Le festival des Transmusicales de Rennes 98 prouve que c’est dans les melting-pots qu’on fait les meilleures soupes épicées. De la venue événement de Fatboy Slim aux mémoires tendres d’Etienne Daho, de l’ambitieux projet de Yann Tiersen à la culture en mouvement de DJ Morpheus, panorama d’un vingtième anniversaire qui ne sent pas l’hospice.
L’année prochaine, les Transmusicales auront 21 ans, leur âge de raison. L’occasion d’en profiter pour, cette année encore, refuser d’écouter la raison, qui voudrait que l’on ne mélange pas les torchons et les serviettes. C’est justement ce joyeux charivari, qui fait se rencontrer sur la même affiche les ruffians américains de Cypress Hill et les romantiques Maliens Amadou & Mariam, qui fait des Trans ce croisement mondial où les carambolages sont fortement encouragés et jamais dangereux.
Trans, comme dans in-trans-igeant, mais aussi comme dans trans-mission : car l’évangélisation de la France, ces vingt dernières années, est souvent partie de Bretagne, de Nirvana à Noir Désir ou IAM. Un festival cette année trans-africain, trans-Atlantique, trans-Manche, qui trans-gresse les diktats des chapelles, faisant se côtoyer l’électronique glaciale et l’euphorie torride. Car en deux immenses soirées électroniques, il sera beaucoup question de trans-piration à la salle Liberté, la bien nommée terre d’accueil des meilleures platines mondiales.
Il sera aussi question, partout, de trans-mutation dans ce festival résolument trans-sonique : car si les Trans regardent devant, elles n’oublient jamais d’où vient la musique, mêlant futur et passé en sautant joyeusement les fossés des générations. Pas un hasard si le vétéran Philippe Pascal, présent à la première édition avec Marquis De Sade, est de la fête, cette fois-ci entouré de Doctor. L ou DJ Morpheus.
Dans ce dossier, Etienne Daho, lui aussi présent à la première édition, reviendra sur ses débuts rennais, alors qu’un best-of célèbre ses vingt années de carrière à lui. On parlera aussi bien sûr à Fatboy Slim, dont la venue constitue l’événement de ces Trans, qui goûteront pour la première fois en France à ses cocktails euphorisants. Yann Tiersen, vague régional de l’étape, sera également à l’honneur. On rendra aussi visite à Morpheus, qui visita autrefois les Trans avec le rock anguleux de Minimal Compact avant d’y revenir en DJ sensuel cette année. L’occasion, aussi, de présenter quelques nouvelles têtes qui nous reviennent franchement. Les Trans ont 20 ans, certes, mais encore toutes leurs dents : pas de celles qui rayent le plancher, encore moins des dents de sagesse. Juste des dents pour croquer goulûment les musiques les plus juteuses de l’époque.
En même temps que ces vingtièmes Transmusicales, le Rennais Etienne Daho fête ses vingt ans de carrière avec une compilation de singles. Deux parcours intimement liés, qui partagent la même ouverture d’esprit, le même sens de la fête, le même regard tendre vers l’Angleterre et la même méfiance amusée à l’égard des autorités parisiennes.
Entretien Anne-Claire Norot
On fête la vingtième édition des Transmusicales de Rennes et les vingt ans de ta propre carrière. Est-ce que ce genre de célébration te touche ?
C’est rassurant de voir que les Trans, qui ont une éthique, une ligne de conduite depuis très longtemps, durent et ont toujours un public. J’ai fait une apparition aux premières Trans, en 79. J’avais été convié dans un groupe je ne chantais pas encore qui s’appelait Entre Les Deux Fils Dénudés De La Dynamo, qui était un peu un mélange de tous les musiciens de plein de groupes, les Sax Pustuls, Les Nus. Je devais chanter une chanson, mais je ne l’ai pas terminée, je suis parti avant la fin, je ne sais plus pourquoi. Tout était assez délirant. Quelqu’un avait fait le pari de passer à poil derrière nous et tout d’un coup, on a vu la foule en délire, on a donc pensé que ça marchait très bien pour nous.
Comment à l’origine t’es-tu retrouvé là, comment as-tu rencontré ces gens pour la première fois ?
Le milieu était assez microscopique, donc on croisait toujours les mêmes gens. Je connaissais Hervé Bordier, l’un des fondateurs des Trans, depuis très longtemps, 76 ou 77, peut-être même avant. Il avait créé une association, Terrapin, et organisait plein de concerts. Là se retrouvaient des gens complètement en dehors des sentiers battus, hors média ; il y avait une scène, c’était un peu l’apogée de la contre-culture. Comme j’étais fan de musique, j’étais autour de Bordier, qui était une espèce de noyau. Il avait financé le premier single de Marquis De Sade, autoproduit j’étais parti à Londres, chez John Peel, faire sa promotion. J’aidais à coller des affiches dans les bars, je donnais un petit coup de main, comme beaucoup de gens qui voulaient faire des choses, tous les passionnés de musique comme Jean-Louis Brossard, que je connaissais de la fac, ou Béatrice Macé, qui sont toujours organisateurs des Trans. Si Bordier n’avait pas été là, tout aurait été un peu plus désorganisé, plus long. Lui a fait que, tout d’un coup, tous les gens créatifs ont eu une énergie et une structure pour exister, pour se lancer. Pas uniquement dans la musique : il y avait des gens comme Pierre Fablet qui faisait un journal, Stéphane Plassier qui faisait des vêtements.
Qu’y avait-il de spécial à Rennes pour que cela devienne un pôle musical aussi important ?
Beaucoup de facs, et puis on se sentait très proche de Londres, plus que de Paris. Très peu de gens aimaient Paris ou avaient envie de s’y installer. Moi je m’y suis installé, j’y suis toujours, mais je n’aime pas Paris beaucoup d’attitude, pas beaucoup de génie. A Rennes, il y avait plus d’authenticité. Evidemment, tous les gens qui démarraient avaient une attitude, ça allait avec. Je me souviens de Marquis De Sade, « cinq Européens en costumes électriques ». Ils avaient déjà des images assez fortes, ils étaient totalement atypiques par rapport à la scène after-punk. Philippe Pascal parlait d’Egon Schiele ou d’Artaud, il y avait un discours qui était quand même très différent de « Je bois de la bière et je saute des filles. » Même si ça n’empêchait pas ça (rires)… On n’avait pas très envie de bouger, on se sentait tous bretons avant d’être français. Il y avait une espèce de fierté à se dire que les gens se déplaçaient vers nous. Tout était en devenir, il n’y avait que des choses possibles, à venir. Ça faisait plaisir de voir que les choses bougeaient, il y avait pas mal de fêtes, nos amis de Paris s’ennuyaient et venaient à Rennes faire la fête tous les week-ends.
Considères-tu cette première apparition comme tes débuts ?
J’ai vraiment commencé en 80. Entre-temps, j’avais organisé un concert des Stinky Toys, ce qui fut un peu le déclic pour moi. Là, j’ai rencontré Elli et Jacno. Ce sont eux qui m’ont encouragé à faire des chansons. J’avais déjà un peu commencé, mais je n’en parlais à personne parce que je n’osais pas. Mais avec eux, tout de suite on a été sur la même longueur d’onde, on revendiquait une certaine chanson française tout en ayant des références anglo-saxonnes ou américaines identiques. Ils avaient la même attitude, les mêmes envies, la même vision des choses, relativement cynique. J’avais trouvé un frère et une soeur. Ça m’avait manqué. J’ai eu l’impression d’exister, de commencer à concrétiser et de faire tout ce dont j’avais rêvé secrètement pendant des années. Suite à ça, il y a eu Franck Darcel, de Marquis De Sade. Il a écouté mes premières chansons, m’a proposé de faire des maquettes un peu plus évoluées avec les gens de Marquis De Sade. J’ai donc fait cinq titres, mes propres chansons, en 80, et ça a démarré. Bordier m’a demandé de venir chanter aux Transmusicales, c’était le 18 décembre 80. Parfois, ma mémoire sait être précise (rires)… J’ai eu mon premier papier dans Rock and Folk suite aux Transmusicales. Ça m’a beaucoup aidé. J’ai eu l’impression de naître à ce moment-là. J’avais l’impression que toute ma vie avait été conçue pour arriver à cette chose-là, que je redoutais complètement.
Comment étais-tu considéré parmi tous ces gens ?
C’était assez bienveillant, les gens m’aimaient bien pour ce que je faisais et ce que j’étais. J’avais parfois un peu l’impression d’être le petit de la bande. C’est vrai que j’avais une attitude qui donnait peut-être envie de m’escorter. C’était assez confortable. La première époque des Trans était une période un peu bénie. Après, vers 81-82, les choses ont commencé à bouger dans tous les sens pour les gens de cette vague-là, ils ont tous signé, tous sorti un premier album, ont commencé à tourner un peu, à avoir une petite existence. L’espèce de solidarité et de convivialité qu’il pouvait y avoir s’est métamorphosée en protectionnisme à outrance dans son petit monde, sa petite bulle et tout a pété.
Est-ce que la Bretagne est importante pour toi ?
Je suis breton jusqu’au fond de l’âme. La mer me manque, la Bretagne me manque très souvent. C’est fondamental pour moi, parce que j’y ai grandi, c’est là que je me suis fait. Le comportement breton me convient tout à fait. Les gens ne s’ouvrent pas à vous en quatre secondes, ils sont très longs à s’attacher, très longs à se détacher, assez profonds. Ce sont des gens qui aiment faire la fête et je suis très sensible aux gens qui savent s’amuser, c’est révélateur d’une bonne nature, à qui je peux faire confiance.
Ta dernière tournée s’est terminée en Bretagne : un symbole ?
Je l’ai terminée à Brest, dans un état de délabrement terrible. Malheureusement, on était passés à Rennes la veille, on était allés faire la fête avec Etienne De Crécy après le concert et moi, je ne sais pas rentrer. Je redoutais ce concert à Rennes car je savais que si j’allais à Rennes, j’allais avoir envie d’exploser c’était quand même un retour, des retrouvailles, il fallait que je commence ou finisse la tournée par là. Et je voulais rejouer Salle de la Cité où j’avais commencé, repartir de zéro. Un mec au début du concert a crié « Bienvenue à la maison », c’est pour ça que j’ai appelé le live comme ça.
Ce best-of qui sort, est-ce un compromis avec lequel tu dois vivre ?
Même si ce métier est fait de petites compromissions et pas de compromis, c’est différent ou de petites lâchetés, ces petites lâchetés permettent de défendre son territoire. Ça me coûte, parce que souvent je me demande un peu ce que je fous là, je suis obligé de me conditionner, mais je me dis que j’ai une place utile parce qu’elle permet de faire un lien entre ce qui se passe sous terre et ce qui va marcher un jour ou l’autre. Si j’étais allé au bout de ma rigueur, de mon éthique, je n’aurais jamais pu faire la carrière que j’ai faite. Si ça ne tenait qu’à moi, je ne regarderais pas nécessairement en arrière, je n’ai pas de nostalgie.
Daho singles (Virgin).
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