balliceaux, Mark et Matthew se retrouvent dans le studio de ce dernier, à deux pas du centre-ville de Richmond et de la James River, qui irrigue toute cette ancienne zone industrielle. Le timing est short : en quelques jours seulement, il faut ajouter les cordes, les chœurs, les cuivres et certains arrangements aux morceaux que Mark a déjà enregistrés chez lui, à Bordeaux, avant de passer par le studio Funkhaus de Berlin pour travailler sa voix (avec Martin Gallop, un pro de l‘exercice ayant notamment bossé avec Adele).
Ici, à Richmond, Mark est venu chercher un supplément d’âme, un mood, un savoir-faire, une couleur de son que Matthew, avec ses albums et le label qu’il a monté, Spacebomb, est en train d’imposer dans le paysage depuis quelques années.
Avant de repartir, Mark doit aussi enregistrer un featuring avec Matthew (Up for Sale) et deux avec Natalie Prass (Retreat et Watch My Back), une autre Richmondienne signée sur Spacebomb, et dont le premier album est sorti l’année dernière. “J’aime bien l’idée que Mark fasse du folk avec des Jordan aux pieds, ça tue”, s’amuse-t-elle quand on la croise.
Plus sérieuse, elle ajoute : “J’ai l’habitude d’écrire mes propres chansons, et je suis assez difficile avec mes collaborations. Mais c’est parfois cool de faire confiance à quelqu’un d’autre, surtout quand Matthew et ses musiciens sont dans le coin.”
“Les genres musicaux n’appartiennent pas à des pays »
Matthew ne connaissait pas le travail de Mark avant que celui-ci ne lui propose de coréaliser Welcome Home. Mais il a tout de suite accepté en écoutant les deux albums du Cocoon première époque, My Friends All Died in a Plane Crash et Where the Oceans End, qui semblent bien loin aujourd’hui.
Mais ils laissaient déjà présager le potentiel de maturité folk du groupe. Matthew a compris ce que voulait Mark. “Les genres musicaux n’appartiennent pas à des pays, à des groupes, à des gens, estime Matthew. Ils ont certaines origines culturelles et géographiques, mais ce sont avant tout des langages personnels qu’il faut partager.”
Calé dans un fauteuil club de son studio, il poursuit. “C’est assez sain, de la part de Mark, de se rapprocher des personnes qui connaissent vraiment les traditions qu’il veut explorer. Je fais pareil quand ça m’arrive !” Avec son corps massif, ses cheveux longs et sa grosse barbe, Matthew s’impose en vieux routier de la production alors qu’il n’a même pas 35 ans.
En studio, c’est lui le patron, celui qui met en œuvre les idées de Mark, qui par ailleurs sait exactement ce qu’il veut. A 31 ans lui-même (dont dix de carrière), il sait qu’“un bon producteur, c’est quelqu’un qui te rend plus beau que tu ne l’es en réalité”.
C’est aussi, peut-être, une sorte de chef d’orchestre sachant à la fois diriger les musiciens, un soliste menant la danse – en l’occurrence, Mark – et l’ingé son qui s’affaire derrière la console. Matthew gère les journées d’enregistrement avec une concentration assez déroutante. Il peut passer des heures sans bouger de sa chaise, en levant seulement la tête pour dire ou noter quelque chose.
Et quand Mark commence à faire le con avec Christian Beuchet, le réalisateur qui l’accompagne pour documenter le voyage (un live, un clip et un minidocu sont déjà disponibles sur YouTube), Matthew n’hésite pas à rappeler tout le monde à l’ordre, parce que l’heure tourne et surtout parce que c’est comme ça.
Richmond, une ville qui appelle à la mélancolie
Richmond est une ville tristounette. Elle ne manque pas de charme mais il y a un calme, une pesanteur, un truc dans l’air qui appelle à la mélancolie. Beaucoup de maisons sont défraîchies, il y a des églises et des parkings partout, et puis un resto jamaïcain par ici, un barbier à l’ancienne par là, souvent entre deux boutiques endormies. A l’est, les anciens quartiers ouvriers laissent progressivement la place à des appartements coquets, tout en briques rouges et avec, parfois, une vue sur ce qui reste de l’usine Lucky Strike. A l’opposé, au niveau du studio Spacebomb et dans certaines rues de Fan District, on peut sentir une énergie autour d’un coffee-shop ou d’un concept-store.
En fait, Richmond ressemble bizarrement à la musique du Cocoon nouvelle version : à la fois tranquille et sophistiquée, tout en dégradé d’impressions, pleine de spleen et de joies feutrées, la ville offre une étape aussi logique qu’imprévue à un album qui rompt en douceur avec le passé.
Pendant ces quelques jours loin de tout, Mark commence d’ailleurs à formaliser ce changement. Il a fini par accepter l’absence de Morgane (“Je vois désormais Cocoon comme un collectif, Morgane aura incarné une période”) et se place désormais en position de réflexion sur les évolutions du groupe. Les réseaux sociaux, la place de la vidéo, l’explosion de la scène musicale française, la chute des ventes de disques : ce qui était encore en gestation il y a dix ans est devenu le contexte dans lequel Mark doit faire revivre Cocoon. Car Mark a changé, mais son public aussi.
https://www.youtube.com/watch?v=7xuydjdEr84
“L’ado qui écoutait Cocoon a sans doute acheté un chat et commencé à manger des graines, plaisante-t-il. Quant à moi, je n’écoute quasiment plus que du rap. On a trop bouffé de rock pendant les années 2000… Et même si je fais du folk, ce n’est pas pour rien que je me rapproche de la soul et du gospel.”
En studio, quand une chorale vient justement enregistrer les chœurs de l’album, Mark a du mal à cacher son émotion. “Regarde comment ils chantent”, soupire-t-il. On regarde. On écoute. Matthew, lui, est dans son élément. Il nous soufflera plus tard, avant qu’il ne faille reprendre l’avion pour Paris : “La soul music est universelle. Il y a des thèmes et un songwriting cathartiques qui parlent à tout le monde. C’est la même chose avec le folk.” Et ça tombe bien, c’est également le cas avec le nouvel album de Cocoon.
Album Welcome Home (Barclay), lire la critique ici : Cocoon revient avec “Welcome Home”, un album vraiment très classe
Concert tournée française à l’automne
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