Producteur incontournable d’un hip-hop biscornu et savant, le Californien Dan The Automator est le brillant metteur en sons des Gorillaz.
Depuis cinq ans, Dan The Automator lâche les bombes musicales comme d’autres enfilent les perles : sereinement, sans battage.
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Imperceptiblement, de Dr Octagon à Jon Spencer Blues Explosion, de Handsome Boy Modeling School aux Gorillaz, des remixes de Cornershop et Primal Scream au prochain brûlot de Prodigy, ce producteur audacieux modifie le paysage musical, dynamite bon nombre de conventions, brouille les pistes entre les genres musicaux et rapproche sans crier gare des extrêmes a priori irréconciliables.
Surnommé The Glue Factory, son minuscule home-studio a longtemps servi de laboratoire aux jeunes artistes de la baie de San Francisco, à commencer par ceux du collectif Solesides (Blackalicious, Latyrx) de DJ Shadow. Son goût pour l’indépendance l’a également poussé à monter son propre label, Bulk, aujourd’hui transformé en 75 Ark : une plate-forme à surveiller de près dans les années à venir et à qui l’on doit déjà Deltron 3030, The Nextmen, Unsung Heroes et bientôt The Coup et E-Ski.
Pourtant, bien peu connaissent aujourd’hui le visage de Dan The Automator, ce colosse américain d’origine japonaise, qui régente parfois plus de 50 % de leur quotidien sonore à leur insu. Attablé dans l’un de ses fiefs, un excellent restaurant italien de San Francisco où il nettoiera sous nos yeux quatre parts de pizza aux fruits de mer (« with extra cheese ») et un plat de pâtes à la crème, Dan The Automator s’avère aussi ouvert et exigeant en matière de musique que de cuisine, l’autre pôle fort de sa personnalité.
Toujours réglé à l’heure du prochain festin, incapable de refuser un énième en-cas pâtissier, cet authentique gastronome a toujours plusieurs projets musicaux sur le feu pour nous faire saliver. A peine sorti de la promo de Gorillaz, il enchaînera sur le second épisode de Handsome Boy Modeling School avec son complice Prince Paul, puis sur un disque avec El-P de Company Flow, déjà baptisé Samian’s Roumanian, du nom de son restaurant favori à New York.
« J’ai tout le temps de la musique dans la tête, explique-t-il entre deux coups de fourchette. Mon premier disque, Music to be murdered by, est sorti en 1989, mais j’ai dû attendre jusqu’à mon travail sur Dr Octagon avec Kool Keith pour me faire remarquer. Ce qui fait quand même sept ans d’anonymat. Si je n’ai pas abandonné, c’est parce que je ressens un besoin viscéral de composer. Même si personne n’écoutait mes disques, j’écrirais encore. Avec tous mes projets, j’ai l’air d’un bourreau de travail, mais en fait je travaille vite, au feeling. Je doute peu, j’ai confiance. Je laisse faire mon instinct et quand je considère qu’un morceau est bon, je conclus. »
En dix ans, Dan a appris deux leçons essentielles. La première : savoir frapper aux bonnes portes et accepter de menus compromis avec l’industrie, sans « jamais céder sur la musique ». Deuxième leçon vitale, « apprise très tôt » : toujours travailler avec des amis ou des artistes que l’on apprécie humainement, car « le résultat est forcément meilleur ». Dénué de tout a priori, fondé sur des rencontres fortes, son carnet d’adresses s’étoffe de jour en jour : Prince Paul, Mike D (des Beastie Boys), les Dust Brothers, Money Mark, Company Flow, Thom Yorke, Sean Lennon, Cibo Matto, De La Soul, Moloko, Alec Empire, Mark Bell, Damon Albarn, tous enclins à venir prêter main forte à l’un ou l’autre de ses projets, y figurent en bonne place.
Marqué par treize ans de violon classique, imprégné des sonorités aussi diverses que celles de Can, des Beach Boys, de Earth Wind & Fire, Boogie Down Production ou Gainsbourg (« Melody Nelson est un de mes albums préférés de tous les temps »), Dan apprécie particulièrement la liberté que prennent actuellement certains artistes comme Radiohead avec le rock alternatif. « Ils essaient de nouvelles choses, alors que le hip-hop stagne », déplore-t-il.
Si son audace et ses idées larges uvrent à rapprocher les styles, Dan n’a pourtant rien du missionnaire. Détaché, philosophe, il refuse de choisir son public. « Peu m’importe si les gens posent mes disques sur leurs étagères à côté de ceux de Britney Spears. J’ai déjà le privilège de pouvoir présenter ma musique au public, il en fait ensuite ce que bon lui semble. A ce stade, elle ne m’appartient plus, j’en suis délivré. »
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Un précédent article sur Deltron 3030, l’un des projets de Dan The Automator, est paru dans Les Inrockuptibles n° 279 du 27 février 2001.
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