Daniel Darc, ex chanteur de Taxi Girl, est mort à l’âge de 53 ans, le 28 février 2013. En 2008, cette tête brûlée qui commençait tout juste à découvrir l’apaisement nous accordait un entretien sans langue de bois.
Et aujourd’hui, dans quel état te sens-tu ?
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J’ai toujours été dépressif, toute ma vie. Mon premier truc au réveil, c’est de penser à la mort tout de suite. Ce n’est pas une image, ni une impression dans le corps non plus, je ne sais pas ce que c’est… Peut-être le fait de voir Lauren Bacall ou Jeanne Moreau aujourd’hui, un truc un peu effrayant. J’imagine aussi James Dean s’il était en vie…
Ça te fait mal quand tu vois des photos de toi à 20 ans ?
Non. Un truc marrant, c’est qu’à l’époque je ne me trouvais pas beau. Et quand je me vois maintenant, je comprends pourquoi je me suis tiré tellement de meufs (rires)… Quand je regarde des photos de moi jeune homme, je me dis juste que j’ai perdu du temps à écrire des trucs pas terribles au lieu de lire un peu plus. J’aurais voulu tout connaître, tout lire… Mais en même temps, ce regret, je m’en sers. Je crois que la plupart des gens qui réussissent leur œuvre se servent de leurs défauts. Moi, j’ai un vocabulaire assez restreint, ce qui me permet en même temps d’écrire des textes directs.
Finalement, est-ce que ce n’est pas du temps plus que ta vie que tu as gâché?
Oui, je n’ai pas assez créé de choses et maintenant, avec l’âge, je sais que le plus gros est fait. Je n’ai pas envie de rivaliser avec Jeanne Calment, donc maintenant, il faut que je speede, que j’écrive plus car je ne veux pas mourir avant d’avoir fait, non pas le Grand Œuvre, mais des trucs qui comptent un peu.
Pour beaucoup, le Grand Œuvre, c’était Crève coeur…
Pas pour moi, c’est juste un bon disque. C’est comme pour Seppuku (unique album de Taxi Girl, 1981 – ndlr), je trouve que mes textes sont très malhabiles.
Est-ce que l’écriture est douloureuse pour toi ?
Non, je dirais juste que c’est plutôt chiant. Je ne comprends pas les écrivains qui disent qu’ils aiment écrire. Ce sont des menteurs. L’écriture, c’est comme un abcès qu’il faut percer. C’est dégueulasse. Et l’abcès, à un moment ou à un autre, il revient et tu recommences. Voilà, l’écriture, c’est percer des abcès en continu. Je le vois comme ça.
Parle-nous de la présence de Robert Wyatt sur Amours suprêmes…
Il fait des respirations sur Ça ne sert à rien et pose sa voix superaiguë comme à la fin de Sea Song dans Rock Bottom. Il a un souffle circulaire comme les joueurs de didgeridoo (instrument à vent utilisé par les aborigènes – ndlr), il voulait me l’apprendre. Il peut tenir en apnée pendant vingt minutes. Pour moi, c’est impossible. Je l’ai rencontré grâce à Steve Nieve. Comme il était en promo à Paris, il a accepté de venir. C’est quelqu’un d’incroyablement gentil et timide. Il venait d’arrêter de boire, ce qui m’a bien fait marrer, à son âge… Maintenant il ne boit que de la tisane et de nous deux, franchement, c’était lui le môme.
Aujourd’hui, ta mère vient à tes concerts. C’est une satisfaction de faire enfin de la musique qui plaise à ta mère ?
Par rapport à ma mère, je peux faire n’importe quoi, elle trouve ça bien. Sur son répondeur, il y a Je suis déjà parti. Avant, je lui interdisais de venir. Je disais au videur : si une vieille dame se pointe, vous ne la laissez pas rentrer. Je ne voulais pas qu’elle voie ça. Maintenant, je m’en fous, je suis content.
As-tu l’impression que ta musique est plus universelle maintenant ?
Non, je n’aime pas ce mot “universel”, ça fait “consensuel”. Je n’aime pas plaire à tout le monde. Je n’ai pas envie de plaire à tout le monde. Ça cache quelque chose, les mecs qui plaisent à tout le monde.
Pourtant, tu as écrit pour des artistes populaires comme Thierry Amiel, Marc Lavoine, Alizée…
Tous les textes que j’ai écrits, c’était pour des gens que je respecte. Et j’ai refusé pas mal de propositions, notamment pour un chanteur connu pour être de droite. En plus, je les ai écrits en pensant très fort à eux. Je me renseignais sur eux. Je me glissais dans leur peau. J’étais eux. La plupart du temps, les gens qui font appel à moi sont à la recherche d’une crédibilité rock venant d’un mec qui a un peu de succès et pas d’un type qui vit dans la rue. Il y a quelques années, seuls Chamfort et Dutronc m’ont demandé des textes. D’ailleurs, je suis conscient que si Amours suprêmes ne marche pas, personne ne me demandera plus rien.
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